NOULLEZ Lucien

Biographie

Né le 13 mai 1957 à Etterbeek et décédé le 9 août 2023. Marié (1983) et père d’un enfant (1988).

Etudes secondaires à l’Institut St Thomas d’Aquin, section Sciences humaines.

Agrégé de l’Enseignement Secondaire Inférieur, section « Français, Histoire, Religion », diplôme obtenu en juin 1978 à l’Institut St Thomas d’Aquin.

Depuis septembre 1978, professeur de Religion dans l’Enseignement Secondaire Spécial de forme 3 à l’Institut Notre-Dame de Joie, (rue E. Allard 28 – 1000 Bruxelles).

Service militaire comme téléphoniste au Quatrième Régiment de Chasseurs à Cheval à Arnsberg (RDA) en 1980.

De 1986 à 1992, détaché pédagogique à l’a.s.b.l. Jeunesse Présente.

Diverses activités exercées dans ce cadre :
–  Animations spirituelles en milieu scolaire (une quarantaine de retraites et de récollection). –  Animations dites « 15+ », sous la responsabilité du Vicariat pour les communautés étrangères : rencontres de jeunes catholiques bruxellois issus de l’immigration. – Nombreuses animations visant à articuler le rapport « Littérature et Spiritualité »

De septembre 2001 à juin 2003 : Maître de formation pratique en sciences religieuses à l’Institut Supérieur de Pédagogie Gallilée, rue Vergote à Woluwe-st-Lambert.

Ecrivain. A publié une douzaine de recueils de poèmes. Est titulaire de nombreux prix littéraires (e.a. Prix de la Biennale Robert Goffin, Prix Hubert Krains et Prix Maurice Carême).

Critique littéraire, successivement à Marginales, Indications, La Cité, La Revue Nouvelle, La Revue Générale…

Chroniqueur à La Libre Belgique.

Son intérêt pour la littérature et le spirituel l’a également conduit à donner des formations dans ce domaine (e.a. au CETEP) et à publier des articles dans des revues spécialisées ou sensibles à ces problématiques : La foi et le temps, Collectanea Cisterciensia, La Revue Générale, …

S’intéresse également à la musique et à son histoire.

Membre du P.O. de l’école fondamentale et maternelle Magellan.

Bibliographie

  • Simples chercheurs. Bruxelles : Ed. Le Pairy, 1985.
  • Conjugaison de l’atelier. Tournai : Unimuse, 1989. Prix Casterman 1989.
  • Buisson, le visiteur. Bruxelles : Ed. Le Pairy, Bruxelles, 1989. Prix Emile Polak de l’Académie Royale de Langue et de Littérature françaises de Belgique 1991.
  • Douze fusils. Soumagne : Tétras Lyre, 1992.
  • Pénouël. Lausanne :  L’Âge d’Homme, 1993. Prix de la Biennale Robert Goffin, 1993.
  • La veillée d’armes. Lausanne : L’Âge d’Homme,1996. Prix Hubert Krains.
  • Comme un pommier. Lausanne : L’Âge d’Homme, 1997.
  • Plus grand monde sur les gradins. Soumagne : Tétras Lyre, 1998.
  • Des petits chiens selon saint Marc. Amay : L’Arbre à paroles, 1999.
  • L’ouïe fine et autres poèmes. Trois Rivières : Ecrits des Forges ;  Echternach : PHI, 2001.
  • Escarpe et Contrescarpe. Trois Rivières : Ecrits des Forges ; Echternach : PHI, 2003.
  • Pointillés. Lilles : Nuit myrtide éditions, 2004.
  • Un crayon pour des acrobates. Lausanne : L’Âge d’Homme, 2006.
  • Deux orgues pour les Minimes. Bruxelles : Alice Éditions, 2006.
  • Une vie sous la langue : journal 2011-2002. Lausanne : L’Âge d’Homme, 2009.
  • L’érable au coeur. Lausanne : L’Âge d’Homme, 2009.
  • Impasse des matelots. Lausanne : L’Âge d’Homme, 2010.
  • Sur un cahier perdu. L’Âge d’Homme, 2014. (La petite Belgique).
  • Le miracle vient de partout. Editions du Pairy, 2023.

