Raphaël Denys est né le 1er janvier 1975 en Belgique. Le testament d'Artaud est son premier livre.
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Raphaël Denys est né le 1er janvier 1975 en Belgique. Le testament d'Artaud est son premier livre.
Plaidoyer pour Artaud
On croyait avoir tout lu sur Artaud. Le livre de Raphaël Denys, Le testament d'Artaud, dont c'est le premier ouvrage publié, entend bien nous démontrer le contraire. Partant de l'idée que la voix d'Artaud continue d'être étouffée, y compris par ceux qui s'en disent les admirateurs (ceux qu'il nomme les « intelleux », les « cérébreux »), il s'emploie avec un bel enthousiasme à lui rendre toute sa puissance, toute son actualité. Et pour cela use d'une langue et d'une démarche aux antipodes de la critique traditionnelle : « Ça ne parle pas d'Artaud, messieurs les artaudiens, ça ne s'écrit pas sur le dos d'Artaud, non madame, mais pour une fois : ça parle comme Artaud (...), ça parle avec Artaud, voilà qui change du tout au tout », proclame le texte de la quatrième. Plutôt qu'à un essai de plus « sur » Artaud, c'est donc à un plaidoyer « pour » Artaud que l'on assiste. En quoi son œuvre chaotique, obsessionnelle, intransigeante, incompréhensible parfois, nous éclaire-t-elle sur nous-mêmes ? En quoi ce « solitaire intégral », qui toute sa vie s'est tenu à l'écart des mouvements politiques, qui a manifesté une constante méfiance à l'égard de tout ce qui fait masse et pensée de masse, nous aide-t-il néanmoins à comprendre une histoire, la nôtre, à laquelle il ne s'est que rarement référé de manière explicite, préférant lui tourner le dos pour aller chercher ailleurs la matière de son inspiration ? Depuis la controverse initiale avec Jacques Rivière jusqu'aux textes rédigés dans ses divers lieux d'internement, en passant par les pièces ou les manifestes de théâtre, ou la confrontation avec la culture mexicaine, sa recherche est parcourue par un même fil rouge. Toute révolution sociale qui entend faire l'économie d'une « révolution personnelle » est vouée à l'échec. Seul celui qui laisse résonner profondément, douloureusement en lui la négativité du monde a quelque chose à nous apprendre sur ce dernier. D'où la fonction du mythe, et du théâtre, qui est d'exorciser le mal en nous, afin de l'empêcher de se (re)produire dans la réalité, afin de « ne pas s'exposer à brûler tout entiers », comme le dit Artaud. Ou encore : « Ce que le théâtre a montré, la vie ne peut plus le faire. » « J'essaie de comprendre, écrit Raphaël Denys, à la lumière de ce qu'écrit Artaud, l'autre versant, la part obscure, non dite, maudite de notre temps. » II s'emploie à montrer qu'Artaud, qui toute sa vie a été en butte aux accusations de détracteurs réels ou imaginaires, n'a cessé, à travers le prisme de sa prétendue folie, d'avoir raison envers et contre tous. Même dans les dernières années de sa vie, qui se trouvent coïncider avec l'apogée de la barbarie historique, lorsque sa pensée paraît s'enliser dans le délire, s'égarer en élucubrations sur l'envoûtement et le complot mondial, elle fait preuve en réalité d'une profonde lucidité, démontre son « intelligence énorme du dessous des cartes ». Au délire ignorant de lui-même d'un monde qui se retranche derrière sa rationalité, est mille fois préférable le délire conscient, le délire « profond, musical et à jamais subtil » de l'écrivain-voyant. A l'évidence Raphaël Denys, lorsqu'il défend la cause d'Artaud, maîtrise son dossier sur le bout des doigts. Il impressionne par son érudition, séduit par la force de son écriture — une écriture que ses chatoiements, sa subjectivité assumée, sa manière de transcender les codes et de chahuter les genres, situe aux antipodes de l'essai universitaire. En bon avocat, il déploie toutes les ressources de son éloquence, jouant avec son auditoire, variant ses effets, multipliant les citations (jamais datées, notons le), convoquant à la barre quelques témoins attendus : Sade, Freud, Casanova, « Sainte Trinité de la conscience éveillée », mais aussi Lautréamont, Nietzsche, Baudelaire, Bataille, d'autres encore. Et un plus inattendu : Heidegger, invoqué à plusieurs reprises comme rempart comme le rationalisme et l'humanisme, rendus par ailleurs responsables des pires horreurs du siècle passé (il est quand même permis de se demander ce qu'Artaud, « si proche de Heidegger » selon l'auteur, aurait pensé de ce patronage). On touche ici à l'une des limites de cet essai en forme de plaidoyer qui, à brasser trop de choses, donne parfois l'impression d'étreindre le vide ; qui, à vouloir enlever à tout prix le morceau, risque de provoquer chez l'auditeur — pardon, le lecteur — une forme de saturation ou même de rejet. On a parfois du mal à le suivre lorsqu'il nous entraîne dans des généralisations hâtives, ou au contraire dans des références passablement hermétiques (un seul exemple : ce « vagin », tour à tour « errant », « diffus » ou « mort », qui ferait l'objet d'un culte « où se rejoignent cul et pur esprit »). On se sent aussi un peu mal à l'aise de voir que l'auteur contemporain le plus cité, et de loin, pour un ouvrage publié dans une collection dirigée par Philippe Sollers, n'est autre que... Philippe Sollers (auquel Raphaël Denys, son style d'ailleurs le prouve, voue à n'en pas douter une admiration sincère). Mais ces quelques réserves ne devraient pas empêcher de lire cet ouvrage brillant et plein de sève qui, au-delà de son sujet particulier, fera peut-être surtout date pour avoir inauguré une manière inédite d'appréhender l'œuvre et le parcours d'un écrivain. Source bibliographique : Arnaut, Daniel. Critique de livre : plaidoyer pour Artaud. In: Site du Service Général des Lettres et du Livre [en ligne]. Communauté française de Belgique, [consulté le 02/12/2010]. Disponibilité et accès : http://www.promotiondeslettres.cfwb.be/index.php?id=denysletestamentdartaud