BERGEN Véronique

Biographie

Véronique Bergen, philosophe et écrivain née à Bruxelles. Auteur d’essais philosophiques notamment L’Ontologie de Gilles Deleuze (L’Harmattan, 2001), Résistances philosophiques (PUF, coll. Travaux pratiques, 2009), de romans dont Kaspar Hauser ou la phrase préférée du vent (Denoël, 2006), Fleuve de cendres (Denoël, septembre 2008), de recueils de poèmes (dernières parutions : Alphabet sidéral. Dans les pas d’Anselm Kiefer, Le Cormier, 2008, Glissements vers l’ouvert, Maelström, 2009. Auteur de nombreux articles sur Deleuze, Badiou, Sartre… Elle est membre de comité de rédaction de la revue Lignes. Veronique Bergen a reçu pour son roman Kaspar Hauser ou la phrase préférée du vent, le prix Felix Denayer décerné par l’Académie royale de littérature et langue françaises de Belgique.

Source : Éditions L’Arbre à paroles

Bibliographie

Essais :

  • Jean Genet. De Boeck, 1993.
  • L’ontologie de Gilles Deleuze. L’Harmattan, 2001.
  • Aujourd’hui la révolution. Fragments d’Ulrike M. Golias, 2011. (Combats actuels).

Recueils de poèmes :

  • Brûler le père quand l’enfant dort, éd. La Lettre volée, 1994.
  • Encres, avec des peintures d’ Helena Belzer, préface de P.-Y. Soucy, éd. La Lettre volée, 1994.
  • L’obsidienne rêve l’obscur, L’Ambedui, 1998, préfacé par P.-Y. Soucy.
  • Habiter l’enfui, L’Ambedui, 2003, préface de C. Lejeune.
  • Voyelle, Le Cormier, 2005.
  • Plis du Verbe, MaelstrOm, 2006. (Bookleg).
  • Alphabet sidéral : dans les pas d’Anselm Kiefer, Le Cormier, 2008.
  • Glissements vers l’ouvert, MaelstrÖm, 2009. (Bookleg).
  • Palimpsestes, L’Arbre à paroles, 2010.
  • Griffures, suivi de La nuit obstinée, MaelstrÖm, 2014. (CompAct).

Romans :

  • Rhapsodies pour l’ange bleu. Luce Wilquin, 2003.
  • Aquarelles. Luce Wilquin, 2005.
  • Requiem pour un roi – Mémoires de Louis II de Bavière. La Muette, 2011. Prix Emile Bernheim 2011.
  • Voyage en Mylénie, La Muette, 2012.

Également auteur d’un ouvrage sur l’œuvre picturale de Sophie Cauvin (début 2005). Elle a écrit de nombreux articles sur Genet, Bataille, Deleuze, Badiou, Sartre… dans différentes revues et ouvrages collectifs et elle collabore également à diverses revues.

