THIRY Marcel

Biographie

Marcel Thiry est né en 1897 à Charleroi. Il a quelques mois quand ses parents viennent s’établir à Liège, qui constituera son point d’attache et lui fournira un de ses décors du cœur.

Il est élève à l’Athénée de Liège quand la guerre 1914-1918 éclate. Sur le point de terminer ses humanités, il abandonne ses études pour s’engager. Le chemin du front, pour lui, passera par la Hollande, l’Angleterre puis la France.

C’est là que se constitue une unité d’autos-canons (des «blindées», disait-on alors, en mettant le mot au féminin, parce qu’on sous-entendait le mot voiture) où le recrutement s’effectue un peu par cooptation : Marcel Thiry et son frère Oscar y sont intégrés.

En vue de renforcer l’allié russe, les Occidentaux lui envoient troupes et matériel.Les autos-canons s’embarquent à Brest le 21 septembre 1915, débarquent à Arkhangelsk et gagnent Tsarskoïe-Selo (aujourd’hui Pouchkine), dans la banlieue de Saint-Pétersbourg, où les accueille le tsar lui-même.

L’unité participe à différentes opérations militaires jusqu’à la révolution de 1917. À la guerre avec l’Allemagne et l’Autriche- Hongrie succède la guerre civile: Blancs contre Rouges. Dans ce genre de conflit, la présence de soldats étrangers en armes est toujours cause de difficultés.

Comme la guerre se poursuit à l’Ouest, les Belges sont amenés à regagner leur pays. Ils le feront par l’Est, par le chemin le plus long, c’est-à-dire en faisant le tour du monde. Ils empruntent le transsibérien cher à Blaise Cendrars : Omsk, Karbine, Vladivostok. De là, passage aux États-Unis où la troupe est accueillie avec délire. Défilés, fêtes. Il faut dire aussi que ces jeunes hommes, qui ont vu le feu, servent la propagande du président Wilson qui, après avoir mené une politique visant à tenir son pays à l’écart de la guerre, vient de décider d’y entrer, suite à différents événements préjudiciables à son pays.

Retour à Bordeaux le 28 juin 1918; la guerre est proche de son terme.

Démobilisé, Thiry n’est détenteur d’aucun diplôme. Mais l’État décide d’accorder des facilités à ceux qui, à vingt ans ou un peu plus, sont des anciens combattants. Thiry entre à l’Université de Liège où il obtient le titre de docteur en droit. Comme il le racontera lui-même dans Falaises, il réussira à être diplômé d’Université… sans avoir son diplôme d’humanités.

Marcel Thiry plaide jusqu’en 1928, année où, à la suite du décès de son père, il lui succède dans le commerce des bois et charbons.

Le voilà parmi les marchands. Il en connaîtra l’existence bousculée, les incertitudes; il connaîtra la faillite et des moments d’exceptionnelle aisance. Au fil du temps, il donnera la préférence au négoce des bois, ce qui lui permettra de circuler de la Hollande à la France et de chanter les villes et l’«astrale automobile».

Avec les remous nés de la montée des fascismes, Marcel Thiry prend position contre les dictatures (Hitler n’est pas jeune). Pendant la guerre, il publie des textes aux Éditions de Minuit clandestines (cf. Pierre Seghers, La résistance et ses poètes).

Élu dès 1939 à l’Académie de Langue et de Littérature Françaises de Belgique, il ne prononce son discours de réception qu’au lendemain du conflit, le 15 avril 1946. En 1960, il devient secrétaire perpétuel de cette Académie, et le reste pendant douze ans.

Défenseur de la cause française et de la communauté francophone, Marcel Thiry est élu, en 1968, sénateur de Liège, sur une liste du Rassemblement wallon. À ce titre, il représentera notre pays à plusieurs sessions de l’O.N.U.

Il décède en 1977.

