Courir
Parfois, tout d’un coup, sans raison évidente, je sens glisser sur ma poitrine un poids si écrasant que je m’immobilise instantanément. Mon souffle se fait court, mon sommeil impossible, cela peut durer des mois. Que je peste, crie, hurle ou vocifère, c’est du pareil au même. Mon malheur ne s’en va que lorsqu’il l’a décidé, comme il est arrivé, sans s’annoncer, comme par inadvertance, étouffant chaque fois son rire gras de mauvais comique. Alors je me mets à courir dans tous les sens, agité par la ferme intention d’en découdre avec ce malfaisant facétieux. Je dévale les escaliers, force la porte, prends les petites rues, mais jamais je ne rattrape mon féroce ennemi. Puis, résigné, je me calme. « Souriez ! Ca ne peut pas toujours aller mal ! » me crient les passants.
9 décembre 2004
Les gens penchés à leur balcon finissent toujours par ressembler à des oiseaux.
Crier
Comme l’année dernière, je pousse un cri à la fenêtre. Le voisinage se jette aux balcons, les passants montrent le doigt, me lancent des noms d’oiseaux. La circulation s’interrompt et déjà, au coin, apparaissent les fiers cavaliers de la maréchaussée. Je reconnais parmi eux l’agent Orlando qui fut un temps l’amant de maman. C’est un homme bon m’a-t-elle glissé à l’oreille après l’avoir quitté pour une triste histoire de linge sale. Orlando aime aujourd’hui une certaine demoiselle Büchner. Elle lui vend des bas de soie et il se livre tout entier à elle dans une frénésie sadomasochiste. Cette nuit, Calista Büchner a soulagé la bouche du martial Orlando d’une rangée de molaires en parfaite santé. Je sais tout ça. Moi qui étais décidé à tenir tête à toute une armée, maintenant que le cavalier approche de la maison, je me presse de quitter la fenêtre car je devine la rage qui l’habite au bruit sourd que fait sa langue contre la malheureuse cavité qui l’occupe. Pour mon équilibre, rien ne vaut une série de cris stridents poussés à l’étonnement de tous. Cela me détend pour des mois et des mois. Mais il est plus sain encore d’éviter quelque contact que ce soit avec le cuir souple des bottes d’un furieux policier. Et ça aussi je le sais. 27 avril 2005 Revenir au monde
Les escaliers
(à l’amitié) Bueren use d’un douloureux subterfuge pour nous faire oublier qui nous sommes, quel sein est célébré en ce jour. Il est des après-midi froides qui nous consolent d’avoir laissé s’échapper les derniers papillons que l’on conservait dans le ventre, abrités derrière un vague sentiment amoureux. Accompagné d’un ami, on lance un pied devant l’autre à la conquête d’un exploit : vaincre les quatre cent marches, vêtu d’un rien, engrossé par des paroles qui réconfortent et sentent un peu la bière. La tristesse n’a plus lieu d’être quand on s’attaque à la montagne, seul l’instinct de survie nous enfièvre. Ne pas mourir asphyxié aux environs du cent douzième trépas résonne comme une obsession. Et quand les toits de Liège se dévoilent, que le cours de la Meuse se montre comme apprivoisé, il reste cet ami pour nous faire remarquer qu’avoir tant souffert était vraiment chose inutile. Le 20.02.01 L’amer qu’on voit danser,…
Météorologie d’un soliloque Bavard que je suis, si vous me demandez quel temps il fera à la semaine, je vous répondrai invariablement que nous vivons une très jolie saison, propice à la pousse des cheveux et plus ensoleillée qu’à l’habitude. Qui sent l’ammoniaque, c’est vrai, mais qui à côté de cela nous anime à tout le moins d’une très vive énergie, nous permettant de prendre des couleurs car les promenades en campagne, à dos de chaussures souples, sont encore possibles. Selon mon tempérament du jour, j’ajouterai qu’il ne serait nullement étonnant que quelque personnage extraordinaire puisse surgir d’un nuage ou de la coiffe d’un chêne pour nous régaler d’une touche d’humour ou d’un douloureux compliment. C’est alors que vous prétexterez soit une course importante soit un rendez-vous crucial pour mettre fin à ma discussion. Et cela est fort dommage car j’allais vous apprendre comment ne jamais perdre la face devant pareil marchand de vent. 19 10 01 Petit, papa me déconseillait l’usage de la parole,
maman était plutôt circonspecte quant à ce sujet
qui alimentait la plupart de leurs conversations.
Immanence de la méforme Je m’agite énormément ces derniers temps. Mes journées empiètent de plus en plus sur mes nuits et je m’étonne de ne pas encore avoir été poussé au crime. J’use de moyens formidables pour à nouveau connaître le sommeil, Vasco De Gamma n’en a pas tant fait pour atteindre la postérité. Hier soir, j’égorgeais chaque mouton qui se pressait sous ma couche. Ils arrivaient trop en nombre pour que je puisse agir autrement. J’affronterai aujourd’hui le mont Everest par la face nord, peut-être le froid réussira-t-il à me clore les paupières ? Car je n’en puis plus de tourner en rond. Phénomène caractéristique à cet état d’esprit : Je garde en permanence un chewing-gum collé dans les cheveux. 26 mars 01 Un tête-à-queue a triomphé du mulot.