Deux extraits de : Formes, Clarté, Portes charnelles.
En regardant un tableau d’Engelbert van Anderlecht
(Etude en bleu)
Ciel-violence,
pour l’océan
es-tu naufrage,
péril des vents ?
Ciel-violence,
tes goémons,
nos remontées
d’abysses blancs.
Ciel-violence,
ta bleuité,
vagues prodigues
de goélands.
Ciel-violence,
exil et sel
de terres mortes,
effacements.
Ciel-violence,
péril des vents,
ecumes d’ailes,
abysses blancs.
Ciel-violence,
pour l’océan
et l’ineffable
ai-je exprimé
-épave, sable-
ta vérité ?
(Bruxelles – Galerie Dexia
13 février 2001 – 12h33)
***
À la mémoire de Marie-Louise Bernard-Vérant
Le ciel s’étend. L’éternité nous aime.
Il faut sourire aux cimes d’un repos,
élire en Toi force et grâce nouvelles.
La mort nous cède aux tempes des aïeux
qui semaient le mystère et notre vie.
…
Toute allégresse à visage d’enfant,
parole offerte aux sternes de l’aurore
déployant leur sommeil vers notre fin
nous gravirons le ciel inépuisable.
Nos douceurs creuseront par l’océan
l’ascèse fabuleuse des falaises.
Les vagues sauveront leur hosanna.
Nous reverrons, âme et paupières closes,
lever la palme pleine, les rameaux
sur les brisants de nos premiers rivages.
Nous serons la beauté que l’Eternel
celait dans la ferveur de la bruyère.
La lumière et notre envol grandiront
quand le printemps laissera l’espérance
naître, embellir dans les ajoncs en fleurs.
En écoutant la Troisième symphonie
en mi mineur de Guy Ropartz.
(Noël 2000 – 0h 59).
***
Deux extraits de : La mer au printemps
4
Morsures. Chimères.
Noroît érodant l’oiseau
creusé par des houles
devant la dune où le soir
dilacère un gouffre d’ailes.
12
Plume, un tourbillon
te rapproche d’une proie.
L’épervier des mers
qui te rompit dans sa haine
s’est rassasié de néant.
(La mer au printemps accompagne des photographies de Mireille Dabee)
*
Nekyia
L’aube crevait les cris fumants de la cité
La mort hurlait son aile insoutenable
et ce brûlement d’ aigle où l’or a désolé
notre gloire solaire …
L’heure devint extase de brasiers,
L’autan rougeoyante de prière
La ruine explosa dans le ciel
Le feu dilacéra la Puissance et les songes
L’uranium blessé, brusquement,
creusa parmi nos voix des orbes déchirantes
Survivre les tympans brisés,
l’oeil escarbille inexorable,
la bouche sépulcre et tison,
la main racine et purulence
arrachée au front calciné,
l’aorte aveuglée à la pierre …
Qu’élire en cette vérité
où ne fulgure plus le Règne?
A l’approche du gouffre un glas
de métal noir, cloche immolée
sous les décombres d’ une tour,
des gravats, des ichors, l’espérance irradiée,
des crânes perforant leur vanité,
un seuil souffré de haine, une muraille
où le bonheur, la treille, les rosiers
recèlent désormais la foudre,
un verger lumineux
du cancer insolent des monstres,
de la glèbe aux sillons
scarifiant la graine perdue …
Par quelle grâce demeurer
la clarté qui racle des âmes ?
Le soir annonce notre chair
à la cendre souffrante
Un mystère nous fend pour avilir son coeur
L’Eternel plénitude, errante,
affaisse encore un peu d’éveil
Nous avons profané l’ orage
Le sable de l’ancêtre assombrit le désert
Demain revêtu, d’inclémence,
l’enfant vieillira d’exprimer
l’antre où scintillait la vipère
Le sang blasphèmera, forçant
Exode, Loi, Terre Promise…
L’aube crevait les cris fumants de la cité
La mort hurlait son aile insoutenable,
une promesse d’aigle où l’orgueil a rayé
notre gloire solaire.
