APNEE
Je descends en apnée au fond de ton absence
Un corps parfois remonte et me frôle en passant
La lumière du jour qui perd de sa puissance
M’accompagne un instant
C’est vide et triste et nu au fin fond de l’abîme
C’est froid comme la mort puisque tu n’es plus là
C’est plein de ces tourments que parfois nous subîmes
C’est presque l’au-delà
Je descends en apnée au cœur de ton absence
Et m’étonne de voir tout le jour obscurci
Le temps autour de moi remonte à sa naissance
Quelques noyés aussi
Nous ne nous verrons plus plus jamais les rivages
Ne garderont en creux l’empreinte de nos corps
C’est pire qu’un départ qu’un vol d’oiseaux sauvages
L’envers creux du décor
Je descends en apnée au fond de ton absence
Tu ne peux pas savoir comme j’ai mal de toi
Et je garde en ma chair ô suprême élégance
L’empreinte de tes doigts
LA VILLE INTERIEURE
Dans les rues d’été de ma ville intérieure
Tu es seule à passer
Et les gamins grappés aux portes des demeures
Te regardent passer
Le ciel ultramarin te tresse une couronne
De beauté de vertu
Où sagesse et folie voisinent et fleuronnent
Et les dieux s’y sont tus
L’après-midi languit de te voir si superbe
Et n’ose presque pas
Couler sur ce sol blanc de marbre vide d’herbe
Une ombre sous tes pas
Tu portes haut l’amour dans ton regard de flamme
De bûchers de brasiers
Et la cendre en devient de la poussière d’âme
Au goût d’éternité
Les portes désormais dans ma ville intérieure
Ne se fermeront plus
Ta présence est partout elle abolit les heures
Les flux et les reflux
Comme une écharpe immense et dorée qui donne
Tout leur sens aux humains
Ta lumière partout se faufile et étonne
Mes yeux noirs de gamin
RESCAPE !
J’ai enfin repris pied sur le continent Femme
Marin seul naufragé jouet des mers pantin
Ma langue ne savait que le sel qui affame
Et j’avais oublié la couleur des matins
Perdu dans les flots noirs sous les soleils de flamme
D’avoir été jeté du vaisseau levantin
Des voiles de la Mort lancé au froid des lames
Moi réprouvé bandit rebelle à tout mutin
Moi qui coulais au fond des abysses, caillou
Lancé par les hasards cruels de la vie brève
Je découvris la nuit étoilée, à genoux
Nuits coulées d’amour verts alluvions du rêve
Marin pâle noyé rejeté sur la grève
De ton corps fleuve blond aux sauvages remous
T’AIMER !
Par tout le sang versé Par l’amour apocryphe
L’amour aux dragons fous aux hurlants hippogriffes
Par le ciel au soir noir balayé de lavandes
Par les chants fredonnés Par les nuits qui se tendent
Par le néant vomi des gueules qui se fendent
D’amour T’aimer encore et puis encore
T’aimer !
Par les seins nus glacés des vierges impeccables
Par les rayons d’argent tendus comme des câbles
Du plus vaste du ciel à nos enfers intimes
Par le couteau luisant du sang noir des victimes
Et ces ordres de mort que l’Ombre nous intime
Et de haine à crever Et puis encore
T’aimer !
Par les chants consternés des amours dérisoires
Par ces guerriers de deuil et leur chant de victoire
Et ces villes brûlant vers des lunes tragiques
Les états muselés Les foules anarchiques
Les cris Les roulements de ces tonneaux bachiques
Aux ripailles du vice Et puis encore
T’aimer !
AUBE
Toujours de nouveaux chants se compose le monde
Tu es la chambre seule et noire dans la nuit
Le papier que tu griffes et la lueur du jour
A peine rutilant au lointain pur de l’ombre
Autour de toi au loin passent les avions
Les bateaux les autos les espoirs et les rêves
Les humains à tout faire à tout vivre s’ébrouent
Et tu les suis de loin calme vie isolée
Tu feras le chemin inverse des araignes
Détissant de ta toile une absence de règne
Vers ton futur sanglé de divine harmonie
Point du jour Le matin – Une paix infinie
Berce tes yeux meurtris de veille et de sanie
Les rayons du soleil sont des bras qui s’étreignent
LAISSEZ-PASSER
Avoir
Ce peu de beauté en partage
Partie de la beauté du monde
Une once d’amour par-dessous
Savoir
Ce feu de la comète blonde
Et connaître le seul langage
Où l’être à jamais se dissout
Aimer
Le jeu de la fête céleste
Joint à l’univers asphodèle
Dans l’or de l’espace qui meurt
Damer
Le pion aux mouvantes rumeurs
Savoir la main qui te modèle
Le corps et le cœur et le reste
Tracer
Dans le ciel noir une rayure
Brève de feu clair un éclat
Qu’un enfant trouvera dans l’herbe
Passer
Infime vie et puis superbe
Goûter la musique des glas
Beauté du monde amour blessure
LA NUIT ETOILEE
J’avais courbé le front sous le feu d’Aïthra
Plus vide qu’un pantin abandonné des songes
Je savais la sagesse immense et le mensonge
L’éclair faux des rubis dont se pare Mithra
L’horizon qu’un titan foudroyé me montra
Grillait carcasse pourpre au soleil qui s’allonge
Les castels sidéraux que l’or des lacs prolonge
M’ouvraient leur portail noir couvert de sombre drap
L’eau morte reflétait la lune en décroissance
Le manteau de la Nuit portait l’or des absences
A jamais et le sol saignait noir sous mes pas
C’était un crépuscule aux lueurs de trépas
Villes croulantes – Feux – Cris sourds – Corps qu’on abat
L’univers étendait devant moi son silence
PARTIR !
