Poète
Poète Parce que Oui Poète du temps Du peu de temps Pressé de mots Entre le point Et la dernière virgule Vivant Entre deux signes Avec la crainte Intense De l’arrêt Au point virgule De toute évidence Une fin Un peu ridicule
Lézarde
Il me reste une aube ou deux Pour me recycler C’est peu Je tire le jour par la queue Et le temps fuit comme un lézard Le temps lézardé Où chaque interstice m’interroge
L’atoll
Que les rivages insoumis Où te porte la déraison N’accablent pas ton errance A la croisée d’autres chemins Que la mer immense t’oublie Riverain d’un atoll perdu Et laisse quelques coquillages Marquer la trace de ton pas
Le masque des absents
Nous n’étions pas là Ni lui ni moi Mais nous ne cessions de nous observer Crainte que faits ou gestes ne se perdent Graves et vigilants Nous nous tenions à l’œil Comme si de rien n’était Conscients de la latence des choses Et de l’imminence d’un drame C’était à qui ferait le premier pas Mais nous n’étions pas là Ni lui ni moi Nous avions mis le masque des absents Nous ne savions qui de lui ou de moi Le portait le mieux Ignorant lequel des deux Celait ainsi sa présence Au carnaval des absents les présents ont tort Défigurés et grimaçants Sous le masque de leur mort
Le non-écrit
Qu’il est beau Ce poème non-écrit Qu’un premier vers annonce Que le second détruit Qu’il est beau Si beau et si sûr De n’être jamais écrit Comme s’il était là Depuis toujours A porté du regard De l’anonyme De l’égaré Du premier venu
Haiku
Les mots qui m’emportent Inscrivent leur long printemps Dans le vent de l’automne * Chu dans l’incertain Je suis l’i de l’alphabet Amant de son poin
À propos du recueil Le fou rire de la Joconde (Editions Les Carnets du Dessert de Lune, 2010)
Vitrine à phantasmes
Le sourire de la Joconde est-il un leurre? Ses ambiguïtés souvent évoquées offrent en tout cas à Alain Germoz l'occasion de contestations majeures autant sur l'art en soi que sur les comportements humains qu'il suscite. Sous-titrée « variations sur un thème trop (mé)connu », cette mosaïque rassemble, dans un mélange des genres, une gerbe de réflexions et de dialogues moissonnés au long des années à travers le prisme de cette vitrine à phantasmes signée Vinci. Textes tout en intelligence, en irrévérence et en rouerie, qui soumettent cet ectoplasme de la nommée Mona Lisa à tous les traitements possibles (des plus gratifiants aux plus mortifiants), à toutes les interrogations et à tous les regards posés sur un pli de bouche passible de refléter le catalogue de nos grimaces et de nos contradictions. Saccage magistral des certitudes hautaines, des idées toutes faites, des engouements grégaires et de l'imposture d'icônes en toc du monde de l'art, mais mené avec l'élégance d'un jeu d'esprit qui pourrait, le cas échéant, s'apparenter au fameux sourire. Si toutefois celui-ci cache bien un fou rire réprimé, face aux conjectures mêmes qu'il suscite, ou exprime le doute fondamental et créatif qui anime en toutes circonstances et à tout propos, un auteur dont la liberté de pensée constitue le seul credo.
© Ghislain Cotton in Le Carnet et les instants
Comment qualifier un des derniers écrivains francophones de Flandre, homme de la plus grande liberté de ton et de la plus grande rigueur de langue, Alain Germoz. Est-ce un surréaliste, un dadaïste, un ancien ou un moderne ? Je me refuse à le classer dans un petit ou grand casier de ce genre. Son dernier live prouve une fois encore qu’il peut se contenter d’être lui-même, avec sa fantaisie et son énorme culture. Le fou rire de la Joconde est cependant, malgré son humour et sa belle méchanceté, tout autre chose qu’une potache. A preuve s’il en fallait le chapitre « Point à la ligne » véritable cours sur l’Art (il tient à la majuscule) qu’il définit comme la « potion magique librement consentie. » Le reste de ce petit livre digne des « propos des buveurs » de Rabelais se permet toutes les insolences et même pire, s’amusant à désacraliser le tableau de Léonard en jouant de toutes les ressources de la bonne blague, y compris une réjouissante grossièreté à l’occasion. Décidément ce fils de l’étonnant Roger Avermaet (encore un oublié ou gommé) n’a rien perdu à près de nonante ans de la faconde estudiantine. Comme les précédents, cet opus a aussi conservé le souci de ne jamais écrire (ou dessiner, voir ses scromphales) n’importe quoi, comme c’est la mode aujourd’hui dans les milieux dits intellectuels où croupissent des écrivains surtout préoccupés de subventions et d’une retraite confortable et si possible académique.
© Paul Van Melle, in Inédit Nouveau