Romancier, photographe, Jacques Meuris (1923-1993) restera pour beaucoup l'excellent analyste et avocat de l'art contemporain, mais on soulignera la qualité du poète d'Elpénor ou la Méditerranée (1963), qu'avait révélé puis confirmé avec Keepsake (1966) l'éditeur George Hoyoux. Esthère raffiné, Meuris distille magistralement ce qu'il faut bien appeler une prose poétique, dont l'intelligence et les luxuriances conjointes le situent dans le sillage d'André Breton: l'évocation des "grandes forêts du Parana" n'a rien à envier à celle du Teide, par exemple, dans L'Amour Fou, et là comme ici, la poésie ne craint pas d'évoluer au courant d'un récit où l'itinéraire géographique, balisé de références précises se double d'une quête inférieure, en trace la sismographie par l'enregistrement des influx sensoriels les plus divers; la notation aiguë du spectacle physique conduit bientôt au désir, au besoin de le rêver, de le recréer par la fusion même des registres. Qui ne songerait au Rivage des Syrtes, à son atmosphère, traduite avec une aisance en quelque sorte exigeante, mais à travers Julien Gracq, on pourrait remonter à l'extrême précision intellectuelle et sensuelle de Valéry. A l'inverse d'un affrontement des horizons, Meuris suggère une interpénétration des rivages méditérranéens, tant dans l'espace d'"une mer nôtre" que dans la durée des civilisations ou encore dans le travail souterrain des imaginations personnelles.
Bruxelles Poésie, L'arbre à paroles, 2000.