(La Mort est mon Baptême)
*
Méprisées, la ruse et l’audace et la nuit
érodant le portail de la slendeur humaine
sur le sable;
défait, l’incendie effondrant
mon âme et les débris du ciel parmi la cendre
impitoyable;
honni, le voyage voué aux plaintes naufragées,
fatales, des prodiges vers l’abîme;
le soleil a brisé mes vertiges de vague;
j’ ai franchi les écueils
puis retrouvé la grève et les mystères de
cette île
où des mains remodèlent mon amour
au métier des aubes fidèles;
me voici repentance, épave illuminée
devinant la constance et la hauteur de la beauté;
me voici délivré du sel et de l’ écume,
j’avance, j’ entrevois;
un être – ou l’invisible ? – a sculpté sur
ma route
l’élan, les voeux, les âges noueux d’ un noyer
pour accomplir un torse arraché
aux souffrances;
j’y sens battre et rebattre un coeur enchevêtré
aux feux qui jamais ne ravagent;
des courbes, traversant mon corps,
suivent les racines, la tige et les rameaux
de la lumière;
je renonce aux brasiers gravissant les saisons;
le bonheur élève une seule cime
loin de l’exil et de l’Absence;
enfin Pénélope soulève en la maison
taillée sur le roc, polie à l’espérance
le dieu toujours vibrant qui me redressera.
En regardant une statue d’André Eijberg (Ulysse).
(Formes, Clarté, Portes charnelles)
*
Cérémonie après un raid incendiaire
I
Les moi-même
Les êtres-plaintes
Pleurent
Au milieu de la rue brûlé par la mort opiniâtre
Un nouveau-né
A la bouche-pétrissement
Toute en charbon sur la poitrine noire de la tombe
Que sa mère creusa, aux bras remplis de feux
Commence
Par chanter
Chante
La ténèbre qu’enflamme un retour au Commencement
Quand la langue captive aveuglément hocha
Un astre fut rompu
Au coeur des siècles de l’enfant :
Méprisant des miracles, les moi-même en pleurent maintenant
Pardonne
Nous pardonne
Nous ta mort, que les convertis les moi-même
Puissent la tenir dans un grand déluge
Jusqu’ à ce que le sang bondisse
Et que semblable à un oiseau la poudre chante
Comme les graines se dispersent,
Comme ta mort grandit à travers notre coeur,
Criant
Ton cri
De mort,
Enfant de l’au-delà du cri, par cette voie consumée
Nous chantons le vol de la mer
Dans le corps affligé
Et la lueur dernière a exprimé l’amour
Ô semence des fils dans les flancs de la cosse noire délaisée
II
J’ignore qui,
Eve ou Adam, le divin boeuf orné,
La brebis blanche
Ou la vierge émissaire
Couchée dans
sa neige sur l’autel de Londres,
J’ignore qui
Trépassa le premier
Dans la cendre du petit crâne,
Ô l’Epouse et l’Epoux
Adam et Eve rassemblés
Gisant paisiblement
Sur la poitrine triste de la stèle
Blanche comme squelette
Au Jardin de l’Eden
La légende d’Adam et d’Eve,
Je le sais, n’est jamais – fût-ce une seconde –
Silencieuse en l’ oraison
Que j’adresse aux enfants défunts,
A un enfant
Qui fut prêtre et servants, paroles, chanteur, langue
Dans la cendre du petit crâne,
Qui fut chute nocturne du Serpent
Et fruit tel un soleil,
Homme et femme ruinés,
Commencement pulvérisé revenant aux ténèbres
Et dépouillé comme les serres
Au jardin du désert
Dans les clochers, les tuyaux d’orgues
Des cathédrales lumineuses;
Dans les bouches-fusions des girouettes
Frissonnantes qui tournent à tous vents;
Et dans l’horloge morte où brûle l’heure
Par-delà l’urne des sabbats,
Le fossé-tourbillon de l’aube,
Le taudis du soleil, le quartier sordide du feu
Et les pavements d’or couchés en requiems;
Dans le pain aux épis de flammes
Et dans le vin brûlant comme un alcool,
Les masses de la mer
Les masses de mer sous
Les masses de mer parturiente
Eruptent, fontainent, entrent dans la clameur
perpétuelle :
Gloire gloire gloire
A l’ultime royaume qui se fend du
tonnerre de la genèse.
Poème de Dylan Thomas (traduit par Jacques Demaude)
*
L’aurore. Ses vagues
et cette mer dont l’écume
comble des falaises.
*
Lueur exigeant
pour l’estuaire paisible
un cri de nuée.
*
Soleil-océan.
Pour ses désaveuglements
nul besoin d’abymes
(extraits de “Tu es devenu ton rêve”)
*
Sables visités
par des abysses fugaces.
Quels scintillements
pour éblouir la rencontre
du malheur et de la mer!
*
Forçant les oyats,
éloignant des graminées,
troubler en secret
un semis de coquillages
et de songes fracassés.
*
Franchir ce cratère
dévasté par les remous.
une serre sombre
y ravine la frayeur
ou le miroir des étoiles.
(extraits de “La mer au printemps”)