LINCKEN Piet

Biographie

Issu de la génération née après 1968, Piet Lincken, belge d’origine franco-suédoise, mène un travail protéiforme et inclassable afin d’amener à un questionnement autour de l’écriture, de la création, et plus largement de la condition humaine. Poète (Les Bosquets noirs -textes de 1990-2013, J’ai cru voir un dieu, 2010, aux éd. Le Coudrier, et S’entraîner au passage des abîmes, L’Âge d’Homme, 2011…), dramaturge (N’éveillez pas l’ours qui dort, Festival Scénoblique 2010, France), traducteur de la poésie scandinave (un choix de poèmes d’Edith Södergran, traduits du suédois, dans le recueil de Piet Lincken, Å, itinéraire suédois, Atelier de l’agneau, 2011), il est aussi compositeur (Psaume 49, pour chœur et orchestre symphonique, 2006, Cycle pour soprano et piano au Parlement de la Communauté française de Belgique, 2005) et pianiste/organiste professionnel (création de ses œuvres aux orgues de Saint-Germain-des-Prés à Paris etc.). Plus récemment, et dans un parcours proche de celui qu’il mène en photographie sur la Scandinavie, il expérimente le dessin, le plus souvent au fusain et au marqueur, dessins qui font périodiquement l’objet de reproductions en revue ou d’expositions. Il a été souligné à plusieurs reprises une certaine filiation entre son travail et l’expressionnisme nordique (Munch, Barlach…).

Bibliographie

  • Hommage à Jacques Demaude, dialogue avec Piet Lincken. Ed. Les Elytres, 2002.
  • Des éléments premiers. Ed. Atelier de l’agneau, 2004.
  • Présent gnomique. Passage d’encres, 2007.
  • J’ai cru voir un dieu. Le Coudrier, 2008.
  • Soufflet de forge. Les Elytres du Hanneton, 2009.
  • Forêts. Les Elytres du Hanneton, 2010.
  • Å itinéraire suédois et nouvelle traduction de poèmes d’Edith Södergran. L’Atelier de l’Agneau, 2011.
  • S’entraîner au passage des abîmes : poèmes. L’Âge d’Homme, 2011. (La Petite Belgique). Préface d’Eric Brogniet.
  • Les bosquets noirs. Le Coudrier, 2013. Illustrations de Catherine Berael.
  • Parmi les sphères. M.E.O, 2013

