VERHEGGEN Jean-Pierre

Biographie

Il est né à Gembloux en 1942. Après avoir occupé plusieurs fonctions, professeur de français, animateur radio, conseiller du Ministre de la Culture, il a travaillé à Bruxelles, à la Promotion des Lettres belges de Langue française où il était chargé de mission spéciale.

Bibliographie

  • Le grand cacaphone, Chambelland, 1974.
  • Le Degré Zorro de l’Écriture et Divan le Terrible (Christian Bourgois 1977 et 1978; rééd. Actes Sud/Babel, 1996, et Labor/Espace Nord, 1997).
  • Vie et Mort pornographiques de Madame Mao (P.O.L./Hachette Littérature, 1981).
  • Ninietzsche, peau d’chien, Avila/Limage 2, 1983.
  • Porches, porchers, Carte Blanche, 1983.
  • Pubères, Putains, Cheval d’Attaque, 1987.
  • Stabat mater, Montpellier, Cadex Editions, 1986.
  • Les Folies-Belgères (Le Seuil/Point Virgule, 1990).
  • Artaud Rimbur et Ridiculum vitae (La Différence, 1990 et 1994, repris sous ce dernier titre en Poèsie/Gallimard, 2001).
  • Orthographe 1er, roi sans faute, Le Seuil, 1992, avec Nestor Salas.
  • Entre Zut et Zen (Harmonia Mundi/France Culture CD, 1998, et La Différence, 1999 en volume).
  • On n’est pas sérieux quand on a 117 ans (Gallimard/L’Arbalète, 2001).
  • L’Oral et Hardi(CD avec Jacques Bonaffé, Éd. Thélème, 2001).
  • Du même auteur, chez le même éditeur (Gallimard/ L’Arbalète, 2004).
  • Gisella(Éditions du Rocher, coll. Anatolia, 2004).
  • Portraits crachés, Le Somnambule équivoque, 2005.
  • Le 12 septembre, avec Johan De Moor, Ed. Lombard.
  • Sodome et grammaire, Gallimard, Paris, 2008.
  • Poste coïtum. Facteur triste!, ARTGO, 2009.
  • J’aime beaucoup ma poésie, Lansman, 2010.
  • Poète bin qu’oui, poète bin qu’non?, Gallimard, 2011.
  • Un jour, je serai prix Nobelge, Gallimard, 2013.

Participations à des anthologies ou ouvrages collectifs :

  • Poèmes dans l’ouvrage : Goulet, Michel. Alchimie des Ailleurs : Les chaises-poèmes de Charleville-Mézières. Milan : SilvanaEditoriale, 2012. p. 66-67.

Textes

Poèmes pour grands enfants comme vous et moi

 

1. Poème du début à la fin.

Au début, la scène se passe en Prologue, c’est-à-dire Nulle Part où il n’y rien nul à manger (nulle part de gâteau ! pas de pain ni de vin ! juste une belle saloperie d’alcool de prune qui vous fiche en l’air le foie, les reins et l’intestin) et à la fin, l’ogre qui tombe du ciel juste à point pour se transformer en Epilogre affamé se met à croquer le Petit Poucet et ses sept frères nains. Graillon et Rillon, deux gras jumeaux ; Vasistas à carreaux (le préféré de la Belle au Toit Ouvrant) Cervelo (le triso de la famille), Hello (le chanteur de Mexico) ainsi que Vilmorin et Merlin, les seuls qui soient nés à l’hosto-brico-jardin) et donc l’Epilogue ainsi nommé se les tape au bed et le reste au breakfast et puis se fume tranquille un joint parce que c’est juin, hé malin, qu’à lieu le printemps des Nains   Non mais, de quoi je me plains ?!

2. Poème pour faire peur aux envahisseurs !

Qu’il vienne ton terminator ! Qu’il se pointe avec ses fameux Destructor, Cruautor, Extirpator, Massacror, Exterminator et autres gueules d’empeigne !   Qu’il s’amène, tous, en cul d’oignon ! On verra bien quoi !   Car nous, on a Alfort et sa Maison ! Et Périgord et ses cochons ! Et Aimable et son Accordéon voire, au choix : Michel Butor et sa Modification ou Améliore et sa Bonne Situation !   Qu’on nous croie ! On a Pécore et ses moutons ! Et Corridor et son Peloton ! Et Azor et son os ! Et matamore et son froc ! Et Constrictor et son Boa ! Quand ce n’est pas Côte d’Or et son Chocolat ou Commodor et son Opel et labrador et son Chien ou carrément Décolore et son Shampooing !   On a même Pylore et son Intestin pour nous débarrasser de tout ça !

Tintin au Groenland.

