GERMOZ Alain

Biographie

Alain Germoz est né en 1920 et vit à Anvers. Entame des études d’architecture pendant l’occupation nazie, et résiste à la morosité ambiante grâce à l’écoute des grands du jazz. Aide des amis juifs. Dès le déferlement des bombes volantes sur Anvers, se lance dans le journalisme. En 1945-46, correspondant de NewYork, notamment pour la revue «  Artès ». Sous l’impression de New York City ballets, exécutés à l’Opéra d’Anvers et ailleurs. Suivent les pièces de théâtre, puis des poèmes qui se démarquent des tendances en vogue dans les années vingt, quand Anvers, avec Ostaijen, Joostens, Neuhuys, Seuphor et bien d’autres, flirtera avec le dadaïsme et autres « -ismes ». Estimant l’activité littéraire incompatible avec le journalisme (tel qu’il est pratiqué à l’époque, il renonce pendant trente ans à publier, sans abandonner l’écrit. Fin quatre-vingts, il revient avec quelques recueils (poèmes, aphorisme,s nouvelles), évite autant que possible de participer à la « vie littéraire », renonce par conséquent aux distinctions et prix littéraires, à l’exception du Prix Adam, décerné à « Archipel » qu’il a crée pour promouvoir la littérature internationale dans le domaine francophone et faire connaître des auteurs “connus”, méconnus, inconnus ou oubliés, sans distinction de style ou de genre.

Bibliographie

  • L’enlèvement de Proserpine (argument de ballet), Anvers, 1948.
  • Ecorce de chair (poèmes), Anvers, 1954.
  • Le Transfuge (pièce brève en 3 actes).
  • Gisteren was er toekomst (pièce en 4 actes), Anvers, 1957.
  • Noces d’étain (poèmes, h.c.), Anvers, 1960.
  • Orbite personnelle (coll.aphorismes), Anvers 1960
  • Die Letzte (pièce en 4 actes), Bad Reichenhal, 1960.
  • Echanges poétiques (coll. Poèmes), Anvers, 1962.
  • Les Guillemets (pièce en 1 acte), Anvers, 1962.
  • Le Premier ministre (nouvelle), Bruxelles, 1962.
  • Le Témoin (pièce en 1 acte), Paris, 1963.
  • Les Résidus (pièce en 4 actes), Anvers, 1963.
  • Le Cinquième mur (pièce en 4 actes), Bruxelles, 1965.
  • Petites baleines pour parapluie (aphorisme, h.c.), Anvers, 1965.
  • 74 ans d’Histoire et d’histoires (commentaires), Bruxelles, 1985.
  • Le Carré de l’hypoténuse (aphorismes), Bruxelles, 1988.
  • Le chat de Schrödinger (aphorisme), Bruxelles, 1988.
  • Fragments d’une identité (poèmes), Bruxelles, 1988.
  • Les Cercles de la liberté (nouvelles), Courtrai, 1990.
  • Fin de régime (théâtre), Courtrai, 1991.
  • Petite Zoologie portative (divertissement satirique), Etale, 1994.
  • Le Caribou mal équarri (menus, extraits), Bruxelles, 2000.
  • L’Ombre et le masque suivi de Apologie de Caïn (mélange identitaire), Anvers, 2002.
  • La sandale d’Empédocle, Rhubarbe, Auxerre, 2007.
  • Le fou rire de la Joconde, L’Arbre à paroles, 2010.

Cette liste strictement bibliographique ne tient pas compte d’œuvres représentées, mais non éditées, ni des nouvelles, contes, poèmes, aphorisme, introductions et critiques ayant paru dans « Archipel » depuis 1992, ni des traductions, notamment de pièces parues ailleurs.   Peut être cité à part :   L’irrésistible jeunesse de Michel Seuphor (vol.1 d’Archipel), Anvers, 1992.

Textes

            Poète

Poète Parce que Oui   Poète du temps Du peu de temps   Pressé de mots Entre le point Et la dernière virgule   Vivant Entre deux signes Avec la crainte Intense De l’arrêt Au point virgule   De toute évidence Une fin Un peu ridicule

           Lézarde

Il me reste une aube ou deux Pour me recycler C’est peu   Je tire le jour par la queue Et le temps fuit comme un lézard Le temps lézardé Où chaque interstice m’interroge

           L’atoll    

Que les rivages insoumis Où te porte la déraison N’accablent pas ton errance A la croisée d’autres chemins   Que la mer immense t’oublie Riverain d’un atoll perdu Et laisse quelques coquillages Marquer la trace de ton pas
Le masque des absents

Nous n’étions pas là Ni lui ni moi Mais nous ne cessions de nous observer Crainte que faits ou gestes ne se perdent   Graves et vigilants Nous nous tenions à l’œil Comme si de rien n’était Conscients de la latence des choses Et de l’imminence d’un drame   C’était à qui ferait le premier pas Mais nous n’étions pas là Ni lui ni moi Nous avions mis le masque des absents Nous ne savions qui de lui ou de moi Le portait le mieux Ignorant lequel des deux Celait ainsi sa présence   Au carnaval des absents les présents ont tort Défigurés et grimaçants Sous le masque de leur mort

