VERHAEREN Emile

Biographie

Émile Verhaeren est né à Saint-Amand (près d’Anvers) en 1855 et mort à Rouen en 1916.  Il était le fils d’un représentant en bonneterie et le neveu du propriétaire d’une huilerie.
Après de médiocres études secondaires au Collège Sainte-Barbe à Gand – où il fut le condisciple de Georges Rodenbach (1855-1898) – et de médiocres études de droit à l’Université catholique de Louvain – où il fréquenta les animateurs de La Jeune Belgique : Iwan Gilkin (1858-1924), Albert Giraud (1860-1929), Max Waller (1860-1889), etc. ainsi que son futur éditeur : Edmond Deman (1857-1918) –, il entra comme stagiaire au cabinet d’Edmond Picard (1836-1924) (qui venait de fonder L’art moderne).
Il délaissa toutefois rapidement le barreau pour s’adonner à la critique d’art et, plus encore, à la poésie.
Cet homme inquiet trouva un apaisement manifeste dans son mariage, en 1891, avec une artiste liégeoise : le peintre Marthe Massin. Le couple s’installa définitivement à Paris en 1899. Émile Verhaeren, devenu célèbre, fut traduit en plusieurs langues et invité à donner de nombreuses conférences à l’étranger et, notamment, en Russie (1913). L’invasion de la Belgique lors de la grande guerre exacerba son patriotisme et c’est au terme d’une mission où il s’employait à réunir des fonds pour les mutilés belges qu’il fut écrasé par un train en gare de Rouen.

Bibliographie

Les oeuvres d’Émile Verhaeren ont été publiées par le Mercure de France en 9 volumes et réimprimées chez Slatkine en 1977 (3 volumes). En voici l’ordre :

  • Les campagnes hallucinées. Les villes tentaculaires. Les douze mois. Les visages de la vie.
  • Les soirs. Les débâcles. Les flambeaux noirs. Les apparus dans mes chemins. Les villages illusoires. Les vignes de ma muraille.
  • Les flamandes. Les moines. Les bords de la route.
  • Les blés mouvants. Quelques chansons de village. Petites légendes. La multiple splendeur. Les forces tumultueuses.
  • Les rythmes souverains. Les flammes hautes.
  • Les heures claires. Les heures d’après-midi. Les heures du soir.
  • Les Heures claires – Les Heures d’après-midi, Mercure de France, 1919
  • Toute la Flandre, I : La guirlande des dunes. Les héros.
  • Toute la Flandre, II : Les villes à pignons. Les plaines. Les Slatkine reprints (Genève), portant la mention «Réimpression de l’édition de Paris, 1912/1930», rassemblent dans le volume I les volumes ci-dessus de I à III, dans le volume II les volumes IV à VI, dans le volume III les volumes VII à IX.
  • Poésie complète 7. Les visages de la vie. les douze mois. Petites légendes. Bruxelles : Luc Pire éditions ; Archives et Musée de la Littérature,  2009. Coll. Archives du Futur. Edition établie par Michel Otten et Vic Nachtergaele. (Réédition).

Autres œuvres importantes :

  • Les aubes, Bruxelles, Deman, 1898.
  • Le cloître, Bruxelles, Deman, 1900.
  • Philippe II, Mercure de France, 190l.
  • Hélène de Sparte, Nouvelle Revue Française, 1912.
  • Les ailes rouges de la guerre, Mercure de France, 1916.
  • Les flammes hautes, Mercure de France, 1917.
  • A la vie qui s’éloigne, Mercure de France, 1924.
  • Lettres à Marthe Verhaeren, Mercure de France, 1937.
  • Belle-chair, Mercure de France, 1939.
  • L’heure est à prendre, Musée Provincial Emile Verhaeren, 2011.

À consulter :

  • L. Charles-Baudouin, Le symbole chez Verhaeren, Genève, 1924.
  • Edmond Estève, Un grand poète de la vie moderne, Émile Verhaeren, Paris, 1928.
  • A. Mabille de Poncheville, Vie de Verhaeren, Paris, 1953.
  • J. M. Culot, Bibliographie d’Émile Verhaeren, Bruxelles, 1954.
  • Vincent Leroy, Le poète belge Emile Verhaeren, Soignies (5, rue Henri Leroy, B-7060), Editions Azimuths asbl, 2006.

