Barricadé derrière la souffrance d’être,
Lentement s’enliser dans le vert univers
Est-ce raison de vivre ou habile manière
D’oublier de la mort les regards aux fenêtres ?
Et s’enflammer comme des frondaisons d’étoiles,
Brûler, en un désir d’aurore ou de jeunesse,
Brûler comme un Grand Pan ou comme un faune pâle
Parmi les joies, les odeurs végétales, qu’est-ce
Sinon, dans la moiteur de très douces argiles,
Etouffer la souffrance au poème docile
Et inventer raisons plus claires que lumières ?
Qu’est-ce, malgré l’oracle de la mort, écrire,
Sinon s’offrir luxe et nécessité de dire
Le lent enlisement dans le vert univers ?
(L’ombre des aunes)
*
Printemps prête ton nom à ces levées de feuilles
lames charnues chairs éclatées verts travaux de soc
printemps arrose le silence de ton sang
conçois les mots de ton cosmos
Etamine s’allonge et dicte miel à ta mémoire
bourdon graisse de vol le lent ébat de tes pistils
paon bouillonne et gronde un chant d’ocelles
feu griffe songe nuit bout
oiseau émiette cris et fourmis se dévorent
Le monde est ta nef printemps
prête ton cœur aux remuements des glaises à la marée des sols
vois
l’infini brûle entre tes paumes emblavées
(Ver)
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Peu d’heures seulement après l’écroulement de l’être, vient un second miracle éclairant à nouveau la clairière incomprise du temps. Mais souvent se dérobent les soirs, les douceurs, les attouchements de la parole. Et le cri annonçant l’évasion devient roc et souffrance malgré le feu dans la clepsydre et la beauté des grandes aurores boréales.
(Septante nuits)
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Clôturant l’immuable, brandissant le fleuve définitif et débordant, la vie s’achève à petits coups de gaule dans la nuque : infestée de sarcasmes, éblouie par sa mission d’orage. Son chant, brisé par les phalènes, exerce de grandes prétentions d’ange ; son territoire, noué au centre des passions, dispose de lointains commerce avec le vide. La mer, peuplée de signes et de consonnes, déferle en branches de lilas sur sa robe de plumes. L’herbe, au cœur de ses volcans, laboure de ses orgies douces un grand sommeil de connivence avec le gel. Tout passe ainsi qu’un être et l’ordre se repaît des morts comme les dieux des baies sauvages dérobées aux chiens.
(Soixante métaphores irrésolues)
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Croire qu’un musée peut braver l’éternel est punissable d’un désaveu des dieux. Car rien n’est plus infime que ces collections vidées de leur présence comme ces troncs pourris jusqu’à l’ultime essence.
(Désordre du possible)