Hormis Les yeux grands ouverts, une plaquette confi dentielle de 1941, Février n’a disséminé qu’une quarantaine de poèmes en revues et anthologies vite introuvables. Mais le «milieu» des lettres francophones le savait obscurément un poète de haut vol, dont la voix, narquoise ou tragique, abrupte ou lyrique, sereine ou déchirée, n’a jamais trahi sa vie authentique.
Ce choix large et représentatif, guidé par la seule exigence de qualité, peut être tenu pour l’édition originale de poèmes que René Char tenait pour des compagnons de longue vie, de secrets confi dents auxquels je m’adresse pour le meilleur et pour le pire.Jamais en vain.
Tout d’un coup confronté à plus de septante années de création poétique, le lecteur découvre une abondance insoupçonnée, la richesse et la qualité d’un jaillissement dont il n’avait pu apprécier que de rares émergences. Il pénètre un monde très individuel, sauvage, où interfèrent signaux de vie et de mort, où se brassent sables ardents et nuits glacées, un monde qui prend appui sur la nature mais pour renvoyer aux paysages intérieurs de l’auteur. Si l’on savoure différemment les tons et les modulations de cette longue partition, on n’en reste pas moins frappé par la tenue d’une voix spécifique tout au long de son évolution, par une continuité de parole et de sens absolue, presque obsessionnelle, par sa fidélité sans faille à une vision du monde particulière et discrètement radicale.
André Doms, Préface à l'édition de Minotaure obscur, L'Arbre à Paroles, 2005. Deux tomes.