FLAMAND Barbara Y

Biographie

Elle est née à Marchienne-au-Pont à une époque où les industries minières et sidérurgiques donnaient encore à la région ces traits qui la fit appeler ” Le Pays Noir “. Les matins qui se lèvent sur des foules d’ouvriers se rendant au travail, les quartiers qui s’animent autour des logis si caractéristiques, ou encore, les ducasses saisonnières… Vie, souvent, communautaire, avec pour centre l’usine ou la mine, connaissant des ressacs et des affrontements. Ce sont ces sentiments qui ont imprégné l’enfant des corons que fut Barbara Y. Flamand. Regarder, c’est bien, mieux est de comprendre, de laisser parler son coeur en rendant de façon vibrante, sous forme poétique, ces composantes de la vie réelle. Théâtre, nouvelles, essais, poèmes s’inscriront dans une remise en question fondamentale de notre époque.
[…] par Maurice Dessart pour Hainaut Tourisme, juin 1994.

Source : document transmis par l’auteur

Bibliographie

Poèmes   … écrasés sous pneu de jaguar (P-J. Oswald, Honfleur 1968) Notre mal est si profond (Henri Fagne, Bruxelles 1971) Les poings sur les i… (Henri Fagne, Bruxelles 1973) D’argile et de bulle (Arcam, Paris 1976) Sous le regard des statues (Arcam, Paris 1979) La part de l’ombre (Arcam, Paris 1981) La colombe poignardée (PAC, Bruxelles 1986) Le coeur fertile (L’Arbre à Paroles, Amay 1989) La longue mémoire, suivi de Arthur ou l’amoureux séditieux (L’Arbre à Paroles, Amay 1992) La vie dans tous ses états (L’Arbre à Paroles, Amay 1995) Les confessions de l’Ogre planétaire (EPO, Bruxelles/Onyx, Prague 1999) Les mauvais esprits et le crocodile vert (Onyx, Prague 2001) La patience du guetteur d’aube, recueil bilingue fr/tchèque (Onyx, Prague 2009)   Nouvelles et récits   La 5.381ème offre (GAE, Bruxelles 1982) Lisa ou la terre promise (GAE, Bruxelles 1983) Chéri (Magie Rouge, Bruxelles 1983) L’autre vie suivie de l’hymen enchanté (Ed.Chouette Province, Service du Livre Luxembourgeois Marche-en-Famenne 1999) Les vertiges de l’innocence, Ed. Chloé des Lys (Barry 2011)   Essais   La dissolution du moi (La Dryade, Virton 1987) L’autre sacré (EPO, Bruxelles/Onyx, Prague 1998)   Théâtre   La frustration du chien La dérisoire épopée de Jo Le Maître Ferme tes jolis yeux Sacristi Stumac La locataire du Gadou   Traductions   Les métamorphoses insolites (nouvelles traduites en tchèque, Onyx, Prague 1994) Les témoins de l’apocalypse (titre français « Sous le regard des statues », poèmes traduits en tchèque, Onyx, Prague 1997) L’autre sacré (essai traduit en tchèque, Orego, Prague 1997) Les vertiges de l’innocence (nouvelles traduites en tchèque, Onyx, Prague 1998) Les confessions de l’Ogre planétaire (poème traduit en tchèque, Ed. Futura/Onyx, Prague 1998) Complice par le feu (titre français : « D’argile et de bulle », poèmes traduit en tchèque. Ed. Onyx, Prague 2000) Le génie et la peintre des labyrinthes (nouvelles traduites en tchèque, Onyx, Prague 2001) La part de l’ombre (poèmes traduits en tchèque, Onyx, Prague 2008) Elles ne dormiront pas sous l’aile d’un ange (nouvelles suivies de La cabane de l’Inca (Onyx, Prague 2006) La vie dans tous ses états  (poèmes traduits en tchèque, Onyx, Prague 2008) La patience du guetteur d’aube (poèmes bilingues fr/tchèque, Onyx, Prague 2009)

A consulter :

De la domination économique à la domination linguistique. In : Reflets Wallonie-Bruxelles : la pensée wallone, n°27, janv.-mars 2011, p. 47-49.

