un murmure de lumière
divise la verticalité des arbres
le corps cherche sa propre ombre
cette lucidité inquiète
découvre
les présages d’une trajectoire
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serments de poussière
émergence de la mémoire
pénitent
la lumière s’altère lentement
(représenter l’attente)
toute pierre est célibataire
Extraits de Altérations de la lumière, 1980.
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5.
la parole métamorphose : elle pose
des cachots innocents. (une archéo-
logie de l’extase). de l’astronomie
plein les yeux tandis que le brasier
des paumes
(la salive, difficilement)
•
6.
des noces avec le murmure, l’impact
de la grâce. enivrer. au bord des
épaules. l’arôme, l’odorat de l’amante.
et une fête de paupières.
Extraits de Salamandre le brasero, 1982.
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on ne peut mesurer la profondeur du ciel et les paysages n’existent pas seuls, ils doivent être regardés.
le commentaire s’écrit toujours dans le blanc, dans l’absence. la langue est le masque du corps, elle signifie déjà sa perte.
le calligraphisme ne veut rien dire, il cherche à parler. l’écriture est sa technique, la page son espace. il est peut-être la métaphore fatale, la béatitude de l’écriture devenue image. il se donne aux miroitements du regard.
le calligraphisme est nu, étendu, en attente. il a valeur de visage. il affirme un désir pour le corps du texte.
Extrait de Entre amants, 1985, in Pittura è cosa mentale.
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partout nomade, blanc
tous les miracles gisent possibles
de l’un à l’autre confins, et muets
dans la lenteur des commencements
il n’y a rien pour dire
l’infini comme un musée du frémissement
sacre de l’égarement
apparaître est d’immédiat exil
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épousailles des confins
la nuit est un théorème aveugle
l’intime source des grâces et le fourreau des armes
une lourde manigance de vertiges
demeurer seul, fervent
sans secours et sans atours, aux aguets
dans l’orient des mots et le dimanche des étoiles
gérer, inquiet, l’âme des précipices
l’incidence du corps et du chaos
noires sont les traces comme entrailles de firmament
et rien mieux que noires :
il n’y a pas de nom après l’ombre
Extraits de Ma douce, ma grâce, ma blanche ennemie, 1988.
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il n’y aurait sans doute rien à voir
ou ce presque rien
que les commencements achèvent
les brouillons d’ombre et des lumières hors d’atteinte
(dépouilles de nymphe au nom des métamorphoses)
il n’y aurait peut-être qu’un désir d’obstacle
une envie de bras-le-corps, de prendre part
un défi quand l’argument reste creux
(lambeaux d’histoire au sacre d’un devenir)
il n’y aurait que des mobiles impossibles
une leçon de distinction, une définition des regards
le théorème secret d’un envahissement
(le vide, une vie, une voie)
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je voudrais peindre le feu
signifier la combustion et l’incendie
la fièvre, une alchimie des matières
traversée seule par la légende des salamandres
et l’ordre établi toujours autre toujours même
mais sans retour, évanescence des creusets
trouver l’étincelle et la note fossile
garder en veilleuse le phantasme d’érostrate
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parfois, il fait silence sur l’atelier
les ombres s’endorment sur la palette
la couleur s’épaissit, en repos
le temps s’égrène qui crible le mythe
aucune brûlure d’ocre, nul éclatement bleu
ni voix, ni battement de paupières
le monde se resserre, lentement
l’œuvre prend corps
sur des déchets d’étincelles et de sources
•
je ne néglige pas le jour et la nuit
le cycle des temps
les torrents de rumeurs
et ces foules déversées aux rues fébriles
il n’y a pas de frontière
mais cela m’est étranger
je suis le délibérément seul
qui fait advenir, œil ouvert
et le corps mis en demeure
(la chair, la clarté)
un incarnat sans date
Extraits de Une touche d’incarnat, 1999.
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elle porte en parure
toutes les saisons de l’éclat
sans peine, pudeur sereine
et ardente, acharnée
elle fait pièce aux impatiences
sage, de sang-froid
mais fervente comme un long frémissement
elle captive, manigance et apaise
la bouche rose, les mains lentes
et fluide en courbes changeantes
souple comme un instinct de guépard
grave, mais sans effort
elle acquiesce à l’histoire d’un discours
quand sur ses épaules reposent
le poids du poème, les maraudes d’un doute
émissaire au bord des chemins inconnus
elle éclaire les pas, exalte la trace, inspire les signes
fertile, sans frayeur, sûre
et légère comme une aile d’ange, émouvante
elle exerce son office d’astre face au verbe obscur
Extrait de Suavité d’une égérie, 2000.
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cela se passe près de la mer. parfois le jour, parfois le soir, la nuit. il pleut souvent, et le vent souffle le long des digues.
elle porte toujours un imperméable beige.
elle est l’image d’un galbe, le cliché d’une histoire, l’idée d’un désir, un parfum.
j’en appelle aux lieux, aux sens, aux images.
au début, la page est blanche, bien au centre. je domine le monde, je suis le seul maître du jeu. il n’y a pas d’idée, pas de souvenir, rien qu’un vide, un désir. c’est un endroit où se glisse ma parole, où la digue prend place, où le vent souffle, où se déverse ce que je garde de mon rêve. je pars de rien pour dire une vie, pour annoncer son absence, essayer de retracer son portrait, tenter de la retrouver.
elle est mon histoire, à moi seul. je crois qu’elle n’existe pour personne d’autre. en tout cas, sûrement pas de la même manière, ni aux mêmes endroits. pas même pour elle.
elle est venue comme l’image d’un mythe, je voudrais qu’elle ressemble à la réalité.