En collaboration avec Colette Nys-Mazure :

  • Traces et Ferments.  Amay : l’Arbre à Paroles, 1998

En collaboration avec Jean-François Grégoire :

  • L’orage en deux :  une anthologie poétique de l’oeuvre de Gaspard Hons. Le Dé bleu, 1998.

En collaboration avec Marc Dugardin :

  • Adieu. Bruxelles : Ed. de l’Ours, 2000

Anthologie :

Deux textes de l’auteur dans : Piqués des vers ! : 300 coups de coeur poétiques. Bruxelles : Renaissance du livre, 2010.  (Espace nord ; 300). pp. 338-339.

À consulter :

Joiret, Michel. “Lucien Noullez, le musicien de l’écriture”. In : Lectures, n° 152, sept.-oct. 2007. p. 64-65.

Textes

Un crayon pour des acrobates (Extraits)
1.
La chair dans ce verre de vin
déjà engloutie par la nuit
transporte lentement les rêves.
Alors tu dis seigneur
et Le Seigneur est là,
sous le basson
sous le cristal.
2.
Grand singe, te voilà très musical.
Tu as vingt ans dans les vents faibles
et tu t’endors,
mâchant des noms de filles
et fredonnant un jazz au bleu puissant,
mélancolique sous les feuilles.
3.
Un enfant seul à la fenêtre
écoute l’oiseau décoiffé.
Plus tard il verra des chevreuils dans la mer grise.
Et qui pourrait empêcher nos espoirs
de se rouler dans des laines profondes ?
4.
Quand une épaule nue accroche mon regard
je suis un garçonnet de quarante ans
qui lit de la musique dans les trains,
qui marche entre les rails et se refait la vie,
comme au collège on respire les émotions
d’un ennui pur.
5 .
Dans cette vie, le gros trou noir
je cherche à le combler.
L’aspirateur
veut le combler aussi.
Il faut s’entendre,
disent les simples
en oraison.
6.
Bien sûr je pense à Catapulte
en écrivant cela.
(Ainsi surnommait-on le fils du carrossier).
Il s’est tué en mobylette
un soir radieux,
comme en font quelquefois les filles
aux plus maladroits d’entre-nous.
7.
Méchante femme !
Et la méchanceté, de son parapluie noir
assombrit tout le peuple humain.
Quant aux hommes méchants
ils accusent les soies
et les poignards cachés
à l’ombre des fées blanches.
8.
Bien sûr qu’au ciel on compte les péchés !
On les recompte,
on n’en croit pas ses doigts.
Et puis, par la fenêtre ouverte
un grand vent vient mêler
les roses aux cendres
et la prière
aux charabias .
9.
Un jardin tombe tout entier dans le sommeil
de mon amour.
La ville se chiffonne quand elle dort
et, joyeux, les marins de l’aube, les postiers,
les boulangers, les crieurs de légumes, les
fleuristes
offrent à la pluie
un chœur nouveau.
10.
O mains rouges du Christ, mains de Jésus,
mains de péniches dans le ciel, un peu rouillées
et mains de mon beau-père Franz,
calleuses, très profondes et parfaitement mains.
Il neige sur le temps,
ô pauvres mains.
11.
Mais après tout, toutes les robes qu’on enlève
ne volent pas.
J’en ai vu quelquefois flotter au sud
sous l’œil moqueur des perroquets,
toujours à rechercher la source,
malgré la peur
dans la bagarre des torrents.
12.
Peut-être faudrait-il une vie bien plus grande
(et la grandeur serait tout le silence accumulé)
pour saluer les petits rois de la poussière.
Alors, venez, poings d’ange, mes
moineaux.
13.
Les saintes femmes lavent aussi
les pieds de la musique.
« Un dièse simple où se touchent les corps
et tout est accompli »,
prétend le merle.
14.
Et s’il n’y avait rien,
rien qu’un carillon creux
pour que rêvent ici
les feuilles obstinées
et les humains têtus ?
15.
Avant les hommes priaient, nous dit-on.
Maintenant ils remontent.
Quand cela monte, les prières
laissent le rouge aux coquelicots.
Mais quand plus rien ne monte et rien ne prie,
le rouge n’a pas peur :
il donne à voir.
16.
Le clavicorde du ruisseau
répète « je vous aime ».
Un regard nous ferait tomber
sur la neige brulante.
Mais on ne marche pas avec les yeux.
Le temps demeure, fier glaçon
et grand volage.
17.
Ton sommeil enroulé dans les wagons
a mis des mains sur mes hanches boiteuses.
Les acrobates aux plis du cœur
vont te rejoindre
et ton corps, mon bleuet tragique,
montera dans mes yeux fermés.
18.
                                 Pour Romane
Votre fillette encore engloutie dans l’immense
baptise en s’endormant nos cœurs de pauvres.
Elle ferme des yeux qui ne voient pas,
qui sont des phares sur la mer du temps.
Nous aurons toujours froid, loin de ce feu.
19.
J’entends l’avion qui n’entend rien.
Dans la fanfare, un crayon clair
a fait lever les yeux.
Comme plombé, le corps soupire
et la craie de la joie palpite.
Alors on aimerait valser aussi,
monde tourneur.
20.
Le cœur, au chapelet solaire dit encore :
« Aimez-vous Dutilleux ? »
L’indéchiffrable
aura toujours un couteau sur le cou
et la musique
un tranchant d’espérance
un peu plus loin.
21.
                                   Pour Benoît Mernier
Kyrie pour les gros baisers des enthousiastes
et Christe pour la gouaille des forains.
Les antennes paraboliques
et les cheminées de la ville
répondent Gloria, Credo et Sanctus,
quand les usines affolées
lâchent leurs fumées pour
l’agneau.

