LADRIERE Roland

Biographie

 

1948 : Naissance à Louvain, le 1er août.
1957-1967 : Humanités latines – mathématiques.
Découverte de l’œuvre d’Elie Faure.
Auteurs de chevet : Paul Valéry et Saint-John Perse.
1967-1972 : Baccalauréat en philosophie thomiste et licence en droit à l’Université de Louvain.
Rencontre du philosophe français Jean Lacroix.
1972 : Avocat au Barreau de Nivelles.
1975 : Etudes de droit européen.
Diplôme de droit comparé à la Faculté internationale de Strasbourg.
1984-1985 : Fréquentation d’un café littéraire à Bruxelles : La fleur en papier doré.
1986 : Publication d’un premier recueil, « Le feu grégeois » aux éditions de La Louve.
1987 : Lecture de « Trois leçons de ténèbres » de José Angel Valente.
1992 : Naissance de son fils Maxime.
Prend deux années sabbatiques pour élever son fils et entreprendre des études d’orientalisme.
1995 : Diplômé d’études asiatiques (Extrême-Orient) de l’Université de Louvain.
Naissance de sa fille Margaux.
Tournée de conférences en Italie sur Emile Verhaeren et sur la poésie belge de langue Française (à Ravenne, pour l’Alliance française, et à l’Université de Bologne).
1996 : Conseiller juridique au Luxembourg.
Voyage dans l’île de Ceylan.
1998 : Etudie l’art du Gandhara.
2001: Lauréat de la Fondation de France.
2004 : Création des Editions Soleils boisés.
2005 : Voyage en Chine.

Bibliographie

  • Le feu grégeois, Ed. de La Louve, Spa, 1986.
  • Hors la graine, séisme, Tétras Lyre, Soumagne, [s.d.]
  • Aimer l’obscur, Ed.de l’Acanthe, Leuze, 2002. Trad.: Amare l’oscuro, par Nino Baldanza et Giovanni Dotoli, Schena editore, 2003.
  • Exercice de la poésie, Soleils boisés, Chez l’auteur, [s.d.].
  • Inconnaissance éblouie suivi de La ville reflétée, Éditions de Corlevour, 2015.
  • La lettre d’amour, Chez l’auteur, 2016. Prix Jean Lebon 2012.

Textes

               I

L’air sur l’aile
et la substance du baiser!

Non le coeur de tisser,
herbe à herbe,
la déchirante nuit.

Mais la substance de ce froid
au creux de neige.
Mais la substance de ce froid.

                 IX

Afin que l’ombre éclaire.

A ce qui gît dans l’ oublié,
à la mémoire de l’eau,
aux visages du torrent.

Et la beauté est en croissance.

                X

Toute saveur aux lèvres bue
pour la ferveur du miel,
un très haut lieu sera dit
d’une voix lente
adoucissant l’espace,
le ciel, son partage oublieux.

Le feu entier
prend forme du jour.

               XI

Ta main se fera feuille,
ton visage pluie.
Un appel s’amenuise,
prendra sens disparaissant.

Sont atteints les points purs,
les soubresauts,
l’éclairement fossile.

                XII

Des cimes sans fin
tombent des regards d’oiseaux.

Tu distingues longuement
l’heure
sur la muraille et les jardins;

les choses nues
qui tremblent à leur nom.

              XIII

A la braise inconnue,
à toute chair aggravée d’ombre
donnant visage, gravant soleils
qui échange les règnes!

La rivière
n’est plus liée à sa source.

L’accélération
de l’amour en nous.

                XIV

Dans la cassure
du bleu.
Un bruit quitte le monde,
éloigne la faille,
la secousse des fleurs.

Reprenant souffle,
le mot s’applique à reconnaître.
La fraîcheur, à mesure,
plus sauvage.

