L’OMBRE DE LA PLUIE Mère emmurée parmi les familiers étranges, Sur toi coule la nuit de la grande partance. On a scellé ce six-places sans étoile Qui affiche complet aujourd’hui. Toi, la douce, l’aimante, la jamais lasse, Dernière visiteuse du cellier mystérieux, Comme tu vas t’ennuyer de moi ! A-t-on besoin de questionner les morts, S’il faut désormais dire les choses sans voix ? Ta ville couleur d’huître ne parle plus. La maison vide s’affole. Les feux qui reposent sont éteints. L’hiver a perdu la chaleur des soirs. Vers l’odeur des cataires le chat s’en est allé. Ma main sur son dos n’avait pas de patience. Dans la lumière noire l’invisible te contemple. Il frappe à ta porte poussé par l’habitude. Pour ton matelas de pierre, je cueille du feutre d’herbe. Que ferais-tu des éphémères ? Muette, je viens te raconter le monde, l’absence, la vie, Mes ors et mes tristesses obscures. A toi, l’aimée que la terre recrée, Je viens dire l’ombre de la pluie, Alors que, stagnante dans le sommeil, Ton âme en atome rejoint le cosmos. PERSPECTIVE Un jour je reviendrai affranchie du réel Me mêler aux pierres et aux couleurs de l’eau. Mais que serai-je, par les éléments submergée ? Un grain de pollen, un point lumineux, Un signe, une perspective, un silence, Le parfum d’un verger candide, Un arbre endormi sous sa nudité, Solitaire dépouillé de lumière, Rameau vert balayant le néant ? Serai-je de mes pensées racine devenue Ou orbe immense au soleil couchant ? Adoucirai-je la Baie Sombre en chevauchant le vide ? Serai-je molécule, essence d’un moi dissous, Terre, ferment, soupir d’algue, Gibier traqué dans le cosmos Ou flamme, élan, océan sans présence ? En vain j’interroge l’invisible. Ma voix à sa voix se noue, Quand les choses dans le temps S’en vont pour revenir Et que le je en moi ne peut que devenir. QUI ME DIRA ? Qui me dira pourquoi me manque La petite croix que patiemment Sur mon front tu dessinais, Certains soirs de grand pardon ? Qui me dira pourquoi je suis Ce chemin sans espérance, Sans craindre le temps qui passe Ni les profondeurs de l’ombre ? Seule la pensée perce le mystère Où se nourrissent mes illusions. Mère, tu m’apprends encore à vivre Et ma mémoire attend ton geste suspendu. SI L’AMOUR Si l’amour un jour se trompant de saison, Venait me visiter une dernière fois, Je courberais la tête et refuserais l’offrande. Je sourirais aux ombres détachées de l’album, Et si tu me regardais au crépuscule amer, Les miroirs trembleraient sous une eau immobile. PERE Jamais je n’oublierai les petits chaussons rouges Qu’un soir d’hiver tu ramenas A l’enfant souffrant qui dormait. Un éléphant se balançait. L’as-tu chantée, cette rengaine, La gorge nouée par ma fièvre ? Sur une assiette de faïence Notre pain avait bonne mine. Deux éléphants se balançaient. La vie chez nous fut simple et nue Devant le feu clair de tes yeux. Nous lancions la bête sur tes pas, Soulevant parfois la tempête. Trois éléphants se balançaient. Père qui n’était pas mon père, Tu l’as été bien plus encore Puisque d’amour tu nous aimas.