HENRARD Agnès

Biographie

Agnès Henrard est née à Huy en 1959 et vit en Condroz namurois. Plasticienne autodidacte, co-responsable du Centre d’Expression et de créativité “Plume et pinceau”, elle y anime des ateliers d’écriture poétique et d’expression plastique pour groupes d’enfants, d’adolescents et d’adultes de tous milieux, surtout socialement défavorisés, ainsi que des formations aux techniques d’animation. Elle anime également des ateliers et stages de Développement personnel avec différents partenaires proposant des langages complémentaires à l’écriture (danse, méditation, travail intérieur). Elle a reçu en 1994 le prix Jeune talent de la Province de Liège.

 

Bibliographie

  • Chambres lentes. Cahiers Odradek, Liège, 1983.
  • L’aile du loup, le lait de l’ange. L’Arbre à paroles, Amay, 1996.
  • Veiller sous les rivières. L’Acanthe, Leuze, 2004.
  • Au plus nu de nos danses. D’une colline à l’autre, Goesnes (33, Sart Donneux, 5353, Belgique), 2006. Peinture de Sylvie Cannone. Photographie d’Augustin Le Gall.
  • Dans la beauté je marcherai. L’Arbre à paroles, Amay, 2011.
  • À petits souffles, voix levées. Avec Bernard Légaz, Le Coudrier, 2012. Illustrations de Kikie Crèvecœur.
  • Ravie. L’Arbre à paroles, 2013.

Textes

Le seuil franchi, il reste à danser nu pour les nuits gelées des déserts, les feux fragiles, le ciel éteint, et les vieux ventres des rivières.

*

Car aucune voie n’est vide. La transparence masque l’abîme à aimer, les fonds à fendre, les creux à coudre.

*

Plus l’ombre sera danse, plus brûlant le trésor serré dans la lumière.

*

Car il s’agit de danser jusqu’à soi sur les mille chemins d’or noués à ses forêts.

*

Appelle fort tes soeurs de lune et de lait, tes mères de source et de pardon, éveilleuses, tisseuses des chants qui sauvent, porteuses d’envol, semeuses d’oiseaux, gardiennes des vergers à naître, et marchez toutes, pieds nus, sur le grand sentier des larmes mêlées.

*

Contre mes soeurs je danse et brille de leurs reflets. Dans le lent bercement des ventres et des coeurs, je retourne à ma mère, à l’aube, au silence tiède et rouge, au mystère qui me fonde.

*

Danse de feu dénoue les branches. Et flambe le ventre, vibre, se dresse, tourne et rugit, éblouit l’oeuf et nourrit le nid, porte bien au-delà, vers la première lueur du monde.

*

De ta colline contre le ciel, tu me déploies, élargis mes vallées et ma voix. Je descends dans ta soif cueillir les mots sacrés, cailloux de laine, flocons d’or, entre nos fièvres rousses, nos landes emmêlées.

*

Tu réveilles en moi celle qui n’est pas encore née.

(Extraits de : Au plus nu de nos danses)

Commentaires

Un texte pour se dire

Comme écrits à l’encre claire sur les contours épais du silence où vient se poser parfois le murmure de la terre, les mots d’Agnès Henrard s’ouvrent sur l’immense. Et viennent se poser dans un dernier élan de douceur au plus profond de l’intime pour une réconciliation avec l’univers. Car demeure toujours dans son écriture, cet incommensurable besoin de se dire à travers les éléments.

Pareil à un voyage initiatique, Au plus nu de de nos danses – cinquième recueil de l’écrivain par ailleurs animatrice à la Maison de la Poésie d’Amay – apparaît alors comme une recherche d’équilibre sur le chemin de vie que l’on parcourt chacun à la manière d’un pélerin, voyageur ou, migrateur. S’ajoute aussi à cette quête de dépouillement de soi, une recherche d’authenticité à travers quelques thèmes déjà omniprésents dans l’oeuvre de l’auteur. Parmi ceux-ci, le mandala déjà exploré dans le travail plastique de l’ artiste et qui apparaît comme un labyrinthe où d’infinis sentiers sont à franchir pour enfin arriver à soi.

