L’homme dont je rêve est un chapeau.
Posé en l’air entre deux gouttes d’eau.
Lancé en riant, dans un éclat sans bords coupants.
Couché sur le pavé, devant les saltimbanques qui s’habilleront de rêve et déchirent leur manteau
Ou vissé sur la tête, comme d’un vieux passant, pour protéger son front des coups des faux amours.
Le poète dont je rêve est un ruban autour.
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Les mots comme les baisers naissent de la bouche :
ils sortent en criant combien la vie peut être belle,
le temps que dure leur existence.
Mais il y a les corps, mais il y a le temps…
Extrait de : Suppositoire, Tétras-Lyre, 2006.
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Un fossile d’absence.
Un fossile de miroir, un fossile de tramway avec ou sans wattman. Un fossile de retour. Un fossile de départ, un souvenir en pierre de ton premier regard.
Un fossile de ton nom, effacé par le sable.
Un fossile, immobile, de ce fameux hasard. Un fossile de café, avec deux sucres en pierre. Un silex pour touiller et un nuage de terre.
Les restes d’une attente.
Les traces d’un temps long.
Un caillou qui raconte
où nous sommes assis,
par où nous regardions
et de quoi nous parlions.
Nos mains entremêlées.
Nos corps entrelacés.
Et à la place du coeur, un fossile de coquelicot
Que cet archéologue a montré aux journaux.
*
Le boucher a posé son coeur dans le fumoir.
Et alluméle feu.
Il a posé sa langue sur le saloir.
Et n’a plus rien à dire.
Son ventre de farci regarde à la fenêtre.
Le boucher s’est tranché les deux mains au grand hachoir.
Et oublié ses mots.
Il a pendu ses yeux à deux crochets.
Et regretté ses nuits.
Son ventre de farci regarde à la vitrine.
Sa femme a disparu.
Il n’a pas supporté.
Le boucher a passé sa solitude au grand tranchoir,
au grand saloir, au grand vidoir.
Et découpé sa vie.
Sa femme a livré son coeur de truie à un autre marchand.
Juste un végétarien.
Et le petit boucher est couché dedans le magasin,
sous la lumière rose du comptoir à boudins.
Extrait de : Les mots, le miel et mille fois l’or, inédits.
J’ai devant moi une heure pour poser mes mains sur les tablettes du bar de l’aéroport. J’ai devant moi une heure pour poser mes yeux qui pleurent sur les femmes qui passent. Poète, poète, que veux-tu dire au monde ? – Que les femmes sont belles, et si imprévisibles. Un air d’accordéon passe sous la corniche. Poète, poète, que veux-tu dire aux femmes ? – Que les hommes sont cons. Il faut leur pardonner. Mon thé a goût de pisse, le pain, industriel. Poète, poète, que veux-tu dire aux hommes ? – Que le voyage est beau. Le monde attend qu’on l’aime. Curitiba (Brésil) juin 07
La journée du poitrimane
*
Quand vient le petit matin, l’homme se lève, sort de sa cage thoracique et s’en va, comme tout le monde, au boulot.
Il respire, il respire, les fleurs, les femmes, les flots, les flammes, les fureurs, les sanglots.
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Difficile, non ?
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Non. J’aime.
Puis il les inscrit dans un petit carnet, les enjolive un peu : plus beaux, plus forts, plus doux.
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Terrible, n’est-ce pas ?
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Non. J’aime.
Et le soir, à l’heure où il se couche, le poitrimane, qui a reniflé toute la journée, enivré, essoufflé, l’esprit tout embué, rêve des bonnes odeurs du jour.
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Si c’est pas malheureux…
-
Non, j’aime !
C’est un poète, avec son petit crayon, ses mains de glaise et ses yeux de carton. Un respirateur de l’instant présent, un espérateur des moments de demain. Et rien n’a plus de valeur, vraiment, que les carnets du poitrimane.
Extraits de Le tour du monde est large comme tes hanches, Tétras Lyre, 2010.