Michel Lambiotte De plus loin encore, suivi de En compagnie d’un ami, postface de Fernand Verhesen, Le Taillis pré. Auteur d’une œuvre qui compte à ce jour une quinzaine de volumes, Michel Lambiotte est assurément l’un des poètes les plus exigeants. Discret, il a même souhaité poser la plume, à l’exception d’un livre paru en 1981, pendant plus de quatre décennies. Or, force est de constater que, depuis une bonne demi-douzaine d’années, il est bien venu à son travail sur les mots avec de nouveaux recueils* dont il y a peut être lieu, au moment où Yves Namur fait paraître De plus loin encore, son dernier livre à ce jour, de considérer les enjeux esthétiques et ontologiques, sinon métaphysiques avec attention.
Dans le voisinage d’un André du Bouchet ou d’un Jacques Dupin, à l’évidence familière de l’ombre portée par les hautes figures déchiquetées de Giacometti, Lambiotte élabore un espace littéraire en permanente tension. Le poème ici est surtout poème du poème. Ainsi que l’écrit Verhesen, il est « expérience au sein même de l’écriture, et dans son cours comme dans son décours sans que l’un ou l’autre épuise jamais sa genèse. Pensante d’elle-même, cette écriture à la fois se reflète et se prononce. » Qu’est-ce à dire ? Eh bien, avant tout, qu’on a affaire à ce que l’on pourrait dire un méta-poème. Un texte ayant établi son aire, par delà les surgissements du contraire, dans les interstices ou les intervalles. Entre le silence et la parole. Entre le proche et le lointain. Entre absence et présence. Entre lumière et obscurité.
Entre le signe et ce qui l’efface aussitôt, entre le souffle et son étouffement, entre intériorité et désir de l’extériorité, il semble bien en effet pour Lambiotte que rien ne se laisse capturer que par un jeu perséen où l’on peut s’approcher et voir qu’en détournant le regard vers le miroir. D’où certainement aussi la scansion aérée si particulière de ses vers rares sur la page qui les scie de blanc comme pour indiquer que la vérité n’est peut être nulle part ailleurs que dans la vibration qui en émane alors, ces incidences du souffle, comme il dit quelque part. De même, on pourrait dire de la figure qui se détache de son poème qu’elle s’apparente moins au dessin tracé au bâton ou au doigt par un moine zen, que le geste qui consiste à l’effacer bientôt.
Le poème ne comble donc pas. Il creuse toujours plus avant ce qu’il y a à dévoiler et ne dit qu’en faisant sans cesse reculer la possibilité même de dire ce qui est cependant le simple : la capture du blanc/dans le soleil des herbages. C’est que Lambiotte en est conscient de façon aiguë :la parole, fût-elle la plus spontanée, déconstruit derechef tout assentiment exprimé à la présence, à l’être du monde aussi bien qu’à notre corps lui-même. Crier, c’est fatalement toujours recomposer l’écart. Si pour autant sa poésie ne renonce nullement à assumer ses fonctions de leçon de vie loyale et de compagnonnage fraternel et lucide avec ce qui est, et si c’est bien mains offertes à la rencontre qu’elle présente, elle ne le fait pas moins avec le sentiment que c’est de façon traversière, biaisée qu’il faut procéder.
Sa syntaxe elliptique, abrupte parfois, en témoigne. Et c’est également ce que semble suggérer une poétique où le verbe, qui manifeste l’infini chatoiement des apparences, est toujours subordonné au nom, qui est la substance même. Ce faisant, en ontologiste prudent et volontiers interrogateur, conscient de la difficulté que suppose la tâche que représente le rapprochement réversibles des pôles, Lambiotte parvient à désigner les assises et les solives de l’être, cette énigme à distance soustraite.
Mémoire présente de l’être éternel davantage que souvenirs d’un homme, pure brûlure du temps sans retour, la poésie de Lambiotte opère comme un relais entre conscience et réel. Implantée dans une zone franche où elle peut à loisir méditer et diffracter selon la lumière, elle produit une véritable rupture des sens qui, loin d’être stérile, s’avère à terme ouverture à un autre regard et un autre souffle.