Extraits de Aimer l’obscur           

Commentaires

À consulter :
          Eric BROGNIET, “Un éditeur en pays de Liège et ouvert sur le monde”, Sources, n°22, février 1999, pages 345 à 347.
          Eric BROGNIET, “Roland Ladrière, Aimer l’obscur”, Le Journal des Poètes, n°1/2004, page 5.
          Marcel HENNART, Le Non-dit, 2003.
          Gaspard HONS, “Le poème : entre secret et mystère?”, Le Spantole, n°266, février 1987.
          Gaspard HONS, ”Roland Ladrière, Aimer l’obscur”, Le Mensuel littéraire et poétique, n°324, octobre 2004.
          Philippe LEUCKX, Bleu d’encre, n°10, décembre 2003.
          Philippe LEUCKX, “Exercice de la poésie”, Bleu d’encre, juin 2005.
          Paul MATHIEU, L’Arbre à paroles, n°121, juillet – août – septembre 2003, pages 85 et 86.
          Marie NICOLAÏ, Nos Lettres, n°12, décembre 2003, pages 51 et 52.
          Marie NICOLAÏ, Nos Lettres, n°3, mars 2005, pages 19 et 20.
          André ROMUS, Acanthe Magazine, n°10, 3ème trimestre 2002.
          André SIMON, “Roland Ladrière, portrait”, Acanthe Magazine, n°10, 3ème trimestre 2002.
*
Aimer l’obscur, Leuze, L’Acante, 2002 (Terre amarante).
J’ai deux raisons de parler de ce livre : la première, parce que j’avais déjà signalé, il y a quelques années, dès la parution de son premier recueil, chez Tétras lyre, qu’une voix particulièrement remarquable s’était levée dans le champ de la poésie française de Belgique; la seconde, parce que la collection de bibliophilie “Terre amarante” a été créée, choix des auteurs et maquette, par le regretté Henry Falaise, et qu’elle a été reprise par André Romus. Cette qualité est très inhabituelle au demeurant, dans le fonds de commerce de l’Acanthe.
Ladrière vit dans le Namurois. C’est à dire qu’il in-existe dans le Namurois. Comme Hubin, d’ailleurs, dont l’écriture a eu une influence déterminante sur sa prise de parole et sur son esthétique. Un court poème, parmi quelques rares exemples disséminés, le montre:
                On voit vers les lointains
                L’effondrement des neiges
                L’impalpable, la trame des choses,
                Une fraîcheur en route
                Qui n’atteindra pas.
Sensible à la métaphore, au paradoxe, au concetto parfois, Ladrière s’inscrit dans un type de poésie métaphysique et phénoménologique. Le privatif in-tout- tout comme les figures de l’obscur disent le sentiment de l’exil du monde. La tension et la vision cherchent à s’exhausser vers la clarté. Poème, donc, comme catharsis. Poème, aussi, comme mandala. Expérience existentielle, expérience des limites que le chant poétique transgresse, ouvre à l’illimité. Aimer l’obscur, suivi de Instruits dans l’absence est un poème d’ouverture à travers une formulation à la fois symboliste et péremptoire. Mais qui dit toujours la part de nuit qui fonde notre jour.
Cette édition est accompagnée d’une très belle linogravure de Chantal Dejace, artiste graveur à Nandrin.
Eric Brogniet
*
Roland Ladrière n’est pas du genre tapageur. Son précédent recueil, Hors la graine, séisme, publié au Tétras Lyre, préparait déjà le terrain en se situant “à l’aube de toute parole”. Dans un champ d’expression “qui témoignait au bord des choses”, l’auteur poursuit une sorte de mise au jour, de mise à nu, de l’espace instauré par le mot – ou le poème. À l’aide de la neige ou de l’abeille ou du vide, se construisaient ainsi des pistes, des lignes tracées nettes: “Le manque emplit / le vide, le rien / le sens dans la roseur”.
Ce nouveau recueil belgo-italien avait vu le jour une première fois en 2002 dans une parution à tirage limité dirigée par André Romus pour les éditions de l’Acanthe. Dans cette nouvelle mouture, l’ensemble d’une trentaine de textes s’accompagne d’une traduction dans la langue de Dante et d’illustrations signées François Xavier Fagniez. Ces dernières inaugurent à leur façon une approche silencieuse d’une surface où le rouge et le blanc le disputent à la nuit.
Aimer l’obscur crie le titre…Peut-il en être autrement pour une démarche artistique qui, du sens commun, glisse, croît vers une expression toujours neuve? On le sait, la langue dérape constamment sur le mirage du mot, “Or se dérobe /ce que l’esprit veut enfermer”, lance un des premiers textes qui correspond en cela au “bilan” amorcé en fin de recueil : “Une parole imprononcée /fait le tour de la nuit,/revient chargée d’ombre”.
Le regard du poète se pose sur le tangible, mais, malgré cela, “Nul secret n’est levé”. Dès lors, c’est dans cette vision du monde, cette façon de l’appréhender, que s’installe peut-être la seule réalité: “Une douceur imprègne / à cet endroit du feu / où vient rêver le rêve./ La demeure germe”.
On le constate, le poète souhaite une densité accrue, une plus grande présence au monde (“Or gésir n’est pas être”) qui justifie d’ailleurs le titre: “Aimer l’obscur, / la forme à naître / et l’origine / rejointes”. Le manque de repères et la léthargie de l’origine imposent cet écho de l’inconnu “où luit l’insoupçonné”. Du reste, si la poésie traîne peut-être vers un plus grand poids d’existence c’est aussi au Verbe qu’elle le doit. Une telle démarche, comme religieuse à rebours, se retrouve à plusieurs reprises dans l’ouvrage, avec la parole posée comme bienfaitrice tutélaire: “Un mot que nous avons dit / enfant, et qui nous protège”. Au travers de ce trajet paradoxal du devenir vers l’origine, la poésie se pose une fois de plus, à l’écart du trop attendu, comme quête de l’unité retrouvée.
 
Paul Mathieu