GOFFETTE Guy

Biographie

Né en 1947 dans une famille ouvrière, Guy Goffette est l’aîné de quatre enfants. C’est un campagnard qui regarde, observe, est attentif aux choses : sa poésie d’aujourd’hui l’atteste.
À l’école Normale libre d’Arlon, il est l’élève de Vital Lahaye (alors professeur dans cet établissement), poète lui-même, esprit libre, amoureux de littérature. Les paroles magistrales tombent sur un terrain particulièrement réceptif.
Dès 1969, année de son mariage, Guy Goffette écrit nombre de poèmes qui figureront dans Quotidien rouge, son premier recueil.
Sa voie est tracée: il sera instituteur et poète. Instituteur, il l’est, à Harnoncourt (commune de Rouvroy), à la pointe méridionale de la Belgique, où il a construit sa maison aux marges du village, à flanc de colline douce, face à un vaste paysage de bois et de verdure.
Poète, il l’est également, par ses poèmes et par ses livres, mais il a prolongé pendant quelques années son activité en devenant aussi imprimeur. De 1980 à 1987, avec d’autres poètes, il a publié la revue Triangle (12 numéros) dont il était la cheville ouvrière; en outre, depuis 1983, il dirige les éditions de l’Apprentypographe (le mot a été forgé pour la circonstance), qui offrent en un nombre réduit d’exemplaires et sur beau papier, de petits livres composés à la main, sur la couverture desquels on trouve notamment les noms d’Umberto Saba et de Michel Butor. Un travail absorbant, tout de méticulosité et de passion, qui dit bien où sont les amours de Guy Goffette.
Depuis 1986, il se consacre à différents travaux de critique littéraire, entre autres à la Nouvelle revue française. Il prépare enfin diverses éditions de poètes et, passionné de blues, travaille à la traduction d’un important corpus de chants noirs d’Amérique (Blues, negro-spirituals, work songs, hollers, chain-gangs songs, etc.)
Il vit aujourd’hui à Paris, où il est devenu lecteur pour Gallimard.

Guy Goffette a reçu le Prix Goncourt de Poésie 2010.

Source bibligraphique: Service du livre luxembourgeois

Guy Goffette est décédé le 28 mars 2024.

Bibliographie

  • Quotidien rouge, poèmes, Paris, éditions de la Grisière, 1971.
  • Nomadie, poèmes, Paris, Saint-Germain-des-Prés, 1979.
  • Huit muses neuves et nues, poèmes sur des photos de Miloslav Stibor, Virton, éditions de la revue Objectif, 1983.
  • Solo d’ombres, poèmes, Moulins, Ipomée, 1983 (Prix Guy Lévis Mano).
  • Prologue à une maison sans murs, poèmes, Mareil-sur-Mauldre, Qui Vive, 1983.
  • Le dormeur près du toit, poèmes, Cahiers du Confluent, 1986.
  • Le relèvement d’Icare, poèmes en collaboration avec Yves Bergeret, Spa, La Louve, 1987.
  • Éloge pour une cuisine de Province, poèmes, Seyssel, éditions Champ Vallon, 1988; postface de J. Borel. (Prix de la Communauté française 1988 et Prix Mallarmé 1989).
  • La louange de la vie : Max Elskamp, poèmes choisis présentés par Guy Goffette, Paris, éditions La Différence, coll. Orphée, 1990.
  • Coup d’œil sur la poésie contemporaine de langue française en Belgique, préface à l’Anthologie de la poésie belge traduite en macédonien, Struga (Yougoslavie).
  • De l’identité du langage au langage de l’identité, Lionel Ray, Oeuvres & Critiques, XV, Tübingen,  Gunter Narr Verlag, , 1990.
  • De 1990 à 1992, collabore à la refonte du Dictionnaire des oeuvres et du Dictionnaire des auteurs, Paris, Bompiani-Laffont.
  • Chemin des Roses, poèmes (en collaboration avec Bernard Noël); illustr. de Colette Deblé. L’Apprentypographe, 1991.
  • La vie promise, poèmes, Paris, Gallimard, 1991.
  • Mariana, Portugaise, prose, Cognac, Le Temps qu’il fait, 1992.
  • L’ami du jars, N.R.F., n° 462-463, juillet/août 1991.
  • Lettre d’amour à Madame Orpha, préface à Madame Orpha, de Marie Gevers, Labor,  1992. (Coll. Espace Nord).
  • Partance, récit, L’Étoile des Limites, 1995.
  • Le pêcheur d’eau, poèmes, Gallimard, 1995.
  • Semois, les derniers planteurs, album, Bruxelles, L’Octogone, 1995, avec des photos de J. D. Burton.
  • Verlaine d’ardoise et de pluie, récit, Paris, Gallimard, 1996.
  • Elle, par bonheur et toujours nue, récit, Paris, Gallimard, 1998.
  • Partance et autres lieux suivi de Nama problema, récits, Paris, Gallimard, 2000.
  • Tacatam blues, mélopée, Cadex Éditions, 2000.
  • La vie promise précédé de Éloge pour une cuisine de province, poèmes, Paris, Gallimard, 2000.
  • Icarius, poèmes, Paris, éd. Signum, 2000 (avec traduction anglaise de Tucker Zimmerman).
  • Un manteau de fortune, poèmes, Gallimard, 2001.
  • Journal de l’imitateur, Fata Morgana, 2006.
  • L’adieu aux lisières, poèmes, Paris, Gallimard,  2007. (Blanche)
  • Presqu’ellesRecueil de poèmes sur les femmes insaisissables, Paris, Gallimard, 2009. (Blanche)
  • Les derniers planteurs de fumée, Paris, Gallimard, 2011. (Folio)
  • La ruée vers Laure, Gallimard, 2011. (Blanche)
  • Géronimo a mal au dos, Gallimard, 2013.
  • La mémoire du coeur : chroniques littéraires 1987-2012, Gallimard / Les cahiers de la NRF, 2013.
  • Un manteau de fortune, suivi de L’adieu aux lisières, suivi de Tombeau du Capricorne, Gallimard, 2014. (Poésie).

