sa BOURGEOIS Frédéric - Maison de la poésie et de la langue française de Namur

BOURGEOIS Frédéric

Portrait de BOURGEOIS Frédéric

Biographie

Frederic Bourgeois est né en 1980. Installation à Bruxelles en 1998. Brillantes études en traduction et communication jusqu’en 2006. Excellent professeur d’anglais, il travaille également au sein d’une célèbre compagnie de danse depuis janvier 2007. Brillant projet musical avec Ambroise.
Les six derniers mois, il a écouté, e. a., Arnaud Michniak, Iron & Wine, Jeffrey Lewis, Joy Division, Rien, Sylvain Chauveau et Julio Iglesias. Il a lu, e. a., La faim (K. Hamsun), Entretiens sur la poésie (M. Darwich), Journal, 1931-34 (A. Nin), Mon chien Stupide (J. Fante) et La raison gourmande (M. Onfray).

Textes

à Mehdi

La Sambre continue à couler, mais maintenant tout est nettoyé. Les rares personnes qui passent à côté n’y pense même pas. Comme si rien ne s’était jamais passé puisque de toute façon, rien ne pourrait jamais s’y passer. Les Namurois ont toujours préféré faire comme si et peut-être que quelque part, je suis comme eux. On essaie d’échapper à ce qu’on ne veut pas voir. Mais je ne peux pas échapper à cinq années sur les mêmes bancs d’école. Ce serait nier toute une éducation. Toute une construction de la personne. Et des personnes qui étaient avec moi sur ces mêmes bancs. Quand on a jeté un de ces bancs dans la Sambre, on a eu envie de rire, mais pourtant personne ne l’a fait. On s’est regardés comme des chiens de faïence et on n’a pas osé aller plus loin, de peur de se casser. On a tourné le dos. Un seul, mais je ne l’ai pas vu, s’est retourné pour voir que le bois ne flottait pas, et on est tous partis de notre côté. Il valait peut-être mieux.

Je n’ai pas eu de nouvelles des autres. Je ne sais pas si j’en aurai. Le soleil s’est levé avec moi ce matin, avant de disparaître aux alentours de 11h34. Il a plu alors. Et maintenant qu’il ne pleut plus, il fait tout gris. Rien ne me dit que les autres me donneront des nouvelles. Je connais juste les heures de visites et celle de l’enterrement. J’en profite pour briser en moi d’autres liens. Enfin, pour les mettre de côté plutôt. On ne sait jamais, des fois que j’en aurais besoin plus tard.

On m’a demandé d’annoncer le décès à un autre. Me voilà colmorteur. Sans l’avoir nécessairement choisi, je l’ai tout de même accepté. Je n’ai même pas vraiment hésité. Demain donc, je vais l’appeler, lui demander comment il va, s’il a déjà reçu le courrier ou s’il n’est vraiment pas au courant. Alors je devrai lui annoncer : Mehdi est mort. Je me demande comment il réagira. Peut-être comme les autres. Peut-être comme moi. On s’est dit ah. Mince. C’est lourd. C’était un bon gars. On n’était pas vraiment proches, non, ça fait aussi sept ans qu’on ne s’était plus vus, mais bon, on a quand même grandi ensemble. C’était un bon. Un gars qui en voulait. Personne ne sait vraiment ce qu’il s’est passé en plus. Les journaux ont annoncé un scénario, mais personne ne sait si c’est ce qu’il s’est réellement passé. Et on ne le saura d’ailleurs jamais. Et puis comme pour tout, on finira par oublier son nom. Déjà qu’on avait presque oublié sa compagnie.

Ce qui m’étonne, par contre, c’est l’engouement morbide de certains que je n’aurais jamais devinés proches de lui. Une sorte d’élan qui les emporte parce que face à la mort, on est tous les mêmes. Alors autant supporter les autres parce qu’ils en auraient fait de même avec nous. Sauf que les autres, ils ne seront plus capables de rien là où ils sont. Peut-être, si on y croit, de nous accueillir. Mais rien ne nous dit qu’ils seraient venus à notre enterrement, et, surtout, tout nous dit qu’ils n’y seront pas. Alors pourquoi y aller. La question me reste en tête, surtout pour ceux que je n’avais jamais vu s’approcher de lui. Pour ma part, je n’irai pas à l’enterrement. Je ne sais pas ce que j’y aurais fait. Quel est le meilleur hommage à rendre à un mort ? Je n’en sais rien. Et si les vivants sont des morts en devenir, ne vaudrait-il pas mieux les louer eux, avant qu’ils y passent ? Je n’en sais rien.

La Sambre continue à couler envers et contre tout. Elle s’en fout. Nous, on est là, on vient, on part et puis voilà. Elle, elle coule et nous fout la paix. Parfois elle nous prend, mais c’est pour nous rendre après, elle n’aime pas tellement nous garder. Elle a compris que ça ne servait à rien, de garder des choses. Pas conne, la Sambre.