Commentaires

À propos de : S’entraîner au passage des abîmes, Piet Lincken, L’Age d’Homme, 2011
« Le réalisme me donne l’impression d’une erreur. La violence seule échappe au sentiment de pauvreté de ces expériences réalistes. » Georges BATAILLE, L’Impossible.
Pour l’entendement clôt des mots habituels (habitués à leur clôture), les abîmes sont impossibles à franchir. Il est donc tout à fait idiot (et inutile) de vouloir s’entraîner à leur passage.
Si d’aucun, nonobstant ce très sage prolégomène, s’entête pourtant à poursuivre l’entrainement, l’entendement en chef pourra le déclarer de la catégorie des crétins ayant perdu tout sens commun, ou bien dans un geste à la mesure de son infinie (et bien connue) mansuétude l’admettre à celle des « doux rêveurs ». Nous aurions tort, toutefois, de croire que cette sous-catégorie soit plus « glorieuse » que la précédente. Le généralissime entendement tolère (sa tolérance est également légendaire) les « doux rêveurs » tant qu’ils se rangent aisément dans cette boite-là. Cette stratégie lui a permis, entre autre chose, de mélanger, sans état d’âme, évidemment, les poètes avec les rimailleurs à l’eau de rose, les naturopathes et autres écolos « enchantés », un bon paquet de philo et de miso-sophes, les zutopistes… bref avec tous les escrivassiers tiédasses…
« En partant de L’Impossible de Georges Bataille(1962), originellement titré en 1947 La Haine de la poésie, Lincken montre, à la suite d’un Denis Roche, que le joli et le poétiquement correct sont les pires ennemis du poétique. »
Eric BROGNIET, extrait de la préface à S’entraîner au passage des abîmes, Piet Lincken, L’Âge d’Homme, 2011.
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« Nous voici donc face à l’un des ceux-là qui veut percer le fond du tiroir moisi des « doux rêveurs ». Le brûler à la flamme du verbe. Un fouet de feu dont la lanière trace un chemin, une voie étroite, « une voie d’accès à une terra incognita, à un temps et un lieu absolus, en perpétuelle métamorphose, donc à l’impossible. »
Eric BROGNIET
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L’entendement généraliste est réaliste. L’impossible il s’en gausse, pour masquer son effroi, puisque impossible et incompréhensible dévoilent son inanité. La poésie ouvre, avec force et violence, à l’outre-entendement. Au perpétuellement insaisissable que les mots ne font que cerner, que délimiter. E. Brogniet, dans son excellente préface évoque un « raclement du moi » par le poète. Il s’agit bien de cela. La poésie ne « dit » rien, par les mots elle racle les mots, elle apophatise la parole utilitaire (« domestique » comme disait Khlebnikov), la parole vaine qui s’agite dans le poète et qui doit être transhumanée (pour reprendre le « mot » de Dante).
Il y a bien une haine dans la poésie. Haine qui est l’impossible amour consumant !
« Que n’es-tu froid ou bouillant! – Mais parce que tu es tiède, et non froid ou bouillant, je vais te vomir de ma bouche. » (Apocalypse de Jean, III, 15-16)
Franchir cet abîme d’anneau de peau de serpent. Frottement, raclement, fusion et rupture, extatique acceptation et refus incendiaire. Avancée et reculade d’une célébration cosmique toujours hésitante…
Se blottir dans le monde et fouetter sa face, se frotter à lui avec grâce et le fuir dans une grande flambée violente…
L’antinomie amie se profile.
Le poète est, toujours-déjà le point de jonction-friction-fission entre l’athée le plus véhément et l’amant (érastès) de l’Amour divin le plus fou… Tous deux sont apophatiques dans l’âme !
Là est l’abîme. Là est le bel abîme. Le franchir ? C’est une autre question…
ce jour-là j’ai respiré l’odeur de l’âme (pourtant ma figure d’humain
garde encore la trace de la larderie)
je leur chuchote que je serai obéissant à leurs chemins fleuris
à vrai dire, par les yeux de celui qui vous aime, la création n’a plus de barreaux
Les Bêtes, Piet LINCKEN
 *
Je viens de lire vos poèmes, non seulement avec plaisir, mais avec une reconnaissance de leur latitude et de leur longueur d’onde.
Kenneth WHITE
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Homme de transparence inquiète, Piet Lincken se livre avec l’extrême pudeur des hautes lignées. Chez cet intellectuel qui maîtrise la phrase comme on mesure ses pas, l’arrêt en contemplation prend toujours le dessus. C’est ainsi que le rapport avec la vie, avec l’instant, prend plus d’importance que l’œuvre.
S’il est vrai que des clefs sont parfois nécessaires pour entrer dans le corps du poème pour en saisir toutes les subtilités, il n’est pas moins vrai que l’univers de Piet Lincken se suffit à lui-même grâce à l’intensité et à l’authenticité que l’être exprime dans toute sa complexité.
Jean DUMORTIER
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Chez Piet Lincken, la façon de déborder de la langue française ne relève manifestement pas de l’artifice : cela paraît aller de soi, et cela procure au lecteur polyglotte un plaisir…glacé (eiskaltes Vergnügen !)
P. VALLON,  L’Âge d’Homme
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C’est une poésie qui fait l’éloge de l’instinct, de la perception immédiate et surtout du corps « propriétaire » d’un langage inaliénable (…). Antonin Artaud se demandait sans cesse ce qui avait avili la vie ; ce qui la privait de sa part d’extase. Lincken nous donne un élément de réponse en nous faisant entrer dans un royaume de l’ici et du maintenant (…). Tout ici n’est que cri, mise à jour d’une vérité sans image, voire apologie d’un désordre absolu.
Pierre SCHROVEN