En collaboration :

  • ECHO 1 Une anthologie de la création poétique en Lorraine, au Luxembourg belge, au Luxembourg et en Sarre, Metz, Ed. Serpenoise; Xonrupt Longemer, Æncrages & Co, 1991.

À consulter :

  • Sincère Poésie, n° 66, novembre 1984. (Tout le numéro est consacré à Guy Goffette, avec des analyses (dont une, substantielle, de Daniel Garrot), des témoignages, des inédits et des éléments bio-bibliographiques.)
  • Un nouveau lyrisme, Poésie 1, n°135, 1987.
  • Littérature du XXe siècle, textes et documents; Paris, Nathan, coll. Henri Mitterand, 1989.
  • Histoire de la littérature française / XXe siècle (1950-1990), Hatier, Paris, 1991.
  • Guy Goffette ou la poésie promise (Collectif), Presses universitaires Paris Ouest, 2012. (La poésie pour quoi faire?).
  • Yves Leclair, Guy Goffette, sans légende, Luce Wilquin, 2012.

Prix littéraires:

  • Prix Guy Lévis-Mano, Paris (1983).
  • Prix du Ministère de la Communauté française de Belgique, Bruxelles (1988).
  • Prix Mallarmé, Paris (1989).
  • Prix Maurice Carême, Bruxelles (1992).
  • Prix Henri Mondor de l’Académie française, Paris (1992).
  • Prix Atout lire, Cherbourg (1998).
  • Grand prix de poésie de la Société des Gens de Lettres, Paris (1999).
  • Prix Valery Larbaud, Vichy (2000).
  • Prix Félix Denayer de l’Académie de Langue et de Littérature françaises de Belgique (2001).
  • Grand Prix de Poésie de l’Académie française, Paris, pour l’ensemble de son œuvre (2001).
  • Prix Victor Rossel (2006), pour Une Enfance lingère.
  • Prix Marcel Pagnol, (2006), pour Une Enfance lingère.
  • Prix Goncourt de poésie (2010), pour l’ensemble de son œuvre.