Bibliographie

Le cœur et les sens, poèmes, Liège, Printing, 1919.
Soldats belges à l’Armée russe, en collaboration avec Oscar Thiry, carnet de campagne d’une auto blindée en Galicie, Liège, Printing; 2e éd. revue, Liège, Thone, 1923.
Voir grand, essai, Liège, Thone, 1921.
Le goût du malheur (s.d.), roman retiré de la bibliographie, Bruxelles, Éditions de la Renaissance d’Occident (1922).
Toi qui pâlis au nom de Vancouver, poèmes, Liège, Thone, 1924.
Plongeantes proues, poèmes, Liège, Thone, 1925.
L’enfant prodigue, poèmes, Liège, Thone, 1927.
Passage à Kiev, récit, Bruxelles, Éditions de la Renaissance d’Occident, 1927.
Statue de la Fatigue, Poème, Liège, Union Liégeoise du Livre et de l’Estampe; autre éd., Liège, Le Balancier, 1934.
Trois proses en vers, poèmes, Liège, Imprimerie des militaires mutilés et invalides de la guerre, 1934.
Marchands, nouvelles, Liège, Le Balancier, 1936
La mer de la tranquillité, poèmes, Liège, Thone, 1938.
La Meuse française, belge, hollandaise, essai, Paris, De Gigord, 1939.
Poèmes choisis, Bruxelles, Cahier du Journal des Poètes, 1939.
Hitler n’est pas jeune, essai, Liège, Amitiés françaises des jeunes, 1940.
Échec au Temps, roman, Paris, Éd. Nouvelle France, 1945 ; 2e éd. avec une remarque de Roger Caillois sur le récit irréel, Bruxelles, La Renaissance du Livre, 1962.
La Belgique pendant la guerre, chronique, Paris, Hachette, 1947.
Neutralité, mère de la pagaille, essai, Bruxelles, tiré à part de la revue Le Flambeau, 1947.
Le concerto pour Anne Queur, nouvelle, Paris, France Illustration, 1949 ; repris dans les trois éditions des Nouvelles du Grand Possible, 1960 (Les Lettres belges), 1967 (Marabout), 1987 (Labor, coll. Espace Nord).
Âges, poèmes Lyon, Henneuse, 1950.
Anabase platane, poème, Bruxelles, tiré à part du Journal du mois, 1952.
Juste ou la quête d’Hélène, roman, Bruxelles, La Renaissance du Livre, avec des illustrations d’Edgar Scauflaire, 1953.
Trois longs regrets du lis des champs, poèmes, Liège, éd. de la Flûte enchantée, 1955.
Usines à penser des choses tristes, Poèmes, Lyon, Henneuse, 1957.
Poésie 1924-1957, Poèmes, Paris, Éditions Universitaires, 1957.
Comme si, roman, Anvers, Bruxelles, Éditions « Le Monde du Livre », 1959.
Nouvelles du Grand Possible, nouvelles groupant Distances, Je viendrai comme un voleur, Le Concerto Pour Anne Queur, La Pièce dans la Pièce ; préface de Robert Vivier, Liège, Les Lettres belges, 1960.
Lettre aux jeunes Wallons pour une opposition wallonne, brochure politique, Liège, Thone, 1960.
Voie-lactée, « romance », Aalter, André De Rache, 1961.
Vie Poésie, poèmes, Aalter, André De Rache, 1961.
Expériences poétiques, note de critique, Liège, tiré à part de la revue Marche romane, 1962.
Le festin d’attente, poèmes, Bruxelles, André De Rache, 1963.
Simul et autres cas, nouvelles groupant : Simul, De deux choses l’une, Mort dans son lit, Besdur, L’homme sans lunettes, Palmyre ou la soumission, Falaises, Bruxelles, Éditions du Large, 1963.
Le tour du monde en guerre des autos-canons belges : 1915-1918, Bruxelles, André De Rache, 1965.
Nondum Jam non, roman, Bruxelles, André De Rache, 1966.
Le Poème et la langue, essai, Bruxelles, La Renaissance du Livre, 1967.
Nouvelles du Grand Possible, 2e éd., nouvelles, Verviers, Éd Gérard, coll., « Marabout Géant », n° 270, 1967.
Le jardin fixe, Poèmes, Lausanne, Éditions Rencontre, collection « Solstices », 1969.
Saison cinq et quatre proses, Bruxelles, André De Rache, 1969.
Attouchements des sonnets de Shakespeare, Bruxelles, André De Rache, 1970.
L’Ego des neiges, Bruxelles, André De Rache, 1972.
Songes et spélonques, Bruxelles, André De Rache, 1973.
L’encore, Bruxelles, André De Rache, 1975.
Toi qui pâlis au nom de Vancouver. Œuvres poétiques, Paris, Seghers, 1975. Comporte une importante bibliographie.
Lettre du cap, Bruxelles, De Rache, 1977.
Quatre inédits, in Marginales, n° 197, décembre 1980.
Romans, nouvelles, contes et récits, Bruxelles, De Rache.
Avoir connu San Francisco et autres poèmes, Bruxelles : Académie Royale de Langue et de Littérature françaises de Belgique ; Editions Ercée, 2008.
Tous les grands ports ont des jardins zoologiques, anthologie, Table ronde, 2011.
À cela s’ajoutent de nombreux articles, de politique notamment, parus dans revues et quotidiens, ainsi que quelques préfaces entre autres au Juge de Malte, de Denis Marion, aux pages de Carlo Bronne, au recueil Les Ors, de Lucienne Desnoues, à une anthologie d’Andrée Sodenkamp, etc.
Études sur Marcel Thiry et sur son œuvre :
DRESSE, Paul, L’évolution d’un poète, Liège, Le Balancier, 1934.
VIVIER, Robert, préface aux Nouvelles du Grand Possible, Liège, Les Lettres belges, 1960.
CLÉMEUR, Marcel, L’œuvre poétique de Marcel Thiry, Vieux-Virton, Éditions de La Dryade, 1960.
BODART, Roger, Marcel Thiry, Paris, Seghers, coll., « Poètes d’aujourd’hui », n° 124, 1964.
NOULET, Émilie, Alphabet critique, tome 4, Bruxelles, Presses Universitaires de Bruxelles, 1966.
FOULON, Roger, Marcel Thiry poète, Gilly, Institut Jules Destrée, 1969.
Numéro spécial de la revue Marginales, 1963, n° 89-90, « Hommage à Marcel Thiry », recueil offert à l’écrivain à l’occasion de ses septante ans, Liège, Georges Thone, 1967.
JACQUEMIN, Georges, Marcel Thiry, conteur, Vieux-Virton, La Dryade, 1973.
HALLIN-BERTIN, Dominique, Le fantastique dans l’œuvre en prose de Marcel Thiry, Bruxelles, Palais des Académies, 1981. (L’ouvrage comporte une importante bibliographie.)