Textes

Elle,
Prise dans l’Ailleurs,
Un élixir divin serpentant dans les plis de son corps,
Un croissant de lune bleue maintenant son cou dans l’être.
Rassemblée par l’encre qu’elle divise en cris aériens,
Elle ne se confie qu’à la foudre.
Fleur de pavot cheminant dans l’enfance,
Elle a l’élégance d’une nuit ivre d’étoiles.
La nommer d’un blanc qui enceint sa taille
Laisse perler sur ses lèvres des odes au whisky noir.
(extraits du poème en prose Voyelle)
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Lumières XIV
Ce jour-là, les nuages tombèrent comme des oisillons de leur nid.
Sa mère avait cessé de dormir dans le hors-sommeil, de courir dans le hors-espace.
Elle qui, rêvant d’un duel avec Dieu, avait dû se contenter des hommes.
Elle qui s’était installée là où s’arrête la terre ferme.
Nulle strophe du moindre grimaud n’avait pu l’héberger.
Nul rythme n’avait pu devenir l’ami de sa haine.
La dernière rixe : des flots d’ébène échouant à ôter la vie au ciel.
L’épilogue : la suspension du torticolis qui ravageait la langue.
Je laisse mes conclusions s’écouler.
Il n’y a d’égalité entre ce qui vient et ce qui part, entre la chair en éveil et la chair dissipée en songe.
Il n’y a de tisserand pour les tapisseries du malheur.
Il n’y a de poème entre la malveillance de la hache et les rictus de la pierre.
Il n’y a de noblesse dans la bouche noire de la patricienne.
Mais il y a des croque-morts qui se dédoublent en croque-vies, des radeaux qui vident la mer de ses eaux lisses.
Mon amante grandit dans l’aurore qu’elle nous prépare.
Lumière et pivoines cheminent, bras dessus bras dessous, dans la confiance revenue.
Le jour s’étend dans la vérité spéculative du lieu.
Je constelle sa nuque des nombres que sa n-m déroba,
J’immobilise son ventre dans mes rivières de nom oraculaires.
Je l’arrache à ce qui n’est plus, je dépose ses restes de dépit dans un labyrinthe de mortaises.
Elle me Décameron hors langue, je la griffe en cyrillique.
Elle m’athanor, je la pierre philosophale en ses idéogrammes.
Soudain, l’acacia se remémore la main qui l’a planté.
                                                                      *
Etroit le psaume courant dans le lointain hier.
Vive l’ode ouvrant un présent sans holocauste.
Aérienne la troupe des heures natales.
Cabotine l’incidence de la prière sur les sens.
Sauvé de la mort, le ciel émet un léger sifflement.
Le « jamais » ne complote plus contre le « soudain ».
La marche des heures est celle de jeunes filles en ribote.
L’exode met un terme à se carrière.
La grève, amante de la mer, consolide ses temples de cristaux salins.
Les paupières du monde libèrent les yeux qu’elles emmuraient.
Nos bouches sécrètent des passementeries d’or. Nos mains des glaïeuls aux pommettes saillantes.
Je tressaille dans son empire d’émotions pures.
Je la dynastie sans trône ni couronne.
Elle ne cravache plus les heures indolentes.
Elle contre le ballet des feuilles mortes par celui des atomes.
J’épands mes versets en désordre.
Sur la piste des anciens dieux, ni serpent ni pomme.
Sur le toit du monde, la cigogne qui n’évide plus son nid.
Sur l’épaule de la danse, les cris de tous les immobiles.
Sur l’évidence pédante, la ruade de l’androgyne.
Sur les joues de mon amante, le texte de minuit.
Sur le givre de la parole, le glaive de l’amour.
A la charnière du passé têtu et du présent troué, les instances mythiques.
A la charnière de l’esprit aiguisé et de l’époque obtuse, l’éternité des théorèmes.
A la charnière du silence et du sable, une étoile de bateleur.
A la charnière du crachat maternel et de la révolte, une rose indigo.
A la charnière des rires et des larmes de mon amante, mes bataillons de baisers.
Je parle à ses sourires lune renversée.
Je parle à ses évasions dans le non-écrit.
Je parle à ces voyelles clandestines
Je parle à ses cris pour les déminéraliser.
Je parle dans une parole que personne n’a empruntée.
Je parle en agitant les ailes immortelles des anges.
                                                                      *
[…]
Quatre questions, en moi, cheminent.
Quelles sont les lettres qui échapperont à toute crucifixion ?
Qu’est-ce qui, dans la poésie, n’a réussi à franchir le cap de la naissance ?
Qu’est-ce qui s’ébroue lorsque le réel dément les proverbes ?
Qui étouffe lorsque le réel dément les proverbes ?
Mon amante se désolidarise du corbeau qui perd son cor, de l’amaryllis qui garde Alice et jette Marie.
Pour que son philtre me traverse, elle accole « tubéreuse » à « criminelle ».
Elle me fait grimper à l’intérieur de sa bague magique, passeport pour l’azur.
Elle est la femme-fleur qui n’a pour racine que ses propres songes.
Elle est la fugitive qui cherche à se glisser dans les petites cavités que la vie dépose en son
labeur.
Capturée dans l’élégance de ses voyelles, je prie les astres.
Je dépose des adjectifs bigarrés entre mes prénoms et mes verbes.
Je la fais courir dans les jardins de la haute enfance libérée.
Je la gymnopédie sans demi-teintes, maelström d’hortensias.
Je sculpte ses émotions en souples volutes.
J’irrigue ses mystères de mon encre viscérale.
J’échancre ses lieder et y glisse des mesures ocre.
Je récolte le copal de ses contes et légendes.
Les heures regorgent de mariées bercées par des océans séculaires.
Je lèche l’infini qui, autour de ses poignets, s’entortille.
Ses lèvres exhalent le nombre d’or qu’aucun tireur embusqué ne vise.
La lune que je promène au bout de mon doigt inonde sa poitrine d’une lumière militante.
Tandis que le ciel épelle le symbole de l’envoi qui, en son prénom, se loge,
Je soulève la parenthèse blanche en laquelle, parfois, elle se tient.
Abritée dans sa dissidence opiacée, elle est la fleur qui attend le velouté de lèvres salvatrices.
Elle ne frappe pas aux portes de l’éveil,
Elle s’accroupit pour être convoquée par leurs chants nuptiaux.
L’océan de la vie n’a pour elle ni gouvernail ni rivage ferme,
Juste un glissando de notes nomades,
Juste des alvéoles découpés dans  le tissu des siècles.
Au plus profond de ses temples, je souris à la tribu de ses voyelles clandestines.
Ma passion fait du jeu des temps le creuset d’un présent transfiguré, une rivière d’éternité autour du cou.
Longeant la ligne de sa chevelure, son tatouage me murmure « bois mes larmes ».