Textes

Extraits de : Solo d’ombres, Ed. ipomée.
Nuit
À Jean-Michel Maulpoix
Elle entre sans frapper
dans le corps livré à la torpeur
de l’œuf
Elle dit qu’écrire est vain
et jette sur la table
entre les lettres noires
la part de feu
d’un paysan qui lève
l’étoupe des campagnes
Poésie
I
La mer oiselle en grand secret
Il arrive qu’à l’aube
recrue de fièvres
elle tranche par mégarde
l’invisible cordon d’un galet
un oiseau musclé en jaillit
qui agenouille la vague
II
Un feu dévore la maison
où le poète s’est levé
pour embrasser une île blanche
pleurant contre la nuit
Peu à peu
tous les oiseaux reviennent
brûler entre ses palmes
quelques vents quelques neiges
et rassembler les signes
qui ouvrent le matin
III
L’éternité balaye
la table du poète
entre deux mots vertigineux
que nul n’a prononcés
mais qui restent dans l’air
dans la marge
seuil à forcer
IV
Les mouches moissonnent
le verger bleui sous la lampe
J’attends contre une feuille vierge
que le silence retentisse
mais l’image regarde
très au-dessus des mots
V
Le désert n’ pas d’image
entre la table et la porte fermée
Les chaises se regardent mais
les mots n’entament pas
le pain
VI
Le rouleau dans l’herbe trop haute
Les ciseaux ouverts au milieu des fleurs
Le marteau près du clou rouillé
Le stylo couché au cœur du poème
Vivre surprends toujours
VII
Le temps d’apprivoiser les mots
les oiseaux sont partis
Reste la paille
dans l’œil du paysage
VIII
Entre la chair et le visage
nous tendons jusqu’au cri
la corde impossible à sauter
comme cet ailleurs vibrant
qui fait le tour de soi
sans jamais pénétrer
plus avant que la langue
le corps à l’ombre duquel
nous ruinons les chances du vertige
IX
A l’instant de frapper j’ai vu
dans les yeux de la taupe
ma propre vie bondir
mon poème trouver
sous la page blanche
comme au fond des galeries
le grand trajet de sa respiration
Extraits de : Le pêcheur d’eau, Ed. Gallimard.
Tant de choses
Tu as laissé dans l’herbe et dans la boue
tout un hiver souffrir le beau parasol rouge
et rouiller ses arêtes, laissé la bise
abattre la maison des oiseaux
sans desserrer les dents, à l’abandon laissé
les parterres de roses et sans soin le pommier
qui arrondit la terre. Par indigence
ou distraction tu as laissé
tant de choses mourir autour de toi
qu’il ne reste plus pour reposer tes yeux
qu’un courant d’air dans ta propre maison
– et tu t’étonnes encore, tu t’étonnes
que le froid te laisse au bras même de l’été.
Chanson de la dernière chambre
Si peu de choses à dire,
un si léger relief,
et déjà le soir tombe
et nous ne savons plus
que nous, cette baleine
d’ombres et d’insomnies
égarée sur la terre
avec un cœur de saule
ou de sable au vent.
tout ça parce que la nuit
et parce que la mer
unissant leurs dix doigts
convolent en marées
dans le dos des marins
que nous sommes ici,
corps à corps amarrés,
mais la pensée au large
et si loin l’un de l’autre
a chercher dans l’obscur
une veine d’eau douce
qui parlerait pour nous
comme Jonas dressé
devant sa propre voix.

Commentaires

Guy GOFFETTE, Partance et autres lieux suivi de Nema problema, éditions Gallimard.
Goffette a l’art de rayer d’une pointe de diamant la déréliction. L’humour avec lui, telle une bouilloire pour la soif, chantonne toujours dans un coin de la page. Il ruisselle à son rythme tout particulièrement dans la seconde partie de cet ouvrage, Nema problema. Il s’agit là d’une expression, sans doute yougoslave, derrière laquelle le poète rapporte plusieurs de ses voyages dans les pays de l’Est. La page consacrée à l’enterrement d’Aurel, en Roumanie, frère de notre « cinglant Diogène » en son Précis de décomposition entre autres, atteint à la grandeur dans la simplicité. En réalité cette qualité est le propre de Goffette, poète et prosateur. Qu’il se joue des mots « pour nommer la calamiteuse détresse de ces jours mal endimanchés, de ces dimanches mal emmanchés », comme il le stipule dans l’un des récits de la première partie, il reste limpide. Natif des Ardennes (« une Tartarie de poupée : trois frontières, trois collines et une rivière qui change de nom »), passionné de Verlaine et de Rimbaud, s’il part c’est toujours pour grandir. Et il ne grandit jamais mieux qu’à retrouver « le chemin frémissant, vertigineux, fruité de l’enfance et son goût violent de givre dans la fugitive beauté des choses ». Il stigmatise au passage la caricature moderne du voyage dont l’essentiel est d’arriver, de même que le magot prévaut sur l’âme. Cependant sa nostalgie reste tempérée. Seul compte en effet le présent, écrit-il. Son présent à lui tient la main à l’éternité qui déjà l’entraîne à sa suite, au-delà de la lumière. Des sept récits qui composent la première partie, se dégage une certitude : le plus réussi s’apparente à un conte. « Il était une fois dans une chambre d’hôtel un homme à sa fenêtre qui attendait la mer. […] Et quelque chose qui ressemblait à de la confiance s’était peu à peu installé sous sa carapace d’élégiaque forcené. » C’est aussi cette conquête-là, si pacifiquement offerte, qui fait lire d’un trait tout ce que livre Guy Goffette. Avec lui s’élève un bonheur de vivre, heureux enfin de se déclarer. Partir, dit encore Goffette, oui, pour se rejoindre comme le font au grand jour les terres et les mers et au secret quelquefois les vivants et les morts. Guy Goffette en arrive à ce point de son art qu’il éclaire celui qui vient à lui de l’intérieur. Cela s’appelle la beauté.
Pierre Perrin, Poésie1/Vagabondages, n° 22.