DANTINNE Alain

Biographie

Alain Dantinne est né le 11 octobre 1951 à Namur. Il entreprend des études de Lettres dans un premier temps, de Philosophie ensuite. Il enseigne la Philosophie (à la Faculté d’Architecture de Liège) et le Français (dans l’enseignement secondaire). Dans les années quatre-vingt, il est le correspondant belge pour deux revues à Paris (Gai pied et Masques). Il publie un premier recueil en 1979 (L’exil intérieur, réédité en 2005). Le suivant paraît aux éditions André De Rache en 1985, avec un avant-propos de Jean-Claude Pirotte. Quatre autres suivront.

À partir de l’an 2000, il consacre une plus grande partie de son temps à l’écriture, il aborde le roman. Le premier, un pastiche, Hygiène de l’intestin, est édité chez Labor en 2004. Il publie ensuite son Journal d’un incapable aux éditions du Carnet du dessert de lune en 2006 (préface et couverture de J.-Cl. Pirotte). Son dernier roman, La promesse d’Almache, est sorti cette année 2014 chez Weyrich.

Il coordonne une réflexion sur l’acte poétique dans l’avant-dernier numéro de la revue de L’Arbre à Paroles (janvier 2012), avec les participations inédites d’Yves Bonnefoy, de Zéno Bianu, Christian Hubin, Marcel Moreau, Bruno Doucey, Jocelyne François, etc. Il publie régulièrement des nouvelles dans Les Amis de l’Ardenne, la revue de Charleville. Aux éditions Finitude, de Bordeaux, paraît son drôle de Petit catéchisme à l’usage des désenchantés, des aphorismes illustrés par des collages irrévérencieux de Claude Ballaré. Il récidive dans ses Propos éphémères dont la sortie est prévue en janvier 2015 à Charleville (éd. Arch’libris).
Alain Dantinne a piloté le numéro spécial des Amis de l’Ardenne consacré à son ami disparu Conrad Detrez, un condensé de son étude est repris dans un numéro de la revue Indications. En décembre 2014, la même revue sort un numéro consacré à Alain Bertrand, qu’il a également coordonné.
Poète du voyage, Alain Dantinne publie en mars 2011 des carnets de route Patagonia et cætera aux éditions L’Harmattan. Il travaille également à l’élaboration d’une vaste fresque sur la “movida”, Le jardin des délices.

Bibliographie

Romans
  • Hygiène de l’intestin, divertissement, Labor, 2004.
  • Patagonia et caetera, L’Harmattan, 2011.
  • La promesse d’Almache, Weyrich, 2014.
Poésie
  • L’exil intérieur, HC, Namur, 1979, réed. L’Arbre à paroles, 2005.
  • Je n’ai jamais été à Iquitos, Bruxelles, André De Rache éditeur, 1985. (Avant-propos de Jean-Claude Pirotte).
  • Treize poèmes pour Eric, La Dérobée éditeur. In : La Dérobée, n° 3, Le Relecq-Kerhuon (Finistère), 1994.
  • Un cancer de l’anus, aphorismes, Bruxelles, Editions Poussin Générale, 2001. (Publié en dix exemplaires numérotés et signés).
  • De Consolatione Poeticae, Amay, L’Arbre à paroles, 2001.
  • Journal d’un incapable, Editions Les Carnets du Dessert de Lune, 2005 (extraits parus dans La Dérobée, n° 2, 1993).
  • Décalage horaire, Amay, L’Arbre à paroles, 2010.
  • Précis d’incertitude, L’herbe qui tremble, 2016.
  • Chemins de nulle part, L’Herbe qui tremble, 2023.