Tu ignores
A jamais à mentir les villes d’espérance
Et les ports
Les berges et les mers et les hanses
Et les ors
Et les couchants de flamme et les rumeurs de mort
Et les têtes de rois piquées au bout des lances
Et tu vas ton chemin crénelé d’habitudes
Sans savoir que ton sang s’écoule dans les fleuves
Que du soir au matin tes tendresses sont veuves
Que tes yeux sont marqués du gris des hébétudes
Jamais tu ne sauras l’impalpable secret
Qui taraude le vif des visages d’amantes
Pour te vriller au cœur t’infuser au plus près
Ce poison doucereux des certitudes lentes
Allons passant maudit loin des villes dorées
Tu iras ton chemin
Te heurtant aux gibets des dépouilles parées
Vers ces immenses ports
Forêts de mâts voiles claquant brises lointaines
Enfin ce bord
Où finir tous tes lendemains
Tes certitudes
LES TROIS PORTES
On ne meurt que trois fois – D’abord c’est la lumière
Qui te pète les yeux tant c’est beau d’infini
Tes minuscules yeux, petit grain de poussière
Et fait battre ton cœur tambour d’or symphonie
Tu es le petit né des splendeurs océanes
Des douceurs des chaleurs et du grand cœur qui bat
Tu es l’île larguée loin des terres médianes
Et ton cri va cogner les murs très loin là-bas
Chassé du paradis exilé des magies
Te voilà viande crue nu dans cet hôpital
Toujours s’accrocheront toutes tes nostalgies
A ce rêve tranché par le scalpel brutal
*
On ne meurt que trois fois – Et revoilà la Femme
Celle qui t’a nourri te renourrit encor
De baisers de câlins d’étincelle et de flamme
Comme si dans ses yeux naissaient des villes d’or
Et tu en es l’amant le roi couvert de gloire
Tous les deux appelés à régner à jamais
Vous foulez de vos pas ces terres dérisoires
Fécondant les bonheurs bâtissant vos palais
Tu construis peu à peu ce grand livre d’images
Autour d’elle et de toi et de tous tes enfants
Crèche bâtie pour tu ne sais quels rois mages
Mais partout te suivront tous les regrets d’avant
*
On ne meurt que trois fois – Voici que tu es seul
Portant tout le fardeau des paniques glacées
Redoutant ce cercueil en planche ce linceul
En grosse américaine noire et déplacée
Tout quitter tout laisser carré noir dans l’azur
Tu glisses lentement Le néant te submerge
La vague obscure passe et le vent souffle sur
Ton vaisseau éloigné de la dernière berge
Et l’île où tu abordes ce grand rocher sec
C’est la dernière auberge – ou est-ce la première ?-
Tout s’éteint Revoilà la peur la mort l’échec
– Et pourtant devant toi revoilà la lumière –
TRIOMPHANTE
Superbe et haut perchée
Sur ses talons pointus
De cuir et de vertu
Tout entière harnachée
Crinière panachée
Et – plutôt bien foutus –
Ses petits seins têtus
Sous la robe lâchée
Elle dandine leste
Les rondeurs de son cul
Qu’elle veut ambigu
Et impose d’un geste
A mon cœur sous ma veste
L’âcre loi des vaincus
PLAGE
J’ai bu longtemps longtemps l’ivresse de ta bouche
Et le vent caressait nos cheveux emmêlés
Apportant de la mer l’odeur des fruits salés
Jetés sur le rivage autour de notre couche
Ombre des nuits le doute encombrant d’escarmouches
Nos lendemains – c’est vrai – nos désirs en-allés
Nous savions que le temps poserait ses scellés
Sur le chiffre noué de nos corps qui se touchent
Pourtant infiniment la tendresse était reine
De mes bras en collier autour de ton corps nu
Te sacrant à la fois vassale et souveraine
Que pouvions-nous savoir de ces lieux inconnus
Où nous menaient les nuits avec leurs ondes lentes
Calmes passionnément tendrement violentes
ECRIRE
Tu auras beau rêver au profond des ravines
Passer voyageur bref en ce monde élargi
Tu n’en retiendras que les arrivederci
Avec ce goût de fiel des boissons qui avinent
Ecrire – le stylo qui laisse couler fines
Ses nuits infiniment sur le papier blanchi
Ecrire écrire en dépit du monde avachi
Ecrire bout de ciel plume d’Ange divine
Tu écriras toujours en changeant les décors
Cette histoire de rois déchus et qui s’entêtent
A régner à jamais – tu écriras encor
La phrase qui laisse une marque dans la tête
Verlaine Hugo Villon je paierai mes dettes
En attendant j’écris j’ai volé de votre or