Textes

NEIGE

Et s’il allait neiger doucement sur les lampes
La neige de la mort à travers les plafonds
Qui sont vains de la digue illusoire qu’ils font
A la neige, à la grande neige pardonnante?

Je vois, je vois la neige envahissant les banques,
Arrêtant par douceur le bruit des ateliers,
A travers les plafonds surpris d’être oubliés
Et nuls pour la neige antique et toute-puisssante.

Je vois celle qui dîne en bras nus, sous les lampes
Mondaines; les désirs d’elle comme de grandes
Vignes chaudes tordent leurs ceps entrelacés;

Or la mort neige à premiers flocons espacés
Quand nul convive encore n’a senti commencer
La grande neige qui endormira les lampes.

Commentaires

L’œuvre de Marcel Thiry s’inscrit approximativement dans les deuxième et troisième quarts de ce siècle et introduit le monde moderne dans la poésie.

Possédant une solide formation classique et, en même temps, très ouvert aux courants littéraires contemporains, Marcel Thiry laisse une œuvre élégante, distinguée, mais aussi subtile, intelligente et finement sensuelle, qui porte la marque des événements mondiaux (les guerres), mais aussi la trace des activités de l’écrivain (les affaires, les voyages, les rencontres internationales).

Il est surtout connu comme poète, mais ses romans ou ses nouvelles, ses essais méritent également toute notre attention.