Textes

À la Belgique

Hélas, depuis les jours des suprêmes combats,
Tes compagnes sont la frayeur et l’infortune ;
Tu n’as plus pour pays que des lambeaux de dunes
Et des plaines en feu sur l’horizon, là-bas.

Anvers et Gand et Liége et Bruxelles et Bruges
Te furent arrachés et gémissent au loin
Sans que tes yeux encor vaillants soient leurs témoins
Ni que tes bras armés encor soient leur refuge.

Tu es celle en grand deuil qui vis avec la mer
Pour en apprendre à résister sous les tempêtes
Et tu songes et tu pleures, mais tu t’entêtes
Dans la terreur et dans l’orgueil de tes revers.

Tu te sens grande immensément, quoique vaincue,
Tu fus loyale et claire et ferme, comme au temps
Où l’honneur sous les cieux s’affirmait éclatant
Où la gloire valait vraiment d’être vécue.

Ton pauvre coin de sol où demeure debout,
Face à l’orage, un roi avec sa foi armée,
Tu le peuples encor de canons et d’armées,
Pour le tenir tragiquement jusques au bout.

Tu te hausses si haut que tu es solitaire
Dans la gloire, dans la beauté, dans la douleur
Et que chacun t’exalte et t’admire en son coeur,
Comme un peuple jamais ne le fut sur la terre.

Qu’importe à cet amour l’angoisse de ton sort
Et qu’Ypres soit désert, et Dixmude, ruine,
Et qu’aussi vide et creux qu’une sombre poitrine,
S’élève au fond du soir l’immense beffroi mort.

A l’heure où cette cendre est encor la Patrie
Nous l’aimons à genoux avec un tel élan
Que de chacun des murs saccagés et branlants,
Nous baiserions la pierre éclatée et meurtrie.

Et si demain l’homme allemand sournois et fou
Achevait de te mordre en son étreinte blême,
Douce Belgique aimée, espère et crois quand même :
Ton pays mis à mort est immortel, en nous.
(Recueil : Les ailes rouges de la guerre)

 

Vous m’avez dit, tel soir…

Vous m’avez dit, tel soir, des paroles si belles
Que sans doute les fleurs, qui se penchaient vers nous,
Soudain nous ont aimés et que l’une d’entre elles,
Pour nous toucher tous deux, tomba sur nos genoux.

Vous me parliez des temps prochains où nos années,
Comme des fruits trop mûrs, se laisseraient cueillir ;
Comment éclaterait le glas des destinées,
Comment on s’aimerait, en se sentant vieillir.

Votre voix m’enlaçait comme une chère étreinte,
Et votre coeur brûlait si tranquillement beau
Qu’en ce moment, j’aurais pu voir s’ouvrir sans crainte
Les tortueux chemins qui vont vers le tombeau.
(Recueil : Les heures d’après-midi)

 

Très doucement, plus doucement encore

Très doucement, plus doucement encore,
Berce ma tête entre tes bras,
Mon front fiévreux et mes yeux las ;
Très doucement, plus doucement encore.
Baise mes lèvres, et dis-moi
Ces mots plus doux à chaque aurore,
Quand me les dit ta voix,
Et que tu t’es donnée, et que je t’aime encore

Le joug surgit maussade et lourd ; la nuit
Fut de gros rêves traversée ;
La pluie et ses cheveux fouettent notre croisée
Et l’horizon est noir de nuages d’ennui.

Très doucement, plus doucement encore,
Berce ma tête entre tes bras,
Mon front fiévreux et mes yeux las ;
C’est toi qui m’es la bonne aurore,
Dont la caresse est dans ta main
Et la lumière en tes paroles douces :
Voici que je renais, sans mal et sans secousse,
Au quotidien travail qui trace, en mon chemin,
Son signe,
Et me fait vivre, avec la volonté,
D’être une arme de force et de beauté,
Aux poings d’or d’une vie insigne.
(Recueil : Les heures d’après-midi)

 

 

La vie

Il faut admirer tout pour s’exalter soi-même
Et se dresser plus haut que ceux qui ont vécu
De coupable souffrance et de désirs vaincus :
L’âpre réalité formidable et suprême
Distille une assez rouge et tonique liqueur
Pour s’en griser la tête et s’en brûler le coeur.

