SCHMITZ André

Biographie

Naissance en Ardenne belge. Quelques années en Afrique centrale, suivies d’une saison au Liban. Carrière d’enseignant en Lorraine belge. Ces dernières années, quelques temps forts en Inde, au Québec et autres « ailleurs ». Vit en Lorraine belge dans la région arlonaise.

Prix littéraires :

  • Prix Triennal de littérature, 1975, Bruxelles.
  • Prix de la Fondation Goffin, 1978, Bruxelles.
  • Prix quinquennal Albert Mockel, 1983, Bruxelles.
  • Prix du Conseil de la Communauté Française, 1983, Bruxelles.
  • Prix Tristan Tzara, 1991, Paris.
  • Prix de la Poésie Wallonie-Bruxelles, 1995, Paris.
  • Prix du Mont Saint Michel, 1996, Saint-Malo.
  • Prix Mallarmé, 2000, Paris.
  • Prix Maurice Carême de Poésie 2013 pour son recueil “Pour ainsi dire Pour ainsi vivre” (Le Taillis Pré, 2012).

Bibliographie

  • Pour l’amour du feu, poésie, Editions des Artistes, Bruxelles, 1961.
  • À voix double et jointe, poésie, Editions du Verseau, Bruxelles, 1965.
  • À la forêt d’octobre, poésie, La Dryade, Vieux-Virton, 1967.
  • Soleils rauques, poésie, André de Rache, Bruxelles, 1973.
  • Oiseaux, éclairs et autres instants, poésie, Saint-Germain-des-Prés, Paris, 1977.
  • Une poignée de jours, poésie, Saint-Germain-des-Prés, Paris, 1982.
  • Le ramasseur de feu, Poésie, Galerie d’art Simoncini, (édition de bibliophilie, gravures originales de Michel Ventrone), Luxembourg, 1984.
  • La douceur des couteaux, poésie, Editions de la Grippelotte, (édition de bibliophilie, typographie de Damien Marchoul, gravures originales de Françis de Bolle), Bruxelles, 1985.
  • Entailles, poésie, Editions Poegram, (album illustré de 12 pastels tirés en sérigraphies originales de Marie Henon), Paris, 1985.
  • Délits de légèreté, poésie, l’Arbre à paroles, (collection Buisson ardent), Amay, 1990.
  • Les Prodiges ordinaires, poésie, L’Age d’homme, Lausanne-Paris, 1991.
  • Les cerfs-volants, poésie, Tétras-Lyre, Ayeneux, 1994.
  • Raclements d’ailes, poésie, l’Arbre à Paroles, Amay ; Phi, Herborn-Luxembourg ; Les Ecrits des forges, Trois-Rivières (Quebec), 1994.
  • La revue L’Arbre à parole lui consacre son n° 85 (mai-juin 1995).
  • Lettre à l’illettrée, poésie, Editions de l’Acanthe, Namur, 2000.
  • Un peu de pluie entre les dents, poésie, choix de poèmes en édition bilingue (français-tchèque). Présentation et traduction : Jana Boxbergerova, illustrations : Michel Forest, Editions Protis (Roman Polak), Prague, 2000.
  • Incises incisions, poésie, illustrations : Roger Bertemes, Editions Phi (Echternach-Luxembourg), coédition avec les Ecrits des forges, Trois-Rivières (Quebec), 2000.
  • Etranglements, poésie, Le Cormier, Bruxelles, 2001.
  • Dans la prose des jours, choix de poèmes 1961-2001, (introduction : Charles Dobzynski), La Renaissance du Livre, Tournai, 2002.
  • Pour ainsi dire, Ed. Estuaires, 2008.
  • Pour ainsi dire pour ainsi vivre, Le Taillis Pré, 2012. Prix Maurice Carême de Poésie 2013.

À consulter: “André Schmitz, Pour ainsi dire”, revue l’Arbre à paroles, n°147, Amay, printemps 2010.

Textes

Les perdants

1

Le chas d’une seule aiguille
trouvée dans une botte de foin
livrera passage
à une caravane de chameaux.
Et passés les chameaux,
l’aiguille servira encore
à ravauder les blessures
aux étoffes nomades.

