Robert Guiette naît à Anvers le 6 juillet 1895 dans une famille d’ascendance à la fois flamande et française, vouée à la vie maritime. On y cultive les arts; Robert dira, avec ironie, “tout le monde peignait dans cette famille : mon père, mon frère; il était exclu que je puisse faire la même chose”. Il s’oriente vers les lettres. Il fait ses premières études à l’Institut Notre-Dame d’Anvers; sa ville natale, où il aime se promener avec son frère René, exerce une profonde influence sur sa personnalité. Il fait ensuite une candidature en philosophie et lettres préparatoire au droit à l’Institut Saint-Louis de Bruxelles; il s’inscrit ensuite à l’Université catholique de Louvain où, en 1921, il est reçu licencié en philologie romane.
Nanti de ce diplôme, il part pour Paris. Il fréquente, entre 1921 et 1923, en auditeur libre, les cours de la Sorbonne, du Collège de France, de l’École pratique des hautes études : des maîtres tels que Joseph Bédier, Alfred Jeanroy Mario Roques confirment ses intérêts de médiéviste sans nuire en rien à ses tendances modernistes. Il se lie d’une constante amitié avec Fernand Léger, Blaise Cendrars, André Salmon, Jules Romains, Max Jacob auquel il consacre plus tard une importante monographie (La Vie de Max Jacob, 1976). Revenu au pays, il prend contact avec des écrivains adeptes des tendances nouvelles : Michaux, Goemans, Purnal, de Boschère, Hellens, de Ghelderode, d’autres encore; il fait partie, alors qu’il est encore en France, de la rédaction du Disque vert. Ses contacts spécifiquement littéraires n’entravent en rien ses recherches pour son futur doctorat. Sur les conseils de l’éminent comparatiste Alphonse Bayot, il s’est attelé à une tâche qui révèle à la fois la sûreté de son information de médiéviste et la ferveur de l’homme de goût. La légende de la sacristine lui permet de conquérir, à Louvain, en 1928, le titre de docteur, qui va le mener à entamer l’année suivante une brillante carrière. L’ouvrage a été édité en 1927 par la Revue de littérature comparée. Tandis qu’il prépare cette oeuvre maîtresse, il donne à l’impression ses deux premiers recueils, négligés par la suite, Musiques et L’Allumeur de rêves (1927).
En 1929, il entre comme stagiaire à la Bibliothèque royale. On a rappelé, à juste titre, que la fréquentation de la Bibliothèque de Bourgogne le mena à l’étude des textes anciens, tant français que flamands. La maladie, puis la mort de Severin vont le conduire vers le professorat : il est suppléant à la Faculté de philosophie et lettres de l’Université de Gand (1929-1930); le 23 décembre 1930, il y est nommé chargé de cours; le 15 janvier 1934, il est promu professeur extraordinaire. Trois ans plus tard, il est ordinaire : ses fonctions deviendront de plus en plus lourdes. Au lendemain de la guerre, l’arrivée de collègues plus jeunes va alléger ses tâches. De 1944 à 1946, il assume une charge de professeur de français à l’Institut supérieur de commerce d’Anvers. Désormais sa vie se confond avec son oeuvre.
Philologue, il s’impose avant tout dans le domaine de la littérature ancienne. L’Académie royale de Belgique publie dans sa Collection des anciens auteurs belges une savante édition critique des Chroniques et conquêtes de Charlemagne compilées par David Aubert (3 vol., 1943, 1944 et 1951). En 1930 déjà, il avait donné sa Béatrix, poème traduit du moyen néerlandais. Trois ans plus tard, il offrait La facétieuse vie du jeune Jacquet au flageolet qui paissait le troupeau de son père, livre de colportage traduit du flamand; enfin en 1948, paraît La belle histoire de Lancelot de Danemark et de la belle Sandrine, drame du XIVe siècle traduit du néerlandais. Dans l’entre-temps, il a publié Le miroir des dames mariées, qui est l’histoire de Grisélidis.
Doit-on s’étonner que retenu par les vieilles traditions populaires et passionné de théâtre, ami de Ghelderode, il ait voué son attention aux Marionnettes de tradition populaire (1950)? Poète lui-même, il consacre ses soins à ses compatriotes : ses Poètes français de Belgique. De Verhaeren au surréalisme (1948), nettement subjectifs – le titre le révèle – font grincer des dents. Son Max Elskamp dans la Collection des poètes d’aujourd’hui (1955) reçoit l’accueil qu’un tel livre mérite : plein d’affection pour le poète de cet Anvers qu’il aime, il sait choisir avec un goût très sûr, avec sérénité, les pièces les plus évidentes. On ne peut négliger sa réflexion théorique exposée dans les Questions de littérature (1960 et 1972).
Le poète, avec sa sage lenteur, élabore dix-huit volumes de vers : il s’agit, le plus souvent, de pièces brèves, au tissu serré, qui relèvent, selon Jean Cassou, du genre caillou; le dernier recueil publié du vivant de l’auteur s’intitule d’ailleurs Cailloux (1974). Marcel Lobet, commentant cette poésie, jugeait que la parole est un défaut du silence. Au moment de lumière – et de parole – on aperçoit les lueurs de l’homme intérieur.
On a souligné que la foi de Guiette était profonde jusqu’au mysticisme. Nous dirions : malgré les apparences. Au premier abord, on lui voyait un masque voltairien. Il libérait une humeur caustique, un humour décapant, avec de-ci de-là une nuance libertine. Qui le connaissait mieux aimait à mettre en relief ses nobles qualités : c’était un homme discret, réservé sans être secret, modeste aussi : «Je ne suis pas un homme de lettres», disait-il.
Élu à l’Académie le 9 janvier 1954, il y est reçu le 30 avril 1955 par Maurice Delbouille. D’autres honneurs lui sont échus : membre de la Maatschappij der Nederlandse Letterkunde en 1949; il sera titulaire de la Chaire Francqui à l’Université de Louvain (1958), docteur honoris causa de l’Université de Lille (1965) ; le poète se verra décerner le Grand Prix de poésie Albert Mockel en 1968.
Robert Guiette est décédé à Anvers le 8 novembre 1976.
Sources : http://www.arllfb.be
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