Il fait froid, ici ! Très froid ! Tintin a les bonbons au congélateur. Il fait 37,2 pardi ! Ah ! on ne bande pas (comme disait déjà Djian en son temps). Les phoques eux-mêmes n’en croient pas leurs moustaches ni leurs trompes d’eustache (oreille gauche comme oreille droite) et les deux Lapont et Lapond ne valent guère mieux ! Ils ont beau (les phoques) se la faire frotte-frotte et plis à plis, c’est fichu, c’est fini ! C’est l’enfer ! Qui taperait arobase point rhum sur sa console n’aurait pas la moindre goutte de réponse ! Pire : qui s’affublerait d’un Mont de Venus (ou de tout autre système pileux bien fourni) en guise d’écharpe sur le visage ne s’en sortirait pas davantage ! Bref ! Tintin est bel et bien prisonnier des glaces.   C’est encore un coup des communistes ! Les sales communistes : Racaille le Rouge, Séraphin Lampiste,

Du bon usage des procedes litteraires.

 

1. Quiproquo.

On croit que je soupe avec de la fausse soupe alors que je soupe avec du vrai Quiproquo Minut Soup.   (Victor Hugo in L’art de souper grand’père)   On croit que Quiproqua fréquente Gepetto et Quiproquo, Esmeralda alors que c’est Gepetto (le papa) qui nique Esmeraldo.   (Victor Hugo in Notre dame des Hautes Etudes)

2. Parataxe.

Temain il bart à Tax dans les lantes sacher la balombe.   (Assimil Allemand-Français. 9ième leçon. Le voyache de Goethe en France. La bartie de sache 1)

3. Kakemphaton.

Jusqu’à quand fa-t-on tevoir tormir sous ces bins où des balombes chient ?   (Idem. 10ième leçon. La bartie de sache 2)

4. Palindrome.
Je me souviens des vacances que nous passions en France une année entre Valence et Saint Rambert d’Albon Et l’autre entre Saint Rambert d’Albon et Valence.   (Georges Cerép in Drôme un jour, Drôme toujours)

5. Coq à l’âne

Cessez d’empoisonner vos galinacées avec du coq à l’âne industrialisé donnez leur plutôt sans compter du coca light à satiété !    (Gustave Flaubert in Le petit élevage de zoophilie expliqué aux enfants)

6. Tautologie.

Si vous avez un diaphore à l’avant et un cataphote à l’arrière votre automobile est parfaitement en règle !   (Bernard-Henri Levy in Tauto service : le courrier des lecteurs)
7. Paronomase.

T’es fol ou quoi ? Si tu passes par Onemase avec ton camion chic ça t’allonge d’au moins cent bornes sacré nom d’une pipe !   (Marcel Proust in Allonge des camionneurs chics et des jeunes filles en fleur)

 

Commentaires

Jean-Pierre Verheggen est avant tout un “jouisseur de mots”, le “calembourateur” numéro un du domaine francophone, le poète de la libération par le jeu (accessoirement de mots), l’inconscient (collectif à lui tout seul) de son temps, le grand-oncle de Sttellla. Voyage sur la crête des mots, plongée dans leurs contradictions et aussi dans celles du poète, en perpétuelle oscillation noir-blanc, recto-verso: L’écrivain est une errance perpétuelle entre le blanc (le saint) et le noir (le porc), mais nous sommes tous issus de la même animalité (J.P. Verheggen) Verheggen nous entretient des écrivains qu’il admire (Rimbaud, Artaud, Nietzsche, Perec), de la science inexacte du jeu de mots et de la poésie naissant dans l’éclatement du langage. Quelque fois, il se montre tendre, ainsi lorsqu’il établit un rapport entre son écriture et la mort.

Commentaire

    Dans cette émission tonitruante, impossible à résumer, l’entretien et les lectures se télescopent. Jean-Pierre Verheggen, ce torpilleur de la langue, parle comme il écrit, même lorsqu’il tente d’adopter une position critique plus conventionnelle (Il n’y a pas de métalangage critique). La nature des questions l’y pousse. L’entretien prend ainsi la forme de variations métaphoriques sur le thème du marbre et de l’écriture: le marbre et le poème, le marbre et le jeu de mots, le marbre et Nietzsche, le marbre et Rimbaud. Ce reportage a été principalement tourné au cours d’un voyage en Italie à destination de Carrare en compagnie de Jean-Pierre Verheggen. Les différentes étapes ont été choisies pour leur rapport avec la littérature: le col du Gothard (Rimbaud), le lac de Côme (Nietzsche), Pavie (Stendhal), La Spezia (Shelley et Byron). Jean-Pierre Verheggen parle surtout de l’écriture et de la langue. Il lit de nombreux extraits de ses textes, un texte de Rimbaud sur sa traversée du Gothard, le poème Voyelles et un extrait de La disparition de Georges Perec. L’émission débute à Carrare, par des cris puissants qui résonnent dans la carrière de Golzinne où a été extrait le marbre de la piéta de Michel-Ange. Nous sommes dans un film sur la pureté totale, nous annonce l’écrivain qui dit ensuite (ou plutôt crie) un extrait d’Artaud Rimbur. L’écrivain se présente brièvement: né à Mazy, le pays du marbre noir (le charbon), il a décidé de faire un voyage jusqu’à Carrare, le pays du marbre blanc, d’où sa femme est originaire.

