Mon ombre crie famine
ameutant le quartier
où mes pas énumèrent
leurs secs copeaux de bruit
Rien à lui mettre sous la dent
Pas même un peu de sagesse
Mon ombre tire sur sa laisse
lape une flaque d’eau morte
lèche quelques mies de bonté
Je secoue sa lourdeur
Je la plie proprement
comme un mouchoir de pluie
et glisse dans ma poche révolver
sa lame de chagrin
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Quelle nuit s’endort en toi ?
Quel visage derrière cette nuit ?
Quelle aube te rejoindra
sur quelle rive de quelle joie ?
Quel mot à ses lèvres
pour transformer le monde ?
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Ne pense pas, dit-elle,
écoute.
Les pensées butent contre les choses.
Elles empêchent d’aller.
N’écoute pas, dit-elle,
touche
La peau est parole visible.
Le geste aime creuser l’absence.
Ne touche pas, dit-elle,
goûte.
Le fruit ne défend rien.
Il attend et nous mûrit.
Ne goûte pas, dit-elle,
sens.
Le parfum est au corps
ce que l’âme est au poème.
Ne sens pas, dit-elle,
regarde
et vois plus loin que le visible
le mystère bourgeonner.
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A la fin du poème
j’aurai l’air de mourir
un papillon sur l’épaule
Comme un pollen
quittant son étamine
j’aurai l’air de rejoindre
le vide qui m’a créée
J’aurai le pas léger
du dernier vers
écrit un dernier soir
Il fera jour
Les rues seront en fleurs
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Tu traces des mots sans ombre
qui tiennent par la racine de l’angoisse
Tu écris en trouvère En femme qui trouve
au-dedans au-delà ce qui nourrit :
le feu d’un bleu incommensurable
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PAIX A LEURS VISAGES
Mon visage a été vitriolé
Mes yeux ont été vitriolés
Mes oreilles ont été vitriolées
Ma bouche a bu du vitriol
Mon corps transpire le vitriol
Mon âme sue le vitriol
Qui oserait me regarder?
Je n’ai plus de visage
Juste deux trous pour le regard
et un filet de voix
qui filtre entre des lèvres mortes
Je suis une morte-vivante
Mon mari m’a chassée
Mon père ne veut plus me voir
Ma mère ne veut plus me voir
Mon frère me jette à la rue
Je suis bannie de ma propre peau
Je suis murée dans ma sale vie
Pourtant j’aimais je lisais j’élisais
J’étais l’épouse de mon époux
seconde troisième peu importe
Pourquoi soudain ce cri jaloux?
Je n’ai plus de visage
Je n’ai plus d’âme pour prier
A peine des mains
Je ne suis plus qu’un long voile noir
une cape de suie
un fourreau de deuil
que le jour froisse et froisse
et froisse de sa main
(écrit à la suite du reportage d’une journaliste iranienne, consacré à des Iraniennes persécutées, diffusé par la RTBF, dans son émission Hebdo, en janvier 2004.)