Commentaires

À la fois sereine et fébrile, cette démarche faite d’interrogations mystiques intenses, évite toute religiosité facile ou larmoyante. Ainsi, ce n’est pas la Foi elle-même mais la question qui est au coeur de la Foi qui incendie et justifie le territoire poétique, arpenté en une union contradictoirement fertile d’angoisse et d’étonnement émerveillé.

Jean-Luc Wauthier, avril 1993, Le Journal des poètes. À propos de Douze fusils.

Maintenant qu’il a combattu avec l’ange et qu’il a été vaincu, il connaît son chemin, sa force et sa faiblesse. La peur l’a quitté, le vilain amour-propre. (…) Cette assurance et cette fragilité ont forgé le souffle et le ton singulier du poète, elles ont donné à son vers tout le rythme et la souplesse qu’il exigeait. La joie a fait le reste, ouvrant des fenêtres jusque dans les coins les plus obscurs.

Guy Goffette, Le foi de l’ours est une danse, septembre 1993, in Le carnet et les instants. À propos de Penouël.

Plus qu’une aimable manière de vivre, la poésie est progressivement devenue, pour Lucien Noullez, une façon générale de penser la vie, de lui chercher un sens, d’en débusquer les impasses, et surtout d’entrer en dialogue.

Geneviève Bergé, Dossier L, 1994.

La connivence directe prend le dessus sur tout ce qui relève du littéraire pur, de quelque théorie ou système philosophique ou théologique. La parole directe, voilà ce que poursuit Lucien Noullez.

Gaspard Hons, Le mensuel littéraire et poétique. À propos de La veillée d’armes.


Chaque poème vrai est un miracle et chez Lucien Noullez, le miracle se répète sous le couvert d’une apparente désinvolture (…). Ayant compris depuis longtemps que le tragique de la vie peut naître du quotidien, le poète sait aussi que la légèreté d’une existence n’a d’égale que la pesanteur de la mort. Ainsi, le ton léger et badin saisit mieux le drame de notre précarité que l’hyperbole et la redondance.

Michel Joiret, dans le verger secret de Jacques Prévert, dans Le non-dit, janvier 1998. À propos de Comme un pommier.

Cette esthétique (et cette éthique) de la parole poétique, marquée du sceau complémentaire de la gravité du sens mais aussi de la légèreté de l’être, du poids de la grâce mais aussi de l’allègement des qualités, fait tout le prix d’une attitude au monde, qui est celle de Lucien Noullez, et qui demeure inimitable.

Éric Brogniet, Sources, n°99, Février 1999. À propos de Plus grand monde sur les gradins.

*
La leçon du recueil est qu’il y a un rien qui se dérobe au tout, pis encore : le tout se fait synonyme de rien. Je paraphrase ici le poète. Tout dans ce recueil mène vers un aphorisme qui n’est pas seulement cri de désespoir, car il reste le recours de la prière.

Jalel El Gharbi (Tunisie), à propos d’Escarpe et Contrescarpe (2003)).