L’ENFANT PERDUE
Timide et de silence éprise, ainsi qu’une ombre
elle s’avance dans ma vie à pas feutrés.
Le reflet qu’elle suit aussitôt me prolonge:
il est ce monde même où je n’osais entrer.
Mes mains pour la connaître approchent, toutes prêtes;
mais à l’instant secret où je vais la toucher,
hésitant, je ne sais quel tremblement leur prête
son merveileux pouvoir de tout affaroucher.
Alors, de ce rivage où je lui suis fidèle,
elle m’appelle. Et c’est d’un accent si tendu
que j’éprouve, à la voir si jeune et si rebelle,
tout ce qui me fait d’elle un pays défendu.
Je voudrais la saisir et doucement l’étreindre.
Elle n’est plus, déjà, qu’un rire dans le vent.
La lampe qu’elle tient, sa course va l’éteindre.
Et le jour qui m’éveille est toujours décevant.
* * *
Un autre t’apprendra les gestes de l’amour.
Il saura détacher les invisibles chaînes
qui tiennent tes genoux captifs. Et pour toujours
Tu seras féconde et sa vivante plaine.
Je vois déjà monter vers toi l’écume en fleurs.
Elle se mêle au cri de tes moissons secrètes
et te pénètre toute ainsi que le bonheur,
cependant que ton corps s’épuise en cette fête.
Et j’assiste, invisible, à cet obscur dessein.
Mes mains qui l’on gardé retrouvent ton visage
et tracent dans le vent la forme de ton sein.
Que m’importe à présent si je suis d’un autre âge,
puisque c’est mon désir dans ton désir qui vient
et que c’est mon étreinte en toi qui se souvient.
(extraits de Le Royaume de Danemark, Ed. Andreé De Rache)