Commentaires

« L’étonnante beauté sacrificielle des poèmes de Véronique Bergen tient à tous ces phénomènes d’hybridation entre brûlure et sauvagerie, plasticité sonore et saveur charnelle, danse et empalement, don et déploration, rythmes et ruts sans merci ». Richard Blin, in « Le Mensuel Littéraire et Poétique », n°265, décembre 1998 (à propos de L’Obsidienne rêve l’obscur).
« La poésie de Véronique Bergen ayant le fascinant du diamant – ou plutôt de la diamante. Une poétique à la Mallarmé, altière et sulfureuse, qui eût enchanté Mandiargues ». Francis Matthys, in « La Libre Belgique » du 23 mars 2003.
 « Sonnez clairons : une romancière nous est née (…) Elle a des capacités littéraires si amples qu’elle nous gave de mots, d’idées, de raisonnements, d’envolées, d’intelligence et de cette naïveté propre aux vrais surdoués. Véronique Bergen est l’une des plus lucides de nos essayistes, une poétesse à l’ampleur verbale exceptionnelle ». Jacques De Decker, in « Le Soir » du 21 mai 2003.
 « Habiter l’enfui (…) est un livre rare qui bouleverse les données acquises de l’écrit, en apportant un regard neuf, une nouvelle fraîcheur ». Jean Chatard, in « Poésie sur Seine », octobre 2003.
 « La finesse de l’analyse psychologique du sentiment amoureux et la qualité de son rendu stylistique sont remarquables, mais Aquarelles vaut aussi pour sa narration audacieuse », Thierry Leroy, in « Le Carnet et les Instants », n°138, juin-septembre 2005.
 « Baroquisme, ironie, signification profonde, Bergen se joue de tous ces ingrédients pour distiller une prose insolemment personnelle, qui se gagne peu à peu des inconditionnels, sûrs qu’une œuvre de première valeur s’élabore là ». Jacques De Decker, in « Le Soir » du 17 juin 2005.