” Et plus que nue, enfin, je m’abandonne, dépouillée de mes drapeaux, de mes pauvres boucliers, je me donne au passeur, à l’éclaireur, au gardien de mes troupeaux, celui qui protège mes rives, berger de mes agneaux de lait ”

Entre ce seuil à franchir et le nid retrouvé, une reconnaissance de qui l’on est et cette prise de conscience de sa personnalité, de sa complexité aussi. Avec, pour la première fois dans l’oeuvre d’Agnès Henrard, cette prise en charge consciente de soi et le “je” enfin osé.

Ce qu’on en garde ? Un petit moment d’éternité qui vient frôler la paupière où viennent se perdre le temps d’un soupir qulques pas de ce voyage initiatique que l’on voufrait renouveler.

***

 Les lectures de Philippe LEUCKX

 Dans l’espace de brefs poèmes en prose, Agnès Henrard déroule une vive poésie, tissée d’images ferventes qu’un rythme sensuel nourrit et enchante. L’amoureuse, la soeur, la femme déclinent une volonté ardente, une sûre conduite ; leurs voix se mêlent  pour nous donner ce chant de vie, d’émotion:

” Car il s’agit de danser jusqu’à soi sur les mille chemins d’or noués à ses forêts ”
” Prendre soin de mes terres intérieures, de mes semences en attente…”
” Je marche et lève tous mes poings contre les étrangleurs de sève “

Aucun hermétisme ne vient encombrer la lecture ni rendre moins empathique la relation qui se noue sous nos yeux: une tranquille transparence nous accompagne et nous et nous éclaire. C’est très beau, très fin, comme un doux partage d’expérience.
Dans ce nouveau recueil, Agnès approfondit les thèmes de son univers, entre fable et tendresse, et elle y préserve un mystère, une pudeur, une candeur “claire et pleine comme une lune”. De plus, elle revendique une identité poétique faite de conviction et d’assurance: ” J’ose danser qui je suis “. Belle déclaration de proximité où nous retrouvons le ” en nous tremble le geste rond des semailles à venir et des naissances”.
A lire lentement parce que la poésie qui s’y chante est vraie, modeste, entêtante.

Bleu d’Encre, hiver 2006.

***

Ne te quitte jamais. Pose en toi le haut miroir qui reflète le ciel.

C’est dans ces deux phrases que réside peut-être le secret de la source poétique d’Agnès Henrard qui semble écrire pour réunir, en son centre intime, ce que disperse la vie.

Ose traverser le feu, jette-lui ton armure
et tes masques, tes pièges et tes prisons, et
allume en ton ventre le plus bel incendie.

Mais ce qui fonde Agnès Henrard, c’est la vie de couple, de famille et la vie artistique. Elle évoque d’ailleurs ses trois enfants dans “Soeurs “. La maternité est source pérenne de méditaton pour cette femme sous la plume de qui le mot “ventre”, fréquemment employé, désigne tour à tour celui des rivières, le centre ou la flamme de l’être, la mie de pain et, bien sûr, la matrice maternelle.

Le bonheur se traduit essentiellement, ici, par la danse, offrande joyeuse et action de grâce, signe d’appartenance et d’identité. Danser, n’est-ce pas (s’) écrire dans l’espace, (se) dessiner avec son propre corps tout entier ? J’ose danser qui je suis, écrit-elle.

Dès lors, l’artiste sera mûre pour s’opposer à toute cruauté humaine. Car il y a du volcan chez cette écrivaine apparemment douce qui a choisi de couler ses poèmes dans une prose lente, allusive, où s’esquisse, en quelques traits essentiels, une brève oraison de la vie.

Cela n’est pas sans rappeler sa démarche de peintre qui, par touches colorées, cerne un champ (chant) d’amour inlassable. Ne dit-elle pas : tu réveilles en moi celle qui n’est pas encore née. Et si ce tu désigne l’amant, il peut aussi évoquer le poème ou la peinture, car l’art, autant que l’amour, nous édifie et nous remet au monde.

Tissant les mots de la terre pour dire son attachement, Agnès Henrard stimule en nous les racines de la joie et de l’affection.

Béatrice Libert
Liège, ce 20 décembre 2006