Autobiographie d’une chatte sans pédigrée. In : Reflets Wallonie-Bruxelles : la pensée wallone, n°29, juillet-sept. 2011, p. 49-51.

Textes

Le bleuet

Déjà
dans la stupeur primitive quand l’ aube magique
emportait les étoiles,
dans les métamorphoses de la lune devenue
ronde et pleine, et énigme
comme la face d’ un juge de l’ au-delà
appelé à condamner

les hommes dès leur première ébauche, indécise,
dans l’ éclair zébrant le frissonnement des espaces
et les échines apeurées
des créatures jetées sur la perspective fabuleuse
qui allait soulever les siècles

Déjà
quand la terre couvait ses volcans tous frais de désirs
sauvages et terrifiants,
qu’ elle grondait comme offensée du surgissement
d’ être inattendus
des bêtes, oui, mais avec quelque chose de plus
ce plus qui s’ entêtait
à apprivoiser les esprits dans la bouche du vent
ce plus qui
du choc de deux pierres faisait jaillir l’ étincelle
et libérait le génie

Déjà
toi poésie
tu naissais

Quand les cratères crachaient leurs tourbillons de feu
et que les océans
se soulevaient monstres liquides et voraces
pour happer les nuages,
que les premiers cris torturaient langues et poitrines
que le premier flux de conscience
bouleversait les fronts

Entre l’ éclosion et l’ agonie la souche et l’ infini
toi poésie
tu mûrissais

Dans le rauque incantation portée au ciel
ton chant
dans le vol de l’oiseau suivi d’étonnement
ta douceur
dans le regard ouvert sur chaque frémissement
ta beauté
dans la trouvaille de l’ outil et du fer
ta force

Et bien avant
dans la très profonde origine, matière éclatée
de fulgurances
tu rêvais
d’ un bleuet immortel
sur une invisible fêlure.

extrait de La vie dans tout ses états

Commentaires

Barbara Y Flamand est restée fidèle à la poésie de combat. Son virulent pamphlet Les confessions de l’ Ogre planétaire, 1999 synthétisait ses multiples accusations portées contre l’ ordre économique dans bon nombre de poèmes précédents, ainsi que les tentatives d’ émancipation des peuples.
On retrouve dans les mauvais esprits et le crocodile vert l’ affirmation de son engagement et la même pugnacité, sous un ton tantôt impétueusement lyrique, tantôt ironique.
Sa critique, si elle prend pour cible le système, n’ épargne ni les sphères politiques où ” les chevrons se gagnent par la loyauté aux banques ” , ni les cercles intellectuels et poétiques où le regard ne descend jamais – ou si rarement- jusqu’au ” tortueux chemin économique ” où les vers sont  ” encaustiqués à tous les pieds / qu’ils entrent propres dans les académies ” . Mais, dit l’ auteur, ” la misère n’ est pas métaphysique ” , elle est ” au ras des poubelles ” , ” elle saute dans tout ce qui vole et roule pour se fuir / et vider les poches des marchands d’esclaves / la somme de ses espoirs candides “.
Le pouvoir d’ émotion qui double la vision politique soutient tout le recueil. Citons ” La passion selon le IIIème Reich “, hommage vibrant aux femmes résistantes; ” Le promeneur inquiet ” devant l’ embrasement en Europe Centrale, et dans les moments où le poète se replie sur sa vie intime : ” Les mains de ma mère” , ” Novembre “, ” Un sous-bois, l’ été “, ” Un tout petit bonheur”…
Cette poésie jaillie d’ un don d’ humanité et d’ une blessure jamais fermée, peut, également, s’ épancher avec jubilation dans un humour iconoclaste : ” Les mauvais esprits “, ou encore dans la fantasmagorie : ” Le paladin de Prague “, ” La ville nue “.
Dans la seconde partie du recueil : ” le crocodile vert (Cuba), Barbara Flamand s’ inscrit dans la tradition de l’ épopée. Ce choix qu’elle justifie dans son avant-propos nous vaut des pages passionnées et salutairement toniques que son traducteur N.S.Sevillano a rendues dans leur déferlement: Nous l’ en remercions.
L’ éditeur en quatrième de couverture de Les mauvais esprits et Le crocodile vert.

