Extraits de « Que faire d’une lampe, il pleut, le jour se lève » ED. Saint-Germain-Des-Pres Doucement il allait, parmi tant de choses à demi réelles comme on pousse parfois une porte, inopinément et qu’elle s’ouvre soudain entre l’ombre et la lumière Alors, sans un geste, sans hésiter il sortit Et dehors, silencieusement les chemins, les sentiers qu’il prit se mirent, en lui, rien qu’un peu et par chance, à murmurer mezza voce *** Routes excentriques et chemins creux terrain creusé des alternances trame de doutes visage d’aveux gardes-tu l’exacte conscience ont-ils enregistré, tes yeux ces méandres et ses mouvances ces virages où tu prenais feu comme saisi par la véhémence emporté par d’autres enjeux *** Quand il voulut de ses propres menteuses mains lever le masque qui couvrait son visage faussement éperdu pour, selon lui, recouvrer une transparence oubliée apparut, autour de ses yeux où s’exprimait une détresse si adroitement feint qu’encore un peu on l’aurait crue vraie, sa peau arrachée, nue ***
A Jules Supervielle
Je suis l’arbre composite le végétal voyageur et j’ai montré à mes tendres écorces — hélas moins tendres à cette heure ! — les forêts de Brocéliande et de Soignes, les Landes les Fjords les Fagnes et tant d’autres sites où j’ ai couru, où j’ai grimpé, de toutes mes racines comme d’autres volaient ou naviguaient Et mes branches, déconcertées, jouaient à « je suis le charme ou l’aubépine je suis l’olivier oui bien le saule ou le tremble l’eucalyptus ou l’oranger » tandis qu’étourneaux, grives musiciennes, mésanges et, n’oublions personne, mille et un chanteurs-voltigeurs parmi lesquels, il me semble, quelques oiseaux de Paradis tournoyaient, perplexes, se demandant « à quoi donc ressemble cette plante qui n’est pas d’ici cette sorte de feuillage étrange ? » J’aurais tant aimé, tant qu’à faire, tremper les pieds dans la mer Mais trêve de nostalgie le matin, j’étais reparti enjambant détroits et ravins toujours en quête d’un jardin Je suis un arbre pèlerin *** Extraits de « Feuillage et silence » Librairie-Galerie Racine BALANCE Sur une balance je pense, je pense je suis un marin distrait par le roulis que ma tête fait Sur une balance comme une transhumance je suis un mouton gourmand vagabond de pré en champs Sur une balance finies les carences admirez l’homme invincible qui atteint toutes les cibles Sur une balance j’interroge ma présence pourquoi moi ici ? Où mon corps et où l’esprit ? Sur une balance je suis en confiance j’escalade comme cabri des précipices inouïs Sur une balance mon corps reçoit des cadences des étoiles tournant là-haut en rondeau Sur une balance Je me ris de l’arrogance Du monsieur assis Sur ses principes, tapi Sur cette balance lieu de toute confidence j’interpelle doucement ces cœurs errants *** PASSE PRESENT Pluies et brumes enfuies mon âme en chasse éperdue voulant surprendre encore le rêve jailli sous les lunes anciennes et dessin net de vasques fruits de jadis arabesque d’avant midi enfouies au fond des neiges, des nuits Murmure, sous le torrent, distinct que ne réduisent, n’éparpillent eaux ni vents Et kyrielle d’instants d’hier non abolis a contretemps dans ce paysage aujourd’hui Rivière lente soudain récapitulant ses rives premières réfléchies sous un autre ciel en aval, vie qui se souvient en arrêt, parcourue, fuie.