Aphorismes

  • Petit catéchisme à l’usage des désenchantés, illustrations de Claude Ballaré, Bordeaux, éditions Finitude, 2009.
  • Propos éphémères, Arch’Libris éditions, 2015.
  • Petit manuel de savoir-vivre en zone tempérée, illustrations de Daniel Cazanave,  éditions Voix d’encre, Montélimar, 2016.
  • Pure critique de la raison, suivi du Petit traité de Métaphysique élémentaire,  éditions Voix d’encre, Montélimar, 2022.
Nouvelles
  • L’hostellerie de l’almache. In : Les Amis de la Grive, n°161, juin 2001.
  • Les fontaines du casino. In : Les Amis de la Grive, n°168, mars 2003.
  • Incendie de Sodome. In : Les Amis de la Grive, n°168, mars 2003.
  • Comment ça va. In : Les Amis de l’Ardenne, n°3, décembre 2003.
  • Le pneu Primus. In : Les Amis de l’Ardenne, n°7, décembre 2004.
  • Les mots de Lazare. In : Les Amis de l’Ardenne, n°10, septembre 2005.
  • Une gravure satanique, Éditions Weyrich, Collection Plumes du Coq, 2023.
Études
  • Terre d’exilés, panorama de la littérature de Belgique. In : Masques, n°13, édition Persona, Paris, 1982.
  • Achille Chavée, le trafiquant de l’invisible. In : Textyles, n° 8, Bruxelles, 1991.
  • Jean-Claude Pirotte, Les impairs de la poésie. In : Passions de lecture, Bruxelles, éd. Didier Hatier, 1997.
  • Henri Michaux, Ecuador. In : Indications, septembre-octobre 2001.
  • Louis Louis, Bologne, Gnaccarini Galeria d’arte éditeurs,  Mars-avril 2002. (Étude sur l’œuvre du peintre belge Louis Louis).
  • Conrad Detrez, L’herbe à brûler. In : Indications, septembre-octobre 2003.
  • Jean-Pierre Verheggen, Du même auteur chez le même éditeur. In : Indications, septembre-octobre 2004.
  • Dossier “Littérature et homosexualités”. In : Indications,  n°5, novembre-décembre 2004. 
  • Regards sur la poésie du XXème siècle, une étude sur Achille Chavée, Les éditions namuroises.
  • Chavée Achille, in Dictionnaire des écrivains francophones classiqes. Belgique, Canada, Québec, Luxembourg, Suisse romande, (sous la direction de Corinne Blanchaud), Honoré Champion éditeur, Paris, 2013.
Essai
  • Petite prose et grand chapeau, Essai sur la littérature industrielle, HC 2005. 
Préfaces
  • Assoiffé, de S. Fahri, éd. Les Carnets des Desserts de Lune, 2004.
  • L’opéra fabuleux, de Christophe Mahy, l’Arbre à Paroles en 2005.
  (Nombreuses critiques et poèmes publiés en revues).

Textes

Extrait de De Consolatione Poeticae
dis-moi ce qui est vrai
et le reste (…)
explore pour moi
volcans et cordillères
ne t’essouffle plus
sur les pentes du Nyiragongo
calque ton pas sur l’indigène du monde
découvre la patience
mon vieux
laissons nos haines
se consumer sur d’anciens charbonnages
et si un dernier amour vient nous tâter les organes
nous ferons semblant d’y croire toujours
je prends
jusqu’à ce que tu me laisses tomber
c’est toi qui décideras
et nos vieux rêves pourriront
solitaires
*

Extraits de Patagonia et caetera

Ornithologie
    
Je rejoins une Danoise rencontrée au refuge “Chileno”, nous marchons deux heures de conserve. Observatrice, elle me fait remarquer que nous ne sommes plus seuls, me montre un oiseau qui, à deux, trois mètres de nous, nous accompagne sans s’effaroucher. Il se met à chanter pour saluer la compagnie, tout heureux de de se sentir regardé. Ni elle ni moi ne connaissons le nom de l’indigène. Sa tête est surmontée d’une superbe crête grise.
   
