[Sillons] 131. Mes mailles au lac à tel point baillaient lâches Qu’il m’y prit l’idée de devenir passeur d’âmes 132. Curieux comme peut peser le péché, le passé, L’impuissance à penser un projet qui plaise 133. A choisir, je préfère l’enclume Le marteau ? C’est tellement massif ! 134. Celui qui s’approche fait la part belle Aux possibles, à l’avancée 135. Privé soudain de la brise exquise des sous-bois, J’ai gagné l’orée où sentir les magies de l’espace 136. J’envie déjà ces moments d’évidence Comme un ciel vif, sans la moindre nue 137. Plante au point focal de ta parabole L’arbre branchu aux mille et un oiseaux 138. Jour après jour, je tricote ma vie De fil en aiguille, maille à maille 139. Au gré des allégresses ou en dépit de mes peines, Je grappille des bonheurs à la surprise du menu 140. Qui n’a maraudé d’angoisses N’aimera la pierre de touche …/… [Nielles] Anamnèse Au coin bourguignon d’un salon ducal, En surplomb d’autant d’ondes saumâtres Où stagne une eau bistre mêlée de ténèbres, Me suis souvenu des dîners fins partagés en famille Autour de ma mère déjà requise par ses mélancolies Jusqu’à choisir, en héroïne indomptable du don, la seule issue qui l’intronisât dans la paix Elle a pris congé des siens pour aller son destin, Telle une tragique et raide cariatide Engloutie en ses voiles diaprés d’amertume, Coiffée d’une couronne aveugle, Bordée de gemmes saturnales Passé les décennies du dépit, de la tristesse, La roue n’a pu boucher les nids du souvenir Est-ce ainsi que j’ai ressenti, lors d’une soirée, A ciseler les lendemains d’une amitié d’étain, Au fil étale du miroir des baumes, Un rai de lumière qui lançait le halo de l’espoir ? Soudain de biais un cygne au col digne, Assez vaillant pour jouer franc, Me fixa gaillard d’un regard orange noir, M’embrassa de son vaste poitrail d’hermine Qu’avivait sa vibrante envergure C’était le signe, l’annonce, le présage Du temps neuf survenu après des temps De doutes, de geôle et d’asthénie, De mirer en face de la vie l’avers de l’avenir, Au timon, redresser la barre d’aplomb L’urgence d’aller voguer pavillon blanc, Sur tous les camaïeux du monde, Perler de nacre les grains de l’adamantin, Lisser d’apprêts les regrets de jadis, Filer fier et doux sur le reflet de l’eau, En avant tout, un adieu au frisson de sa queue …/… [Ambres] Pavé Il y a des enfants nés sous une bonne étoile, d’autres, à la belle étoile. Il y a des enfants nés à côté de chez eux ou, comme il arrive souvent, en l’absence de leurs parents. Il y a des enfants nées Unetelle de Quelque Part et des nouveaux nés de nulle part. Certains trop tôt, et de plus en plus, certains trop tard, des séquelles à la clé. Des enfants rêvés, désirés, attendus mais aussi des enfants commandés, expédiés, mal reçus. Des enfants faciles pour les parents et des parents fossiles pour les enfants. Des enfants sans enfance, vieillards avant l’âge. Des linottes à l’école, des pinsons de maison. Et ceux qui marchent très tôt et ceux qui parlent si tard, voire, jamais ! S’ils pouvaient ! Des enfants cruche, des soupes au lait, des enfants chou, aux enfants soleil, des enfants gémeaux, des enfants cancer, des béliers ou des vierges, des poissons ou des taureaux. Des Jean qui pleure et des Jean qui rit. Misérables titis, misérables gavroches, cosettes et poulbots, mioches et marmots, moutards et mouflets, potaches et blondins, nichées à marmaille, répliques des parents, depuis la nuit des temps, sans que le monde n’aille pour autant à sa perte fatale, diront certains, quand, soudain, d’entre mille, … survint … l’héritier ! Le roi est mort. Vive le Roi ! On fit remarquer : « Il est métis ! » – « Quand bien même … ! » L’infant dauphin ! Voilà le fin du fin ! Prince en sa ville à lui, il règnera sur ses sujets, un royaume enfin, un empire d’enfants sans plus jamais d’enfants battus, d’enfants violés, d’enfants perdus, d’enfants gâtés, d’enfants maladroits, d’enfants du sida, d’enfants perturbés, d’enfants de mines, d’enfants de chœur, d’enfants prodiges, d’enfants martyrs, d’enfants torturés, d’enfants naturels, d’enfants abusés, d’enfants…Oui ! D’enfants …Mais finalement qu’importe les enfants du monde, les règnes qui se succèdent et tous les Etats, signataires ou pas des plus sublimes conventions, des chartes universelles de la plus haute élévation, car il reste au tréfonds de moi un enfant. Il faut que je m’affaire à celui-là, cet enfant que je fus, conçu en son temps, selon l’air du temps, à l’audace ou l’effroi des parents, sitôt ado, victime requise avant même que j’y pus, que j’y fisse, blessé, ce faisant, irrémédiablement, par surprise, crevé à flanc de conscience, gorgée encore d’innocence ingénue, cet enfant, chargé désormais de souvenirs éternels, mérite, et la justice, et le droit, de soigner sa blessure aux onguents de la tendresse, aux rayons chatoyants d’un regard, au souffle chaud d’un homme, subtil et serein qui comprenne et s’adjoigne cet enfant pitoyable restauré, vulnérable, capable de ses dons jusqu’à pardon, foi de moi, crénom ! Humilié jadis à jamais, je m’incline et m’abaisse, qu’il se redresse, cet enfant-ci !