Ce furent des matins en fougères.
Je me couvrais d’histoires en arbres tentacules, en
errances légendaires.
Et je me confondais avec ces mondes imaginaires,
confusions perverses d’ombres et de peurs, chaos de songes et de scènes amères.
J’accaparais les regards perdus, les paroles secrètes,
les moralités indociles.
Je pénétrais les bonheurs imprévus, les détresses
muettes, les bontés difficiles.
Et je dessinais des itinéraires improbables,
géographie de tracés incertains, faisceau de nervures fragiles.
Puis, hérissé, dressé, redressé, j’ai étayé mon
imagination,
Rejeté mes rêves en décombres, fondé mes strates
profondes, jalonné mes horizons,
et découvert de nouveaux souvenirs, de nouveaux
doutes, de nouvelles raisons.
Ô mon enfance. À contre-voie, à contre-jour, à
contresens. Rouée de coup, émaillée de pleurs.
Avec les poings de mon père enfoncés dans mon coeur.
Ô les matins en fougères.
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Rebecca ma fille
Par delà l’océan
ta vie
marquée au fer rouge
de lettres non-envoyées
morts-nées
entassées
dans une boîte à chaussures
abandonnée
dans ta chambre à coucher
papa j’écris
je t’écris pour te dire
mots mormes monotones
cinquante fois répétés
cinquante fois arrachés
à qui à quoi
à quel silence à quelle absence
mots mornes devenant
des en-têtes têtus
têtus solitaires et précaires
au haut de feuilles nues
entassées
dans une boîte à chaussures
abandonnée
dans ta chambre à coucher
mais tu as
Rebecca
téléphoné
téléphoné pour me dire
à moi qui vivait là-bas
me dire ton avortement
et l’ordre de ta mère
de le faire et de le taire
téléphoné pour me dire
avant
avant de mourir
après plus tard
plus tard mourir
plus tard trois mois
à dix-sept ans
mourir
dans la douche à torrent
et le gaz
ô maintenant tu es
Rebecca l’accidentée
la presque mère
l’enfant
nouveau gisant
à la peau bronzée d’adoptée
corps nu trouvé
dans un jet d’eau brûlant
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Traverser tes cris ta pluie
tes ombres ravagées
et
s’amarrer à tous tes rivages
tes seins dégrafés
bercer ton corps décontenancé
tes agonies haletantes
et s’empêtrer dans tous tes cordages
tes adages désordonnés.
explorer tes paysages désolés
tes itinéraires fracturés
et arpenter toutes tes impatiences
parterres d’herbes piétinées
desserrer l’étau de tes ciels plombés
tes regards assoiffés
et
sentir le sang me martelant les temps
tension lente et violente
alors
pourquoi comment
se retrouver se retraverser
alors
que s’est érigé ce mur de mots élimés
lourd abécédaire de raisons éraillées
alors
qu’il faut en finir avec tous les faux-fuyants
ceux-ci ceux-là et ceux de tous les encombrements
alors
pourquoi comment
se battre et se combattre
en s’accrochant
à la pente de nos vies