Devant Le pavillon des passions humaines, sculpture monumentale de Jef Lambeau, Verheggen compare le marbre sculpté à l’écriture. Dans le creusement du marbre, il n’y a pas de représentation pour autant, insistante, lourde, mais quelque chose qui apparaît, qui disparaît, qui revient.

Le voyage Depuis le col du Gothard, Verheggen lit le texte que Rimbaud a écrit sur la traversée de ce col. Artaud Rimbur est un livre, une mixture de deux fulgurances, Antonin Artaud et Arthur Rimbaud. Jean-Pierre Verheggen explique qu’il a tenté d’exprimer trois choses: Premièrement, il faut, avant de composer, se décomposer soi-même, faire mourir la pose d’auteur que nous avons tous en nous, laisser exhiber le cadavre de l’auteur avant d’écrire. Deuxièmement, il faut tenir compte de ce petit angoisson qu’on a en nous, la part d’autocritique. Troisièmement, il faut parler et écrire grand nègre, aller jusqu’à la langue la plus basse qu’on a en soi, la plus interdite, de façon à élever la pensée. Nous voici à Côme: Nietzsche quitte la ville sous la pluie, va à Turin et perd la raison, tout le monde l’abandonne. Je le prends en charge car la question de la folie m’intéresse. (…) L’écriture est toujours au-delà des principes, comme l’écrit Nietzsche, par-delà le bien et le mal. (Lecture d’un extrait de Ninietzsch, peau d’chien). C’est en réalité dans la chartreuse de Pavie que Stendhal situe son roman La chartreuse de Parme. Étape importante pour “notre” voyage car nous avons la rencontre du marbre noir avec le marbre blanc. Verheggen fustige les maîtres à penser, les asséneurs de vérités, les détenteurs de derniers arguments, je ne les blaire pas (…) parce que je suis un incroyant radical. Verheggen cite à ce propos son livre Freud Astaire et lit un extrait de Voilà les textes, Excès Homo.

Les jeux de mots Le voyage est à présent terminé. Verheggen lit un extrait de La disparition de Georges Perec, qui est pour lui un monument de littérature (Ce livre de 320 pages ne contient pas de “e”). Dans les nervures du marbre se joue son destin: un jeu de mots est un peu comme un bloc de marbre, parfois il tient, parfois il ne tient pas. C’est un jeu dans tous les sens du terme. On rate beaucoup de jeux de mots. Parfois écrire c’est recopier, c’est plagier, c’est prendre, c’est parfois plus fort que d’inventer.

Le rire, l’écriture et la mort Depuis le cimetière du village, Verheggen explique le rapport qu’il établit entre son écriture et la mort: Il y a sans doute un rapport entre le rire et le rictus (qui représente la mort). Le côté carnavalesque de mon écriture renvoie peut-être à ces civilisations, comme le Mexique, qui dévoraient leurs propres squelettes sucrés, au moment de la fête des morts. Mais il y a beaucoup plus simple que cela. Je viens souvent me ressourcer au cimetière, m’asseoir un quart d’heure, me requinquer, me repomper devant cette blancheur qui me laisse la gorge pantelante d’émotion, et j’ai besoin de cela, de ce quart d’heure-là, de regrimper dans le village et puis de continuer à écrire mes choses, effectivement, apparemment grotesques, apparemment du côté du rire seul, alors que moi-même je tremble, que j’ai peur, que je me demande comment je vais mourir, non pas seulement moi, comment les autres que j’aime vont mourir. L’écrivain revient sur les jeux de mots et à celui qui en joue; ceux-ci ont une fonction de critique sociale et idéologique: Lorsque “My tailor is rich” devient “Elisabeth a du pognon”, ça fait rigoler mais c’est aussi une critique. Quant à celui qui les fait, il est le bouffon de l’éternité, comme Nietzsche qui cherchait à répondre à l’inquiétude de la vie.

La poésie Contre la poésie traditionnelle, il faut faire éclater le langage, le conduire vers sa fulgurance, l’en deçà de la communication. La poésie, c’est la langue de l’oralité. La tradition poétique bien comprise est celle des Dogons et des Pygmées avec leur cris et leurs stridences. (Lecture du poème de Rimbaud, Voyelles) L’avenir des langues est au métissage, aux langues métèques, mélangées, langues imparfaites, langues rimbaldiennes, car on pourra alors dire “Je est un nègre”. Comme l’homme primitif, il faut parler, il faut dire, il faut expulser, il faut rageusement avoir envie de vivre pour repousser la mort. (Lecture de Pour l’amour d’un porc, texte extrait de Pubères, putains, 1985) L’émission se termine par une réflexion sur la répétition qui, pour l’écrivain, est prohibée: Le poivrot répète toujours la même chose, l’écrivain n’est jamais saoul.

Production: R.T.B.F. – En Toutes Lettres – 1996 – Réalisation: Marianne Sluszny et Guy Lejeune – Durée: 49′ – Couleur