Je prends cette bouche
Je prends cette bouche
Je prends cette langue
Monte monte
orage aux pupilles
Reprends cette bouche
Reprends cette langue
Tombe tombe
dernière coquille
Je nomme tienne
cette blessure
Mange mon coeur
mange à ta faim
Gonfle gonfle
ouragan des poumons
Souffle ta rage
aux rivages du coeur
Mange ce nuage ma bouche
Je prends cette bouche
Je prends cette langue
Inonde mes mains marée des hanches
Dévaste mon front tornade
Une larme
pèse plus qu’une goutte de sang
***
Vois :
Les orages du printemps
lavent la face de la terre,
cet ouragan de violence
lavera le front des hommes.
Nous y laisserons de notre vie
la meilleure part,
nous y laisserons la plus grande part.
Car il faudra trancher le cordon de chair vive
qui nous joint au passé.
La cicatrice réfractaire,
Combien d’années pour la fermer ?
Ces plaies universelles qui t’émeuvent,
combien de siècles sont morts à les nourrir !
Arme-toi de courage, cœur trop sensible,
nous sommes la génération de pierre,
assise des générations.
Naissance de la révolte
Les Cahiers du Journal des Poètes
( 1934)
Désemparé chassé de ton rempart
tu te mires dans le vide
Tu n’enchaînes plus que les menaces creuses
dont se repaît ton cœur
Ton abri le plus sûr s’est retiré de toi
L’abri déjà n’est plus que la prise incertaine
du chasseur à venir
La tour bâtie
s’est dissipée dans le mirage des nuages
Les fleurs qui couronnaient le faîte
qui sait Peut-être piquées
dans les crinières de la mer
Le chasseur aux mains vides
Les Cahiers du Journal des Poètes
( mars 1936)
Il suffit d’un commun éclair
pour que les yeux se lient aux yeux
du naufrage d’une larme secrète
pour que les mains se lient aux mains
Pour que les serres menaçantes
s’engloutissent dans le ciel
Il suffit d’une parole
Les merles échappés aux vergers de l’enfance
se rient du tonnerre
la meute des chiennes plaintives
abandonne mes pas
le silence se gonfle en une voix aimée
pour bercer mes silences
La foudre me tient par la main
René Debresse, éditeur avril 1936.
Chant de route pour la mort.
Ou la mort à la coupe ou la mort à la croix
Ou la mort à la faux portant un sablier
Ou la mort à la dague ou la mort aux chandelles
Ou la mort au couteau que fournit la charrette
Ou la mort grande dame chevauchant les routes
dans la plainte des fifres le chant du soleil
Je change de visage et je reste éternelle
Europe sans pardon ( extrait)
René Debresse, Paris,1938
Chant pour la transfiguration du visage
Visage beau visage
lève-toi de la neige
Visage plage d’aube
je n’ose reconnaître
tes frontières de chair
Visage beau visage
tes anges sont-ils morts ?
Je le touche si j’ose
le visage désert
je lui rends ses fantômes
Gages
Cahiers du Journal des Poètes( 1939)
VISAGE CHAIR DOUCE AU DELIRE
Age ange angoisse
la tête se tue à penser
le bras se lasse d’abattre
Tu effaces un visage de ton œil
une tache remplace la face enlevée
seule la couleur a changé
Cicatrices étoiles de la chair
leurs branches ne cessent de grandir
une blessure vit à l’envers
Visage chair douce au délire
son ombre te quitte avec le sommeil
Faudra-il le noyer pour le revoir à l’aube ?
Tu te perds dans cette eau qui dérobe la terre
La taille que tu prends dans tes mains adoucies
se révèle une vague sans poids et sans corps
Toutes tes passes d’âmes te livrent à la nuit
Tes statues de fer s’éveillent pour mourir
Tu sais que désormais tu n’entendras le sable
Un naufrage à lui seul emplit l’éternité
La folie du reître
La Maison du poète ( 1942)
Il m’a fallu longtemps pour le savoir
ton visage d’entre lune et soleil
ce visage lavé par les eaux du sommeil
qui s’efface devant l’âme
Il t’a fallu longtemps pour le savoir
sous l’armure noire du cavalier
Ce tendre cœur trop souvent foudroyé
qui fait ton apprentissage
Il nous a fallu longtemps pour la voir
briller en nous comme un feu de minuit
souveraine compagne du jour de la nuit
l’éternelle présence
Le jour se lève
La Maison du Poète (1950)