“Figure namuroise : José Chanly (1984)”, de Joseph Delmelle :
José Chanly – c’est là un pseudonyme dont le propriétaire se nomme, en réalité, José Mazuin – est venu au monde en 1938.
Cet heureux homme n’a donc pas connu – ou si peu! – cette seconde guerre mondiale dont le souvenir n’est entré, en lui, que par personnes interposées et lectures ayant plus d’une fois fourni un tremplin à son inspiration. Il demeure à Fosses-la-Ville, à la lisière du plateau de la Marlagne, au pays de saint Feuillen et des Chinels. Sa petite ville et l’Entre-Sambre-et-Meuse ont plus d’une fois stimulé son lyrisme… Et ses moqueries. Car le paysage se réduit parfois à “Des maisons mornes, des arbres en larmes” avec, tombées au champ d’honneur, “des betteraves, dents arrachées“. Quant à la petite ville où il a ses pénates, elle lui offre un spectacle varié où
des flaques d’eau
sourient
comme des Jocondes
après le passage des pompiers
mais
une tribu de pintades
motos ne voulant prendre
fait un de ces tintamarres!
Mais qui est tout d’animation colorée au Laetare lorsque les Chinels dansent, comme s’ils étaient en ébullition, agitent leurs clochettes, tournent comme des moulins à vent exhibant un yatagan de bois :
c’est le jour des gosiers en pente
des crises de foie…
mais les tambours battent la mesure
José Chanly se fait donc, d’aventure, le “chroniqueur” de son étroite cité et de la région sur laquelle elle règne. Mais ce n’est là, bien entendu, qu’un des nombreux aspects d’une oeuvre qui ne cesse, en dépit des apparences, de se référer à une réalité vécue avec passion et liberté. Car si notre poète est un “rat des champs”, il est aussi un “rat des villes”. Professeur de français à l’institut technique de Namur, il passe une grande partie de son temps loin de sa collégiale. Et il a donc le loisir d’observer autre chose, de s’imprégner de l’atmosphère citadine, de s’évader de son univers quasi champêtre. Par ailleurs, comme tous nos contemporains, il voyage… D’aventure jusqu’à Moscou, ou Paris, ou San Francisco. Et sa vision du monde est donc, en définitive, aussi large que celle de beaucoup d’hommes de notre époque… Qui ne se contentent pas de regarder, mais veulent voir!
Ses récoltes, José Chanly les a engrangées aux pages de plusieurs recueils dont le deuxième : Seuls ensemble, dédié à son épouse, date de 1970 et témoigne d’une intense volonté d’indépendance et donc d’originalité :
de la mère
cette sortie illicite d’un poète en révolte
cette envie folle
soleil
d’être ton petit ouvrant sa coquille
d’un royal coup de bec
Par la suite, tout en donnant certains de ses textes aux revues parmi lesquelles Marginales d’Albert Ayguesparse et les Feuillets du Spantole de Roger Foulon, José Chanly a livré à la publication d’autres ensembles dont Dix-huit désirs d’écrire et , sorti à l'”Atelier du Champeau” avec des illustrations d’une remarquable finesse de trait de Marie-Paule Wagner, Proies en prose. Là, l’auteur se compare à Champollion à la recherche de sa pierre de Rosette. Et il suit un itinéraire fantasque, jalonné d’images insoutenables comme celles ayant été montrées lors du procès de Nuremberg, de souvenirs gustatifs, auditifs et visuels, de réflexions sans complaisance sur notre société associant le meilleur – un peu! – au pire – à fortes doses! – , ne cessant d’opposer l’ange à la bête, l’argent à l’idéal, le plaisir au cancer. Hélas, oui, la vie est ainsi faite… Et, s’il s’agit de refuser – autant que possible! – ce qu’elle comporte d’inacceptable, il n’y a toujours pas lieu de s’abandonner au désespoir. Lucide, José chanly ne noie pas son idéalisme congénital dans l’ivresse. Il s’en guérit par l’écriture, ce puissant antidote dont les pouvoirs sont bien connus. L’or est sous la cendre. La vérité est au-delà du concret et du quotidien. Elle réside peut-être dans le trottinement d’une musaraigne, dans la saveur d’une pomme, dans une certaine solitude ou dans la neige qui vient recouvrir “les plus beaux désastres“. Dans ses poèmes et ses proses, José Chanly se libère du mal de vivre. N’est-ce pas aussi une telle libération que nous cherchons souvent à notre insu?
Joeph Delmelle