(Puis elle retournera à sa perte.)

2

La mort est dite. La mort est faite.
Faites ce qu’il vous dira.
Il ne dira rien. Il est absent
– pour longtemps ou pour toujours-
Il apprend à marcher sur les eaux
comme un funambule sur une corde
qui n’existerait même pas.

Il dit que dire n’est pas son métier.

3

Et elle, fatiguée à l’heure des rosées
et des buées, dépose l’humidité
de son haleine et de ses yeux tristes
au bas de la dernière page du livre
– Là où l’encre est toujours hésitante,
où les mots trébuchent d’incertitude.

4

On lui a donné la robe de sa fille

à renifler. Elle a humé comme une bête,
visage enfoui dans l’étoffe encore chaude.
Elle a hurlé amicalement sa douleur
– et son bonheur de pouvoir enfin rejoindre
dans la mort l’enfant qui la mettait au monde.

5

L’égorgeur et l’égorgée:
les imaginer
après le temps bref des cris
tomber ensemble
dans le temps long d’un beau rire
pareils à deux enfants
honteux mais éblouis.

(Suite inédite parue en revue : Cahiers de l’Académie luxembourgeoise, n°20, 2004.)

***

Lapsus

1

Des quintes de lapsus et autres
trébuchements de la langue quand la langue
devient étrangère et se brise contre
l’émail des dents, se fait limaille de syllabes.

2

Bouches bien faites pour gober
des oiseaux effilés comme des lames
ou des pluies arrondies comme des larmes.
Et, le temps venu, bouches à boire…

3

Il aime assez qu’elle dissimule
sous sa robe un couteau de boucher,
et cherche à poiganrder le voleur
qui n’a rien voulu lui prendre.

4

Colliers et cordons
pour pendaisons rêvées.
Et cous auxquels suspendre
des pendus rêveurs.

5

On disait que c’était elle
quand ce n’était personne.
On disait qu’il était une fois
quand ce n’était jamais.

6

La mariée est houleuse
et la mer est trop belle.
Il faut choisir entre
le calme fade et la trouble intranquilité.

Commentaires

Une poignée d’absolue tendresse
S’il est vrai, comme l’affirmait récemment plusieurs scientifiques anglais, que la poésie est le remède idéal contre l’angoisse et le stress, et que plus elle est noire et déchirée, plus le poème est efficace, les poèmes d’André Schmitz devraient assurément être recommandés dans toutes les bonnes pharmacies, au même titre que ceux de Blake, d’Hölderlin, de Daumal, enfin : de toute poésie qui s’écarte de la complaisance lyrique, du roudoudou d’amour et du ronron.
En effet, pour sombre, violente, désespérée qu’elle paraisse au premier abord, la poésie d’André Schmitz n’ en est pas moins profondément chaleureuse, revigorante, gonflée de mots qui viennent comme des chiens/lécher vos lèpres,/aboyer dans votre gorge et libérer le cœur de ses nœuds. Car le drame qu’elle assume est celui de tout homme « pris comme un rat » entre vivre et mourir et qui cherche une issue à la solitude et à l’incommunicabilité. Et qui rassemble autour de lui, en lui, les signes –faille, fêlure, fracture– ouvrant l’homme à cette vie dont Rimbaud déplorait l’absence.
Pour l’amour du feu qui éclaire, brûle, purifie et réchauffe, Schmitz, enfant de l’Ardenne grise et froide, s’est fait ramasseur de feu.Tous ces cris dans la nuit, toutes ces étincelles de tendresse bafouée qui traînent dans les yeux des chiens, des prostituées, des anges d’infortune, tous ces éclairs dans la paille des jours, ces détresses, (ces) liesses, le poète « infirme, ignorant » les ramasse pour en faire des prodiges ordinaires tout de ferveur et d’émotion brûlantes. Volontiers insolent, ironique et provocateur à l’égard des conformismes de tout poil et des thuriféraires fanatiques (L’ange de l’annonciation annoncé voie trois/entrera en gare avec quelques siècles de retard), il se range aux côtés des déshérités, des mystiques et des fous pour revendiquer la folie d’une foi qui permette à l’homme d’oser à nouveau/marcher sur les eaux de l’Ecriture. Car vivre, pour Schmitz, ressortit à l’absolu. Ce n’est jamais demeurer dans « la laine de l’attente » comme des agneaux près de l’étal du boucher ou courbé, comme si la légèreté d’être était encore trop lourde, non, mais brûler
                                                    à perte de vue
                                                    à perte de livre
                                                    à perte de silence.
Cette exigence, que fouette encore la présence de la femme – essentielle dans l’œuvre de Schmitz – tour à tour amante, vierge, épouse, « exilée », « servante servie », promesse de l’absolu, qui comprend/tout sans rien savoir puisqu’elle met « la terre au monde », « cette exigence sans force et sa couleur au vers, reconnaissable entre tous, d’un poète qui ne cesse de chercher son équilibre entre un bonheur fou et un très haut /désastre. Une voix rauque, donc, mordante, brûlée, mais essentielle et propre, comme une poignée d’absolue tendresse, à recoudre en douceur les ombres qui nous déchirent en cette fin de siècle sans boussole. A lire sans tarder, et à relire.
Guy Goffette dans Le Carnet et les Instants (mars-mai 1994).
***
André Schmitz : « Etranglements »

