Une voix d’or et une voix d’ombre. Ces Chants à deux voix ont des accents qui ne sont pas sans rappeler ceux de Pascal lorsqu’il confiait à ses feuillets que « rien ne peut fixer le fini entre les deux infinis qui l’enferment et le fuient. »
La pensée de Jacques Goyens, qui a choisi le chant pour s’exprimer, une composition en vers de style simple et familier, dont la noblesse est tout intellectuelle, oscille de même entre le sublime et l’abîme, le rêve délicieux et le cruel examen de la condition humaine.
L’être fragile et mortel s’accroche à la mémoire, gardienne des émotions, à l’amour créateur, à la musique, qui divise en douceur le recueil en mouvements du cœur. Il célèbre la beauté insolente de la jeunesse, les séductions du quotidien, du hic et nunc qu’il faut savoir saisir et apprécier, y compris dans ses aspects les plus humbles (que traduit si bien la légèreté du haïku), du songe encore qui aide à entrevoir l’Idéal. Un seul rêve suffit à l’esprit errant pour découvrir le bonheur, connaître en un éclair la fusion des cœurs, l’unité, l’harmonie au sein du monde, atteindre la connaissance pure et parfaite.
Cette postulation-là est essentielle. Elle est la référence vitale pour échapper au piège du spleen, du refus. Les filets de l’angoisse sont immenses et leurs menaces incessantes : le savant chaos a remplacé le silence éternel des espaces infinis, les caprices effrayants de la Nature nous réduisent à peu de choses ; l’homme meurt vite et tôt, et quand il résiste ou qu’on l’oublie, il se heurte à sa quatrième saison, aux faiblesses du sentiment, aux abandons, aux trahisons médiocres, à la bêtise démesurée, au hasard aveugle, à cette infinité de déceptions qui rendent l’existence si difficile à porter.
La vie, une équation rebelle à plusieurs inconnues, mais qui justement, grâce à ses mystères et à ses embûches, peut devenir un itinéraire passionnant et irremplaçable. L’épicurisme souriant auquel l’auteur a recours comme antidote pour ne pas sombrer entre les deux rives lui permet d’accorder à cette poussière d’éternité un charme durable, envoûtant quelques fois. L’écriture favorise cette réconciliation car elle confère à l’éphémère, à l’insaisissable une valeur, une réalité de chair, de couleurs et d’accords que l’on aime à contempler, à répéter comme un refrain de confiance.
On pense à ces « Chants de l’innocence et de l’expérience » de William Blake, qui montraient lyriquement, à l’aube du Romantisme, les deux aspects opposés de l’âme humaine. Jacques Goyens, en fin et lucide moraliste, en appelle avec raison à l’inaltérable poésie pour apaiser son savoir humain, trop humain, et aiguiser son goût pour les belles et divines choses de la vie.
Préface de Michel DUCOBU