HORLOGE
Il connaissait le sable :
celui, perpétuel, infranchissable,
des grands déserts avec leurs dunes ;
et celui, fluide et fugitif, auquel se mêlent
les secondes pour glisser
de l’une en l’autre ampoule du sablier –
mais qu’on retourne l’instrument,
et seul le sable est resté.
Il avait appris l’eau :
celle, insondable, originelle,
de l’océan aux longues vagues ;
et, goutte à goutte, celle qui circule
en ces clepsydres où l’heure et l’eau
s’écoulent ensemble
– mais seule l’eau revient.
De l’horloge,
les rouages inflexibles le charmèrent,
le balancier si frêle mais opiniâtre
le mit en joie, le cadran lui sembla beau :
c’est autre chose qui le stupéfia.
URNACHT
Là-bas dans l’ombre un pas qui résonne –
si quelqu’un vient, autant savoir :
avant longtemps ce ne sera personne.
Dans le silence cette voix qui appelle –
auètant se dire, si quelqu’un part
que bien avant déjà on était seul.
Dans le brouillard (peut-être : il faisait noir)
au carrefour, où les chemins se croisent
même mon ombre est passée sans me voir.
(Extraits de : Couper ici, Le Taillis Pré, 2005)
(…)
Graine parmi d’autres germes, dans l’embryon du temps où le rudiment du monde méditait l’avenir du vivant,
j’aurais pu choisir de n’être qu’une de ces fleurs des bois – jaune ou bleue, à mon seul gré – que tant de fois à mes pieds j’ai vu pousser, s’épanouir puis décliner en hâte, d’une saison l’autre brûlant les étapes de leur cycle jusqu’au feu de broussailles qui en délivrerait la vivante formule en une fleur de feu, plus brève encore et mieux évanouie ;
planté vif dans le cycle des naissances et des morts, j’aurais pu n’être que l’herbe odorante qui exhale au matin sa senteur immédiate, ou la graminée folle qui sème au premier vent venu le gage de son propre retour ; le buisson familier, au feuillage propice, au rameau secourable, à l’épine salutaire, ou le bambou au coeur épris de vacuité, dont la fleur ne viendra qu’une fois ;
j’aurais pu choisir la simple perfection des pétales, l’évidence instantanée d’un arôme apaisant, l’oubli de soi dans la foule du pré, la claire chanson des roselières, la présence discrète au fourré…
j’ai choisi l’arbre de dix mille années dont on fait les statues des bodhisattvas!
(Extrait de : Jataka de l’arbre, Images d’Yvoires, 2002).