Je l’ai revu souvent, ce compagnon huppé, au cours du trekking. Je l’ai baptisé Vögel-Punk, en souvenir de ma blonde scandinave.
Ushuaia
J’ai connu en été
une ville douce et sirupeuse
avec des relents de parler allemand
dans la torpeur de crèmes
glacées ensoleillées
dans la clarté australe
des ado en vélo roulent sans phare
à contre-courant comme dans des villes tropicales
on ne parle pas politique ici
tout se fait dans l’immanence
ce présent adolescent
il est des villes comme des Indiens
émiettées par le way of live américain
Vespucci a navigué dans ces eaux de dingues
c’est devenu une griffe à la devanture
de magasins de fringues
dans les mers du sud
il est une ville qui sied à ma solitude
Isla Negra
De jeunes filles
se photographient mutuellement
sur la tombe de Pablo Neruda
(rires)
leurs grosses fesses
dans leur pantalon beige
avouent qu’elles ont vécu
ont-elles froissé
de leur gros doigts rouillés
les pages du Canto General?

Commentaires

Sensible, ô combien sensible, tu es le poète fraternel, et c’est la voix, ta voix la plus pure que j’écoute là, celle qui dit la mort, et la reconnaissance dans la mort, et la reconnaissance des ombres avec la lumière. Et c’est triste, et pourtant il y a comme un bonheur diffus, une allégresse pudique, légèrement posée comme un oiseau de page en page. Cette « petite suite » si grande et douloureuse, émue, lumineuse, ténébreuse, ardente, glacée, frémissante, retenue, forte avec sa faiblesse, faible de toute sa force, avide, jetée au ciel vide, maîtrisée, spontanée, qu’est-ce que cette petite suite au juste ! Quel chant immémorial et neuf il y a là, toute simplicité allusive, et quelle mélodie secrète (et humble triomphante). Voici donc, non pas des poèmes, mais la poésie. Cela c’est toi, le malheur conquis, le chant retrouvé. Faut-il que meurent ceux qu’on aime pour que nous les aimions avec notre résidu de vie ?                            
 
Jean-Claude Pirotte (à propos des Treize poèmes pour Eric)
         Ce qui nous est dit, c’est l’ailleurs, et que cet ailleurs ne délivre pas de soi-même. Que rien, en somme, ne délivre de rien. Tout, en ce monde, est sécheresse, la sécheresse amère de la soif dans les convois empoussiérés des Andes, celle du petit matin sous la verrière des gares de l’est, celle encore de midi le long des pistes où le bagage pèse aussi lourd que le destin, celle enfin des tendresses fuyantes de la nuit, et du désir jamais assouvi.
         Un poète désespéré de plus, direz-vous. Eh bien non. Sous la croûte rude et crissante du texte se cache une mélodie profonde et ténue qui console, un appel timide et pur, la pulsation d’un amour, une parole au-delà de toute parole. Le poète habite là, sous les ombres, dans le plus grand secret.
Jean-Claude Pirotte (avant-propos de Je n’ai jamais été à Iquitos)
        
            Il y a dans vos poèmes comme écartelés – et cela aussi atteint très loin en moi – comme une pudique nostalgie (eh oui, malgré l’apparence à laquelle certains, toujours les mêmes, ne manqueront pas de se tromper) et un appel. Je songe au titre de Bianciotti soudain « L’amour n’est pas aimé ». Pardonnez la maladresse de mon expression : mais c’est bien aussi ce cri et cet appel, dans votre poésie, qui m’atteignent. Il me semble que c’est la vérité même de votre être, partout, qui se dit et se déchire, se met à nu.                                                                  
 
Jacques Borel (à propos de Je n’ai pas été à Iquitos)
          Vous écrivez en toute évidence en héritier de Valéry Larbaud et de Blaise Cendrars, de Kerouac et de Kenneth White. Vos textes sont pleins de vent, d’air aspiré et de nostalgie.
 