Oh clair et pur froment d’où l’on chasse l’ivraie !
Flamme nette, choisie entre mille flambeaux
D’un légendaire éclat, mais d’un prestige faux !
Dites, marquer son pas dans l’existence vraie,
Par un chemin ardu vers un lointain accueil,
N’ayant d’autre arme au front que son lucide orgueil !

Marcher dans sa fierté et dans sa confiance,
Droit à l’obstacle, avec l’espoir très entêté
De le réduire, à coup précis de volonté,
D’intelligence prompte ou d’ample patience
Et de sentir croître et grandir le sentiment
D’être, de jour en jour, plus fort, superbement.

Aimer avec ferveur soi-même en tous les autres
Qui s’exaltent de même en de mêmes combats
Vers le même avenir dont on entend le pas ;
Aimer leur coeur et leur cerveau pareils aux vôtres
Parce qu’ils ont souffert, en des jours noirs et fous,
Même angoisse, même affre et même deuil que nous.

Et s’enivrer si fort de l’humaine bataille
– Pâle et flottant reflet des monstrueux assauts
Ou des groupements d’or des étoiles, là-haut –
Qu’on vit en tout ce qui agit, lutte ou tressaille
Et qu’on accepte avidement, le coeur ouvert,
L’âpre et terrible loi qui régit l’univers.

(Recueil : La multiple splendeur)

Et te donner ne suffit plus, tu te prodigues

Et te donner ne suffit plus, tu te prodigues :
L’élan qui t’emporte à nous aimer plus fort, toujours,
Bondit et rebondit, sans cesse et sans fatigue,
Toujours plus haut vers le grand ciel du plein amour.

Un serrement de mains, un regard doux t’enfièvre ;
Et ton coeur m’apparaît si soudainement beau
Que j’ai crainte, parfois, de tes yeux et tes lèvres,
Et que j’en sois indigne et que tu m’aimes trop.

Ah ! ces claires ardeurs de tendresse trop haute
Pour le pauvre être humain qui n’a qu’un pauvre coeur
Tout mouillé de regrets, tout épineux de fautes,
Pour les sentir passer et se résoudre en pleurs.

(Recueil : Les heures d’après-midi)

 

 

 

Commentaires

La vie

Il faut admirer tout pour s’exalter soi-même
Et se dresser plus haut que ceux qui ont vécu
De coupable souffrance et de désirs vaincus :
L’âpre réalité formidable et suprême
Distille une assez rouge et tonique liqueur
Pour s’en griser la tête et s’en brûler le coeur.

Oh clair et pur froment d’où l’on chasse l’ivraie !
Flamme nette, choisie entre mille flambeaux
D’un légendaire éclat, mais d’un prestige faux !
Dites, marquer son pas dans l’existence vraie,
Par un chemin ardu vers un lointain accueil,
N’ayant d’autre arme au front que son lucide orgueil !

Marcher dans sa fierté et dans sa confiance,
Droit à l’obstacle, avec l’espoir très entêté
De le réduire, à coup précis de volonté,
D’intelligence prompte ou d’ample patience
Et de sentir croître et grandir le sentiment
D’être, de jour en jour, plus fort, superbement.

Aimer avec ferveur soi-même en tous les autres
Qui s’exaltent de même en de mêmes combats
Vers le même avenir dont on entend le pas ;
Aimer leur coeur et leur cerveau pareils aux vôtres
Parce qu’ils ont souffert, en des jours noirs et fous,
Même angoisse, même affre et même deuil que nous.

Et s’enivrer si fort de l’humaine bataille
– Pâle et flottant reflet des monstrueux assauts
Ou des groupements d’or des étoiles, là-haut –
Qu’on vit en tout ce qui agit, lutte ou tressaille
Et qu’on accepte avidement, le coeur ouvert,
L’âpre et terrible loi qui régit l’univers.

(Recueil : La multiple splendeur)