Christophe Van Rossom (Le Mensuel littéraire et poétique n° 312) * Citons notamment, tous deux publiés également au Taillis pré, Le temps dérobé (2001) et Miroirs ou le Temps contigu (2002)
Michel Lambiotte
Miroirs ou le temps contigu et De plus loin encore, postface de Fernand Verhesen, Le Taillis Pré.
L’écriture de Michel Lambiotte grandit d’une façon certaine le poétique dont nous sonmmes proches, qui subit en ce temps des coups, dont il se relèvera. Si Michel Lambiotte a fait retour au poétique après une longue absence, c’est sans aucun doute, aussi, qu’il désire engager pleinement sa responsabilité devant cet effritement et effondrement que révèle notre époque.
Le poème d’aujourd’hui se dilue de plus en plus dans la proximité et la banalité. Comme le note Fernand Verhesen dans la postface de De plus loin encore, le poème est ce lointain toujours plus lointain, ce présent toujours plus présent. Verhesen rejoint Lambiotte et ceux qui l’accompagnent ni en riverains, ni en souverains, à l’intérieur d’une vaste région où les sentiers sont aussi précis que lointains de leurs horizons.
Faisant référence à ” l ‘objet invisible ” de Giacometti, Fernand Verhesen m’oriente vers une autre proximité, celle de Giacometti et de l’art étrusque. La déclinaison de la lumière, du poétique, d’elle par Michel Lambiotte, s’inscrit parfaitement entre (ou dans, ou par superposition) cette haute statuette, étrusque, étirée comme une épingle à cheveux, ” l’ Ombra della sera” et le bronze de Giacometti, ” Femme nue debout ” (1954-1957). L’une et l’autre sont étrangement proches; entre les deux il y a: ” la pénétration de l’ombre de l’autre / l’accès de l’illimité “, et entre-elles s’ écorche l’ombre. Les deux, chargées de ” lointain toujours plus lointain ” portent quelque chose, mais quoi ? Le poème ou le texte de Michel Lambiotte est ainsi, il a en soi, mais ne sait quoi. Il est proche du noble vase de nectar de Silesius. Pour le mystique, c’est la vacuité. Pour notre poète, la lumière évoquée, pourrait-elle se confondre avec la vacuité du mystique: ” cette tache sur l’herbe qui échappe aux signes / celle qui / n’a pas de nom / absorbée dans son propre éclat “.
Michel Lambiotte cherche-t-il à donner un sens manifeste, oriente-t-il le contenu de ses livres vers une finalité pragmatique, évidente?
Joue-t-il avec cette dialectique, thèse, antithèse, synthèse, construit-il un monde parallèle au nôtre, au sien, théorise-t-il, donne-t-il des recettes ou formules pour bien vivre, pour accéder au bonheur? Il n’a, et nul ne l’ignore, ni message à transmettre, ni leçon de morale à graver au fronton du temple de l’humanité. Pas de transcendance !
Fernand Verhesen le dit mieux qui quiconque: Michel Lambiotte fait une expérience. Pesante d’elle-même, cette écriture à la fois se reflète et se prononce. Son écriture est un moteur premier. Lambiotte va, sans plus. Pour se rejoindre. Ou bien son texte le rejoint-il?
Il y a cette présence absorbante, cette appelante qui sans cesse fait signe, il y a l’errante (…) qui dans la nuit découvre la rose. La rose de qui ? De Silesius, de Juarroz, de Personne ?
Dans une suite intitulée Au nord de la nuit, le poète n’est plus certain de sa marche, il semble se perdre dans quelque commentaire de l’être, sans doute pour mieux en percevoir la transparence. Nous suivons notre ami poète même, et surtout, lorsqu’il traverse des contrées quelque peu abruptes. Nous le suivons aussi par fidélité à une écriture qui ne dit pas pour dire, sans plus. Nous sommes pris par le magnétisme qui sourd de son oeuvre. Et de son personnage…
” contre l’aurore / chercher les fruits de l’étoile / est- / elle cette appelante / sur le seuil du vide à rallumer / l’ampoule du sacre / la transparence du lieu / un retrait / de l’ombre / au-deçà ”
Gaspard Hons (Le Mensuel littéraire et poétique n° 328)
Plusieurs articles de Christophe Van Rossom parus sur son blog : – L’autre côté de la lumière – Éloge du seul – Le cri d’où se recompose l’écart