Christian Hubin (idem)
         Ce livre, je l’aime vraiment beaucoup, car il me semble échapper à tout « ronron » autant qu’à cette désastreuse « belgitude » qui nous endort…
 
Werner lambersy (idem)
         Je n’ai jamais été à Iquitos : cela vous dérangerait-il que je voie ce recueil comme un journal-jeans et jazz d’un poète dérivant à la recherche d’une identité et qui n’accomplit pas le voyage, même si le voyage est le moteur de cette dérive.
André Schmitz (idem)
         Ce désespoir fondamental, de la vie comme de l’écriture, interdit d’envisager la poésie comme un jouet culturel. Notation lucide et tension douloureuse, dont la révolte à l’égard de la condition humaine est le détonateur : Dantinne « ne fait pas de la poésie ». C’est pourquoi son livre est traversé d’interrogations convulsives et c’est pourquoi le voyage entrepris et narré n’est pas de divertissement (qu’il soit touristique ou poétique, et de toutes façons anecdotique) mais à usage interne.
 
Eric Brogniet (critique de Je n’ai jamais été à Iquitos, dans Marginales)
         Ses poèmes se donnent à vif, au cœur même de l’expérience vécue. L’amour et ses défaites y tiennent une large place, et cette espérance chevillée au cœur, d’un peu de tendresse, d’un geste de bonté. Mais n’avons-nous pas vocation du malheur ? et ne sommes-nous pas les passagers de nos peurs ?(…)
          Appel à la sérénité, la poésie de Dantinne vibre d’un désespoir que la révolte et la rage transforment en cette force qui pousse le désir au-delà de lui-même, vers le partage impossible, le lieu mystérieux où vivre en paix ; n’est-ce pas la mission du poème, quand il est inspiré ? Ou de la musique qui le prolonge jusqu’à l’incandescence ?                                                                             
 
Alain Bertrand, pour De Consolatione Poetica, dans Luxemburger Wort.
(…) Je voulais juste te dire à quel point j’avais été ému (pardon pour cette faiblesse, mais il n’y a pas d’autre mot : ému) par la lecture de ton de De Consolatione Poeticae, qui est plus qu’un recueil de poèmes, mais un état de la vérité. Et de la vérité la plus cruelle. Il n’y a pas beaucoup de lignes qui ne formulent pas très justement ce que j’ai plus d’une fois éprouvé devant cette navrante catastrophe des choses qu’on ne recommencera jamais. Le chagrin n’est sans doute pas la bonne attitude. Mais n’importe quelle autre attitude ne serait qu’une feinte. On fait face, d’ailleurs assez mollement. Nous ferons semblant d’y croire toujours. On se noie dans l’écriture avec le sentiment d’y nager. Finalement, on est heureux qu’à l’âge où la question du bonheur ne se pose pas. Ton beau livre est un livre de survie. L’espoir y est à sa place naturelle : nulle part.(…).
Lettre de Franz Bartelt à propos de De Consolatione Poeticae
“Il n’est pas très original de mourir, mais vivre non plus, n’est pas une chose très neuve” écrivait Essenine au bord du suicide. L’incapable d’Alain Dantinne constate qu’ “il n’y a ni fort, ni faible. Que des vaincus”. Mais il existe pour les vaincus, des défaites fascinantes, qui sont appelées autant qu’exécrées. Ce journal sera donc le registre fidèle d’une double agonie, celle de l’enfant que fut le narrateur – et qu’il se surprend à être encore – et celle d’un père lointain que la mort va soudain rapprocher férocement. Mais c’est aussi la relation d’une paradoxale et obstinée renaissance. Faut-il que meurent les êtres aimés, familiers et méconnus, intouchables et souverains, pour que nous nous sentions autorisés à naître ? Et que se flagelle et s’autodétruise le sentiment amoureux pour que l’amour accède à l’épiphanie ?
 
Jean-Claude Pirotte, à propos de Journal d’un incapable