Avec “Etranglements”, Schmitz, comme toujours et comme il sied chez tout vrai poète, donne l’impression d’écrire à l’aube du monde. Même si, en confiance, on retrouve à chacun de ses livres, une voix qui parcours l’espace de son champ intérieur, depuis près de quarante ans, chaque nouveau recueil du solitaire-solidaire de Turpange semble inventer un nouveau rapport au langage. Il y a là toute la vérité de la poésie: chaque nouveau texte surgit, sans prétexte ni pré-texte. Schmitz est tout naturellement poète de l’aval, comme si la parole venait de naître, sans avant mais lourde d’un “après” qui va résonner longtemps dans l’esprit du lecteur invité à prolonger le texte dans son propre espace intérieur.

Cette poésie de l’instant futur, elle est à la fois forte et fragile et, comme nous l’indique le premier texte du recueil, puise sa force dans sa propre fragilité.

Les colosses reçoivent les prophètes:
-des nains
chiens et moins que rien
On échange des messages
des mensonges

Et puis on passe
aux sous-entendus et aux sourires

Ceci posé, si le poème est un acte sauvage – sinon barbare – de prise de possession provisoire du monde, cela n’empêche pas, au contraire dirais-je, que l’on puisse scruter à l’aise différents “secrets de fabrication” quasi artisanaux dont Schmitz devine intuitivement les ressources. Ainsi, la plupart des poèmes d’ “Etranglements” jouent sur le sens, comme sur les sens. Dès lors, Schmitz, par une manière de ludisme à la fois grave et malicieux, réussit à nous égarer, à nous “semer” pourrait-on dire, en surgissant toujours là où on l’attendait le moins. Par exemple, certains poèmes s’ouvrent sur une forme faussement narrative pour se terminer dans une manière de morale qui n’en est pas une; de même la déviation sémantique, ces manières de bémols musicaux qui donnent soudain au poème une profondeur de champ inattendue, une perspective à la fois étrange et familière. Voici quelques perles: “les pertes triomphantes” (une image récurrente chez le poète), “c’est l’enfance de l’art/ de s’attaquer à l’enfance de l’eau” ou “Cioran persifle et signe”. Ajoutons que ce recueil est tout entier sous-entendu par la présence insistante du voyageur aux semelles de vent, ce Rimbaud que Schmitz paraphrase en disant: “Je meurt/ l’autre ricane”- mais ici encore un Rimbaud, perçu par la fine oreille du poète comme un chant lointain, dont l’aspect énigmatique se voit renforcé par l’épaisseur du mystère et de la déviation sémantique.

Tout cela dans le secret d’un recueil où “la phrase se fait aussi grosse que le livre” et qu’il faut lire, toutes affaires cessantes, comme la phrase inachevable de la vie même.

L’écriture se relâche dans le poème
(elle a droit légalement à des repos)
Et c’est précisément dans cet à vau-l’eau
que le poème salive mieux que jamais
et va hors texte d’extase en extase

Jean-Luc Wauthier, Le Cormier, Bruxelles, 2002.