Encore un train
À travers la vitre
le regard embrasse la courte plage
puis le champ tout juste labouré
du Pacifique Sud
(une image éculée
mes métaphores sont en rade
à Kaikoura et les baleines)
La tête ronde d’une otarie
ponctue drôlement
un long nuage exclamatif
Passengers stand on this platform
at own risk
La forêt brûle et claque
contre la nuit qui tend ses muscles.
Elle, perfide
J’ai remarqué (dit-elle)
que dans mon pays
comme dans le tien
les poètes sont fonctionnaires
tous (dit-elle) de près ou de loin
et plutôt de près que de loin
Je remarque aussi (dit-elle)
que les jeunes poètes
dans ton pays comme dans le mien
restent jeunes longtemps
puis sur le tard et d’un coup vieillissent
on ne sait trop pourquoi ni comment
(Tu te gausses – dis-je –
je te mets au défi de réciter
des vers que tu sais
Oh ! – dit-elle –
des vers j’en connais
et des pas mûrs
Elle ne ment pas je m’incline
elle en connaît une théorie
de ces fruits encore verts
qui n’ont pas assez mûri
sur les branches d’arbres
oubliés par la foudre.)
Watertown, Massachusetts
Le ciel trempe dans le bleu
Les pavillons de banlieue
Près de Boston où les écureuils
Saccagent le jardin de mon ami
Je suis venu seul ici
Auprès de mon ami comme avant
Admettre que nous sommes fatigués
Et ceci et cela mais c’est bon
De regarder ce qui nous échappe
Monter en tourbillons avec le vent d’avril
Je photographie un oiseau rouge sang
Sur l’arbre encore nu un cardinal
Qui chante dans le rire des enfants.
Le rejet
La mer lisse et
métallique comme
la lame d’un
couteau l’homme
parle la mer c’est
beaucoup d’eau j’aime
l’irrégulier ce qui se
brise la vague et
l’âme j’aime le
désordre l’inopiné
il se tait puis s’
appuie à la lice il
vomit la bile de
la tempête l’autre
prend une photo la
proue blanche et bleue
tranche les cumulus
accumulés là-haut dans
le bulbe du ciel un
voile noir essuie l’
horizon qui penche
le clapotis le silence
ils sont seuls l’autre
ajoute comme tes
poèmes et l’homme
accroupi oui mes
poèmes ils.
Imitation de Desafinado
J’enlève les mots de la bouche
de Joao Gilberto anno 1958
je trace une ligne improbable
à travers le temps
par-dessus l’Atlantique océan
je plaque des accords mineurs
à contre-courant des alizés
Amour, tu prétends que je sonne faux
que j’écris contre la poésie
ou du moins l’idée que tu t’en fais
sache pourtant que ces mots
sont ceux qui chantent au fond de moi
je suis dans la cassure, la brisure
Tu ajoutes, amour, que je m’abîme
dans la prose la plus médiocre
tu me contrains aux arguties
tu ignores que je cherche à écrire faux
comme mon cœur en arythmie
Je t’ai photographiée avec mon vieux reflex
et le pellicule m’a prouvé ton erreur
avec ton idée des poèmes tu oublies l’essentiel
tu oublies que dans la poitrine de ceux qui écrivent faux
au fond de leur poitrine tout doucement
dans la poitrine de ceux qui écrivent faux
bat un cœur aussi pur et sale que le tien.
Serge Delaive
Poèmes inédits