Poésie :
Essai :
Ses textes sont traduits dans plus d’une dizaine de langues.
À l’extrême couchant
C’est la peau du dehors qui se retourne et nous absorbe Jacques Dupin On glisse au cœur des choses la fureur du jour sous la peau le premier mot dépouille l’espace le vertige d’un visage s’avance dès que l’on bouge on taille le fond de la nuit pour retrouver l’inventaire des lieux entre la marche à rebours et le pas de l’ombre mobile comme un vide qui se joue de l’écart. Les jointures de l’errance hurlent au dessus du jour leur givre sèche la bouche on s’écarte peu à peu de la lumière à la limite on l’imagine à portée de fuite insensible l’espace tranche en tournant la tête on traverse les mots et le monde et on croit crever l’obscurité entre une mort qui s’invente et une mort qui se tait. On altère le silence et disperse l’inaudible la lenteur d’une rencontre l’inséparable tremblement de la chair on déplace la gravité des murs dans la toile du jour on accueille la soif une autre eau prévient des hautes sources l’été se couche dans les herbes des salves d’air pénètrent les rumeurs on s’avance pieds nus ignorant la bouche effleurée par le vent. De tous les côtés le ciel remue jusqu’à faillir d’un seul mot le délit de la voix circule avec l’écorce de l’ombre où l’on pénètre les nervures jusqu’à l’œil sous la pluie la brèche aux abois un vide au long de l’arbre comme une douleur fanée dans les feuilles voir est respirer un visage que l’on échange comme une torche aveugle pour maquiller les fenêtres. On traverse les lieux avec les mots que l’on porte à écorcher l’espace contraint par le souffle le visage s’offre à la lumière sa naissance profane dérobée à la main devient invisible au plus profond de l’air on capture les forteresses vides d’une peau trouée par l’ombre l’œil rampe dans la poussière le visage tant de fois émondée flambe à la surface de l’air et tout se perd dans le jour. À chaque pas on s’éloigne du jour de la nuit les dalles humides de la voix l’incision de la lumière gouvernent le poids de la pluie au revers de la saison l’œil devient néant l’arbre brûle où l’automne s’annonce à peine les scintillements d’un prisme sous la ronde des abris sous les floraisons des neiges où s’allongent les plaies de l’été la douleur nous délivre. On extrait chaque mot de l’épaisseur des voix des paupières qui se courbent on retire le secret des visages on s’approche d’un autre exode on refuse de forer ce qui est oublié il n’y a plus rien à franchir le sang est bien cette matière obscure qui trace des fils au fond de l’œil qui érige le poids du monde. On accède au jour par les rumeurs qui s’éloignent du parcours à gravir on découpe l’espace par effraction un timbre sourd dans les failles du vide remonte avec la saison on invente l’herbe sous la neige on accorde au gel l’éclat de l’air dans les mailles de la chair l’incandescence d’un profil intrigue tranchante contre la nuit tout ce qu’on voit de sa propre disparition. On prend place à l’intérieur des choses on brûle contre la terre l’ailleurs n’est déjà plus un parcours l’œil creuse ce qui le regarde là peut-être le désir de voir toute l’impossibilité d’être l’empreinte d’un commencement jusqu’à l’altération du réel tant la solitude du corps peu à peu prend place sous les lacunes du temps. Au plus près l’œil de profil rode fore la peau de ce qu’il touche on se tire hors de soi avec quelques échos le long de la pluie les brumes de la ville entravent la lenteur du réel on surprend l’eau contre les lèvres à l’extrême couchant l’ordre ruminant l’orage écartelée l’errance amarrée aux pavés on se dresse saccagé par les rues qui gouvernent. On ne va pas plus loin on entend déjà son propre silence sur lui on retourne nos paupières captives à l’intime devanture des nuits là le monde fléchie des visages sans nom recouvrent les saisons déciment les cendres sans ombre sans doute on renonce à la pluie qui s’aventure sur les pierres. Si près qu’on suffoque si proche que se dresse la peur avec l’ordre une voix tremble et l’horizon s’égare l’air ravaude la nuit lentement le monde se défait puis se refait entre ciel et terre l’ombre s’entaille le soir penche vers la porte l’ombre traîne son pas ce qui n’est pas visible borde ce qu’on voit.L'Infini Palimpseste
L'Infini Palimpseste, son dernier ouvrage, offre au lecteur un travail, des formes et des matériaux où il livre son regard sur l'art, la conception qu'il en a, et questionne la nécessité d'exister en ce monde. De faire exister. "Ecrire et peindre un pays revient à s'écrire et se peindre soi-même en tant que palimpseste vivant", énonce-t-il. Ce sont quatre-vingt-sept-pensums, livrés comme un cheminement, qui s'égrènent avec ses créations photographiées où l'on devine le questionnement du lien entre l'origine, la transformation du réel, voire sa sublimation et l'intérêt particulier de signifier une existence présente et de livrer à son tour une perception fine du monde.
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Cet ouvrage se lit, se regarde et instruit sur la façon dont l'artiste crée. Il est un des rares qui permette d'aborder un artiste algérien contemporain dans sa dimension créatrice.
BOUCEBCI, Téric. "L'Infini Palimpseste, de Hamid Tibouchi et Pierre-Yves Soucy". In : Phoenix, Paris, n°2, avr. 2011, p. 136.