A consulter :
De la domination économique à la domination linguistique. In : Reflets Wallonie-Bruxelles : la pensée wallone, n°27, janv.-mars 2011, p. 47-49.
Autobiographie d'une chatte sans pédigrée. In : Reflets Wallonie-Bruxelles : la pensée wallone, n°29, juillet-sept. 2011, p. 49-51.
Le bleuet
Déjà
dans la stupeur primitive quand l' aube magique
emportait les étoiles,
dans les métamorphoses de la lune devenue
ronde et pleine, et énigme
comme la face d' un juge de l' au-delà
appelé à condamner
les hommes dès leur première ébauche, indécise,
dans l' éclair zébrant le frissonnement des espaces
et les échines apeurées
des créatures jetées sur la perspective fabuleuse
qui allait soulever les siècles
Déjà
quand la terre couvait ses volcans tous frais de désirs
sauvages et terrifiants,
qu' elle grondait comme offensée du surgissement
d' être inattendus
des bêtes, oui, mais avec quelque chose de plus
ce plus qui s' entêtait
à apprivoiser les esprits dans la bouche du vent
ce plus qui
du choc de deux pierres faisait jaillir l' étincelle
et libérait le génie
Déjà
toi poésie
tu naissais
Quand les cratères crachaient leurs tourbillons de feu
et que les océans
se soulevaient monstres liquides et voraces
pour happer les nuages,
que les premiers cris torturaient langues et poitrines
que le premier flux de conscience
bouleversait les fronts
Entre l' éclosion et l' agonie la souche et l' infini
toi poésie
tu mûrissais
Dans le rauque incantation portée au ciel
ton chant
dans le vol de l'oiseau suivi d'étonnement
ta douceur
dans le regard ouvert sur chaque frémissement
ta beauté
dans la trouvaille de l' outil et du fer
ta force
Et bien avant
dans la très profonde origine, matière éclatée
de fulgurances
tu rêvais
d' un bleuet immortel
sur une invisible fêlure.
extrait de La vie dans tout ses états
Voilà un poète. Un vrai. Qui n'est pas assez connu en France. Il faut lire cete posie forte, qui vient des profondeurs de l'âme, de la souffrance devant le mal du monde. Une profonde humanité transfigure tout cela. "J'ai écrit parce que j'aime". On regrette de ne pouvoir donner à entendre ici qu'un soupir de cette respiration profonde.
La fin du myosotis.On le sait de reste, la poésie engagée n'a plus tellement la cote aujoud'hui. Mais les modes vont et viennent, et Dieu sait si ce qui nous paraît aujourd'hui le plus moderne ne sera pas, demain, le plus vieillot...
Et puis, il y a chez elle une telle assurance, une telle conviction... un sens rare de la solidarité, le don de la clarté et de la beauté, en ces images qui se détachent, au fil des pages, comme la ligne d'une montagne à l'horizon. Comment ne pas se sentir emporté par le mouvement:
Dans vos mots sauvés de la houle du quotidien ou de ses déferlantes ne vibre pas seule votre voix, mais encore la mienne et la voix même du monde qui résonne comme un métronome inviolable, jamais ne s'use et toujours se perpétue, tantôt dans un sanglot, tantôt dans un rire. s'épuise dans un cachot , murmure dans une prière, résonne comme un gond dans la défaite ou le triomphe, toutes ces voix portées par le battement du sang jusqu'au chant funèbre.
On le voit, un sens extraordinaire du rythme, de l'ampleur du rythme, qui vous emporte comme une grande vague, vous enroule et vous chahute... Une puissance bien rare dans la poésie actuelle.
Extrait de "La pensée wallonne" n° 21 sept-oct 2009. Par Joseph Bodson