Le non-écrit

Qu’il est beau Ce poème non-écrit Qu’un premier vers annonce Que le second détruit   Qu’il est beau Si beau et si sûr De n’être jamais écrit Comme s’il était là Depuis toujours A porté du regard De l’anonyme De l’égaré Du premier venu

 Haiku

Les mots qui m’emportent Inscrivent leur long printemps Dans le vent de l’automne               * Chu dans l’incertain Je suis l’i de l’alphabet Amant de son poin

Commentaires

Alain Germoz s’est manifestement laissé faire par ses amis qui ont décidé de lui rendre hommage par ce livre, L’ombre et le masque, premier titre d’une maison d’édition créée dans la foulée de la revue Archipel qu’il dirige depuis dix ans. Pêle mêle, on trouve ici de la prose, une nouvelle, de poèmes et même des dessins (ces énigmatiques scromphales tracés d’une main qui s’impatiente durant les longs coups de fil comme Dubuffet, en son temps, développa l’Hourloupe. Germoz (né en 1920) a traversé le XXè siècle et fréquenté bien des avant-gardes ; il en a gardé une tonique liberté d’esprit et un élégant savoir-faire du pied- de- nez aux conventions. Il a aussi choisi de cultiver la langue française sans renoncer à vivre dans une ville (Anvers) de moins en moine ouverte au cosmopolisme. Tout cela lui confère une distinction (dont il ne s’encombrera sûrement pas), une remarquable qualité d’expression et un joyeux sens de la dérision. Et lui permet, entre autres, de brosser son autoportrait en forme de manuel de ponctuations ou de faire l’apologie de Caïn et de s’élever ainsi contre les errements divins. L’ombre et le masque dévoile tous les registres d’une identité. Longue vie aux tapinois !   Jack Keguenne

Passant désaccordé, rêveur des falaises, gisant ou errant, Alain Germoz est tout cela à la fois. S’appuyant autant sur ses références mythologiques (…) que sur ses connaissances philosophiques (…), le poète, même s’il est fortement ancré sur le réel, plonge dans les recoins de la conscience et dans la destruction des leurres. (…). La sandale d’Empédocle ou la recherche de l’informulée.
Gérard Paris, Le Journal des Poètes, 2009, n°1, p.7.

À propos du recueil Le fou rire de la Joconde (Editions Les Carnets du Dessert de Lune, 2010)

Vitrine à phantasmes
Le sourire de la Joconde est-il un leurre? Ses ambiguïtés souvent évoquées offrent en tout cas à Alain Germoz l’occasion de contestations majeures autant sur l’art en soi que sur les comportements humains qu’il suscite. Sous-titrée « variations sur un thème trop (mé)connu », cette mosaïque rassemble, dans un mélange des genres, une gerbe de réflexions et de dialogues moissonnés au long des années à travers le prisme de cette vitrine à phantasmes signée Vinci. Textes tout en intelligence, en irrévérence et en rouerie, qui soumettent cet ectoplasme de la nommée Mona Lisa à tous les traitements possibles (des plus gratifiants aux plus mortifiants), à toutes les interrogations et à tous les regards posés sur un pli de bouche passible de refléter le catalogue de nos grimaces et de nos contradictions. Saccage magistral des certitudes hautaines, des idées toutes faites, des engouements grégaires et de l’imposture d’icônes en toc du monde de l’art, mais mené avec l’élégance d’un jeu d’esprit qui pourrait, le cas échéant, s’apparenter au fameux sourire. Si toutefois celui-ci cache bien un fou rire réprimé, face aux conjectures mêmes qu’il suscite, ou exprime le doute fondamental et créatif qui anime en toutes circonstances et à tout propos, un auteur dont la liberté de pensée constitue le seul credo.
© Ghislain Cotton in Le Carnet et les instants

Comment qualifier un des derniers écrivains francophones de Flandre, homme de la plus grande liberté de ton et de la plus grande rigueur de langue, Alain Germoz. Est-ce un surréaliste, un dadaïste, un ancien ou un moderne ? Je me refuse à le classer dans un petit ou grand casier de ce genre. Son dernier live prouve une fois encore qu’il peut se contenter d’être lui-même, avec sa fantaisie et son énorme culture. Le fou rire de la Joconde est cependant, malgré son humour et sa belle méchanceté, tout autre chose qu’une potache. A preuve s’il en fallait le chapitre « Point à la ligne » véritable cours sur l’Art (il tient à la majuscule) qu’il définit comme la « potion magique librement consentie. » Le reste de ce petit livre digne des « propos des buveurs » de Rabelais se permet toutes les insolences et même pire, s’amusant à désacraliser le tableau de Léonard en jouant de toutes les ressources de la bonne blague, y compris une réjouissante grossièreté à l’occasion. Décidément ce fils de l’étonnant Roger Avermaet (encore un oublié ou gommé) n’a rien perdu à près de nonante ans de la faconde estudiantine. Comme les précédents, cet opus a aussi conservé le souci de ne jamais écrire (ou dessiner, voir ses scromphales) n’importe quoi, comme c’est la mode aujourd’hui dans les milieux dits intellectuels où croupissent des écrivains surtout préoccupés de subventions et d’une retraite confortable et si possible académique.
© Paul Van Melle, in Inédit Nouveau