Quand elle plaide
Quand elle plaide au tribunal
Auprès d’un avocat général,
Avec une pile de papiers
Qui datent encore de l’an passé
Quand elle a endossé une robe noire
Aux mesures trop larges, sans faire d’histoire,
Franchi la salle des pas perdus
Et sondé quelques rires entendus
LUCIE A TOUJOURS LE VENT EN POUPE,
ELLE SE R’VOIT LES DEUX PIEDS DANS LA NEIGE
QUAND SON BONNET LUI F’SAIT SUER DES GOUTTES
SURTOUT APRES LE COURS DE SOLFEGE
ELLE RESONGE A UN GRAND PERE
QUI RACONTAIT DES BLAGUES DOUTEUSES
TOUT EN GARDANT UN MASQUE SEVERE
ET DES MAINS QUELQUE PEU … VOYAGEUSES
Quand elle plaide au tribunal
Dans le fatras, le cérémonial
Du monde des assises ou des Abysses
D’un bunker qu’on nomme : palais d’justice
Quand les juges, les curateurs zélés
Titillent, en toute légalité,
Au sujet d’un droit de succession
Ou d’une intime proposition
LUCIE A TOUJOURS LE VENT EN POUPE,
ELLE SE R’VOIT LES DEUX PIEDS DANS LA NEIGE
QUAND SON BONNET LUI F’SAIT SUER DES GOUTTES
SURTOUT APRES LE COURS DE SOLFEGE
ELLE RESONGE AU MARTINET
DANS LE SALON, QUAND ELLE ETAIT GOSSE
ET DE SES PROCHES QUI LA MENACAIENT
QUAND ELLE RAMASSAIT DES MAUVAISES NOTES
Quand elle a plaidé au tribunal
Quand elle se r’farcit le Code Pénal,
Le cerveau embué de scrupules
Sans négliger la moindre virgule
Quand un huissier ou un Pro Deo
Ne lui laisse pas l’temps d’placer un mot,
Quand les « Mon cher Maître ! » à flanc d’couture
Ne frisent même plus la caricature
LUCIE A TOUJOURS LE VENT EN POUPE,
ELLE SE R’VOIT LES DEUX PIEDS DANS LA NEIGE
QUAND SON BONNET LUI F’SAIT SUER DES GOUTTES
SURTOUT APRES LE COURS DE SOLFEGE
LUCIE SE PROJETTERAIT-ELLE
EN TOUTE CANDEUR, EN TOUTE CONSCIENCE
DANS L’AME DES NOMBREUX CRIMINELS
QU’ELLE NE POURRA JAMAIS DEFENDRE ?
LUCIE EST-ELLE UNE BULLE DE CRISTAL
QUI S’EBRECHE, SE BRISE A CHAQUE INSTANT ?
LUCIE EST-ELLE UNE SENTIMENTALE
QUI REPERE D’OFFICE LE PRINCE CHARMANT ?
ET CHANGE UN PEU CHAQUE JOUR DE CAMP …
Os’rais-je encore dire ton prénom?
Le temps a beau galoper, un enchantement persiste
Le quotidien prend sa place et la fleur aux dents résiste
La Grande Ourse et son chariot, entre mille constellations,
Veillent-ils en douce sur nos cœurs toujours à l’unisson ?
OS’RAIS-JE ENCORE DIRE TON PRENOM ?
TOI QUE J’AIME ENFIN POUR DE BON
J’ai beau toiser la Julie près d’un escalier bancal,
M’attarder sur Valérie, Bénigne, Axelle ou Chantal,
Une autre réalité, un mirage en apparence
Me tient, me comble et m’offre sa corne d’abondance
OS’RAIS-JE ENCORE DIRE TON PRENOM ?
TOI QUE J’AIME ENFIN POUR DE BON
Suis-je vraiment convaincu, en vivant un tel bonheur,
D’avoir le premier rôle et non celui du spectateur ?
Ai-je attendu trop longtemps ? Ai-je peur de m’éveiller ?
Mon âme doit-elle encore apprendre à s’éduquer
OS’RAIS-JE ENCORE DIRE TON PRENOM ?
TOI QUE J’AIME ENFIN POUR DE BON
T’épouserai-je un jour en passant sous une arcade ?
Noierons-nous nos étreintes dans une mer de corail ?
Mon île aux cent mille plaisirs, ma sourcière, ma Junon
Je marche et j’aperçois encore ma ligne d’horizon
OS’RAIS-JE ENCORE DIRE TON PRENOM ?
TOI QUE J’AIME ENFIN POUR DE BON
Claudio
Dans un d’ces vieux bistrots portugais,
Claudio, originaire d’Auv’lais
Le r’gard et le menton dans la bière,
Entame son tout premier verre
Entre deux ou trois piliers d’comptoir
Qui tournent chacun le dos au bar
Absorbés par une télé au mur
Où le foot l’emporte, à coup sûr
Claudio peste encore contre son boulot
Sans recueillir le moindre écho
Demain, ou après-demain, sûr’ment,
L’ami Claudio lèvera le camp :
Il ira skier en Italie,
Faire du deltaplane aux Canaries,
Il recueill’ra chez lui sa vieille mère
Laissée pour compte par son beau-frère
Et surtout, il se donn’ra la peine
D’accoster en rue son Africaine
Dans un d’ces vieux bistrots portugais,
Claudio, éternel exploité,
La moustache déjà pleine de bière,
Entame son deuxième verre
Quelque part dans un coin, la Marie
Cause toute seule avec son whisky
Le p’tit Henri et l’Patrick, d’vant un Gin Fizz,
Rigolent et s’adonnent – encore – à leur strip tease
Une odeur d’eau d’vaisselle, dans l’bistrot,
Cerne encore les yeux de Claudio
Demain, ou après-demain, sûr’ment,
L’ami Claudio lèvera le camp :
Il entamera le manuscrit
En deux ou trois volumes de sa vie,
Au Salon d’l’Auto, d’vant les voyeurs,
Il débobinbera un moteur
En costard trois pièces, il rayonn’ra
Et son Africaine sera là
Dans un d’ces vieux bistrots portugais,
Claudio, assis sur un grand tabouret,
Après s’être enfilé … 5, 6, 7, 8, 9, 10 bières,
Tombe, roule et s’affale encore par terre£
« Saoûlard ! », « Baraki ! », « Camp volant ! »
S’écrie l’assistance, évidemment
Grâce aux copains d’bistrot, j’imagine,
Claudio cuv’ra dans la grange voisine
Demain matin, sans s’être changé
Ni lavé, il r’partira bosser
Mais … après-d’main ou l’surlend’main, sûr’ment,
L’ami Claudio lèvera le camp :
Plutôt que d’entrer dans son bistrot,
Il écout’ra le chant des oiseaux,
Il se laiss’ra désintoxiquer
Au quart de tour et en toute légèr’té
Son Africaine, ça va de soi,
L’assistera et le soutiendra
Et si l’Africaine ne vient pas,
Dans les p’tites annonces, y aura du choix
Y aura encore la Cyrielle ou l’Yvette
Qui ne s’en sortent plus avec leur mec
Claudio trouv’ra même un supplément
Dans un resto à la côte … sûr’ment
Sûr’ment, certainement ou peut-être
Tout est possible sur cette terre
Tout est possible sur cette terre