[…]
elle traverse sa propre vie sans très bien savoir pourquoi, elle existe sans raison majeure. tantôt lointaine et tantôt proche, elle sédimente les attractions, invente la lumière et les éclipses, elle passe.
je la retrouve au gré de ma volonté. elle a toujours le même corps, mais elle n’a qu’un visage qui s’estompe, il ne lui reste plus que certains gestes, quelques mots. elle n’a pas d’âge. elle n’est absente que si je l’affirme, si je l’oublie.
elle traverse, nonchalante, mes mots et ma mémoire. je l’entretiens à ma manière; elle survit dans les replis, sans ride, sans fatigue. elle s’étire au-delà du rêve, lente comme un désir.
elle est loin, elle est belle. il n’y a pas de date pour vieillir, pour mourir, pour revenir, pour écrire.
une fille ou une île, une ville.
raconter, c’est toujours entrer par effraction dans la vie de quelqu’un, une manière de cambriolage.
elle est captive de mes regards, de ma mémoire. parler d’elle, c’est la réduire à mon désir, à sa part d’absence, à cette incertitude que les mots caractérisent.
c’est une fille que je ne connais plus, qui m’échappe, c’est une ville que je ne connais pas, c’est une île au large de moi-même, que je ne situe pas, qui semble improbable, entre havre et écueils.
je sais la forme du monde : il est plat, avec parfois quelques vagues, un peu d’écume, des embruns. il est bordé de digues ou de remparts. au fond, il est brumeux, là où les gris se rejoignent, et l’horizon est circulaire.
il n’a aucune notion de sa propre durée. il est immense et s’effondre seul dans une absence.
à chacun son exil.
je ne retrouve pas vraiment son visage, l’image me fuit. je ne sais pas très bien la couleur de ses yeux et la longueur de ses cheveux. je retrouve des boucles et des mèches, des pinces, des peignes et certaines ombres sur les joues, le tube de rouge à lèvres au fond du sac mais pas la couleur de sa bouche, cette nuance d’incarnat.
je ne revois sa silhouette que figée, comme une pâle statue d’une époque révolue, je n’arrive pas à la saisir vivante.
Extraits de F., 2000.
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3.
elle a l’idée d’une bague
la mémoire d’une nuit désolée
et le dos rond dans la fraîcheur
tant de pluie était tombée
et les feuilles des platanes étêtés
le temps glissait trop vite
ne s’accrochait pas aux dossiers des chaises
que même
d’anciennes guirlandes ne ralentissaient pas
elle gorge de vertige un mauvais rêve
abrupt et muet, les bras ballants
longtemps après les rosiers
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6.
elle porte tous les répertoires de l’attente
et d’autres dieux aussi
qu’elle évoque parfois
elle retient sous la peau
des vestiges, des dédales où se perdre
elle n’égare pas
elle emporte parfois sans savoir
et trie plus loin les cabas de la mémoire
elle est riche d’une attention sans faille
juste d’un seul mot, d’un seul geste
elle connaît le verbe grandir
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7.
ce qui advient dans ses lèvres
n’est pas possible à dire en quelques mots
mais servirait pour le portrait d’aujourd’hui
comme pour toute son histoire
encore à écrire
il faudrait une geste mêlée d’élégance
de sculpture et d’accent
un silence rouge que ponctuent les baisers
Extraits de Portraits d’elle en novembre, 2000.
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Il ne peut s’installer, dans son appartement, que le silence de l’attente ou, parfois, un bouquet coloré et puis le vide de l’abandon. Elle demeure seule ou elle s’enfuit, elle rêve ou elle sort avec celui qui lui apporte des fleurs. Elle le suit ou peut-être, elle l’emmène. Mais alors, elle ne reste pas là, elle ne l’invite pas à entrer, ne lui propose jamais de s’asseoir, elle n’offre pas de verre. Les meubles ne sont que les témoins d’un secret, pas d’un ravissement. Il ne faut pas toucher aux habitudes; les choses doivent garder leurs places.
Elle pose la main sur sa gorge, se fait un collier de doigts, s’écoute respirer. Elle vient de faire craquer le parquet.
Extrait de Monetti 1927 in Marginales n° 242, été 2001.
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1.
belle
(sans rupture, sans capture).
le dire déborde d’émoi,
évince l’ombre, dresse constat
(immédiate, insistante).
sans équivoque, image pure
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2.
quelque chose éclate
sans un bruit, sans un trouble
passe comme lumière
(vive, véhémente)
à colporter l’apparence
(contours et atours)
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3.
trouver en soi l’absence
(béante, parfaite)
où installer l’image.
disposé aux émerveillements
recueillir un spasme, une grâce
Extraits de User le verbe vivre, 2001.
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