Textes
ALMANACH DE COMPERE GUILLERI
Pour nous habituer à l'heure d'été prochaine, les coqs chantent plus tôt. Leurs voix de coquelicots, de bleuets et de marguerites vient du fond des cours, de boîtes en planches et en fils de fer, d'invisibles jardins. C'est encore un matin d'ardoise, avec une seule fenêtre éclairée dans la maison noire d'en face. Mais le chant du coq ne nous réveille pas chez nous.
Un réveil au chant du coq, c'est de la joie, de la fraîcheur au coeur et de la gaîté dans les oreilles pour une journée entière; c'est la campagne, les vacances au village, la ferme proche avec de bonnes odeurs de pains au four, de fumier fermenté et de bergerie, la petite servante au menton de reinette et aux joues de court-pendues; et puis, du coup, le départ pour le tour du monde puisque - on nous l'a dit - les coqs se répondant de quartier à quartier, de la banlieue aux champs, de clocher à clocher, leur chant noue la ronde autour de la planète.
Et tout de suite, bien plus clairement que dans les livres, nous découvrons que la terre est ronde, qu'elle tourne à la broche sur son axe des pôles et que le soleil est là qui arrose de sa bonne sauce dorée la croûte qui s'offre à sa cuiller.
Le réveille-matin qui gratte, qui grince nous donne un coup au coeur et nous jette dans la réalité, sur le linoléum et devant le miroir. Le chant du coq nous berce et nous mène à la campagne. Ce n'est pas cette cour du concierge, ni des jardinets où pendent les tabliers et les chemises des lessives que monte cet appel; l'oiseau qui crie est le coq d'or d'une petite église dont le curé boit du bourgogne, se dispute avec une servante acariâtre et fait pousser des citrouilles parmi des tournesols et des pivoines.