On connait Barbara Y. Flamand comme le poète de la condition historique. Dénonciation des plaies sociales et politiques, indignation, révolte…
Pourtant, le propos dépassa toujours le constat pour fouiller plus profond et poser la question existentielle.
Poète politique, mais poète de la vie d’abord. Dans ses recueils la mobilité du regard embrasse une multiplicité de sujets; de la vision cosmique au cadre intime, l’ auteur traque le sens, affirmant la volonté de porter le vécu à sa dimension la plus haute.
La vie dans tous ses états obéit à cette exigence; en faisant surgir le sens poétique du berceau de l’ humanité, en le soudant au projet existentiel, Barbara Y Flamand fait du poème Philosophique qui est Le bleuet en hymne à la poésie et au génie créateur.

Quatrième de couverture de La vie dans tous ses états.

Quels qu’aient été les soubresauts politiques de la fin du siècle, pour Barbara Y. Flamand (1935), le poème communique encore et toujours un message idéologique; qu’il chante l’amour du Coeur fertile (1990) n’interdit pas qu’il rêve “du Nouveau Monde/qu’enfantent les coquelicots dans le vent” ni qu’il fustige les “menus pantagruéliques” des Gringos et le “la” qui nous vient “d’Outre-Mer” en toutes matières.  Il en résulte bien des textes manichéens, de faciles “billets” de conversations feites, où Barbara Flamand réplique d’ailleurs à sa critique: “Vous êtes trop sensible./Vous aimez trop la beauté,/ et vous êtes tellement au-dessus de la boue et du sang”.  C’est, parfois, l’esprit de violence d’Artaud.  Il n’empêche: que le poème heurte “le goût des belles lettres” ne garantit pas forcément sa valeur.

in : Bruxelles-Poésie, Amay : L’arbre à parole,  2000. ___________________________________________________________________________________________________________

Voilà un poète. Un vrai. Qui n’est pas assez connu en France.  Il faut lire cete posie forte, qui vient des profondeurs de l’âme, de la souffrance devant le mal du monde.  Une profonde humanité transfigure tout cela. “J’ai écrit parce que j’aime”.  On regrette de ne pouvoir donner à entendre ici qu’un soupir de cette respiration profonde.

La fin du myosotis.
Nous n’irons plus main dans la main comme font les amoureux.
Ma bien-aimée aux yeux de myosotis, Mon amour long d’une vie, ne me quitte pas encore! Nous n’avons pas fini de boire l’une  à l’autre comme le tournesol boit le soleil et la racine l’ondée.
Une minute encore, écoute !   Le coin de table, maison de la  poésie Paris: novembre 2009 numéro 40 ___________________________________________________________________________________________________________

On le sait de reste, la poésie engagée n’a plus tellement la cote aujoud’hui. Mais les modes vont et viennent, et Dieu sait si ce qui nous paraît aujourd’hui le plus moderne ne sera pas, demain, le plus vieillot…
Et puis, il y a chez elle une telle assurance, une telle conviction… un sens rare de la solidarité, le don de la clarté et de la beauté, en ces images qui se détachent, au fil des pages, comme la ligne d’une montagne à l’horizon.  Comment ne pas se sentir emporté par le mouvement:

 

Dans vos mots sauvés de la houle du quotidien ou de ses déferlantes ne vibre pas seule votre voix, mais encore la mienne et la voix même du monde qui résonne comme un métronome inviolable, jamais ne s’use et toujours se perpétue, tantôt dans un sanglot, tantôt dans un rire. s’épuise dans un cachot , murmure dans une prière, résonne comme un gond dans la défaite ou le triomphe, toutes ces voix portées par le battement du sang jusqu’au chant funèbre.

On le voit, un sens extraordinaire du rythme, de l’ampleur du rythme, qui vous emporte comme une grande vague, vous enroule et vous chahute… Une puissance bien rare dans la poésie actuelle.

Extrait de “La pensée wallonne” n° 21 sept-oct 2009.  Par Joseph Bodson