ANTOINE Hubert

Biographie

Hubert Antoine est né à Namur en 1971. Après une formation en facultés de Droit et de Philosophie et lettres comme auditeur libre, il part en 1996 à Guadalajara, au Mexique, où il fonde un petit restaurant de crêpes et de gaufres : le Coq à poil. En 1998, il a reçu le Prix Polak de l’Académie pour son manuscrit “La terre retournée” et a très tôt été reconnu comme l’un des meilleurs écrivains de sa génération.

Bibliographie

  • Le berger des nuages, Amay, L’Arbre à paroles, 1996.
  • La Terre retournée, Bruxelles, Le Cormier, 1999. Prix Polak 1998 pour le manuscrit.
  • Vociférations, Bruxelles, Le Cormier, 2000.
  • Introduction à tout autre chose, Paris, Gallimard, 2006. (Verticales).
  • Exercices d’évasion, Bruxelles, Le Cormier, 2011.
  • Tohu-bohu et brouhaha, Le Cormier, 2013.
  • Comment je ne suis pas devenu poète, La Lettre volée, 2014.

Textes

Extrait de Exercices d’évasion
Le changement doit être radical si on ne veut pas être écrasé par le poids de ce que l’on représente. Avec ces cartes en main, construire le château aux parois lisses, puis s’en échapper d’un souffle.    je me fiche de mon avis
si je devais écrire sur la vie
je le ferais avec une sauce au curry
sur le tee-shirt d’une adolescente fraîche
et mes instincts de porc alors
seraient un rien indiens
plus sacrés qu’une vache
dont le lait hélas ne nourrit plus les rois mages
depuis qu’ils sont touristes
au pied d’un gratte-ciel
portrait sans épluchure
je suis le fils d’une douleur aiguë
et lui ressemble comme deux croûtes de sang
si j’ai grandi c’est comme un intestin
qui a joui au bambou des tortures
ma tête a jeté dans l’exil son épluchure
jamais appelée mère
les yeux sont blets dans leur trèfle amputé
que cueille l’horizon avec ses doigts brûlants
mon pays pèse quatre-vingts kilos
aucun passeport ne vaut ses blessures
le reste du corps est inutile à fleurir
les vers sortent tout seuls
je parle la langue des vulves
qui perdent des enfants
sur le tapis de l’insouciance
mes frères et sœurs gardent le sang
que j’ai donné aux couteaux et aux dents
je ne partage plus avec eux que l’urine
qui m’aime tremble comme une fuite
face aux coups de mes jouets
face au pire de lui
alors que fouiller dans la fange
qui n’ait pas l’air d’apparaître sur l’écran plat
des malédictions ?
j’écris parce que je suis faible
et n’ai plus la force de menacer ma tombe
j’écris sur une peau de lait bouillant
pour cracher sur la veille
pour pardonner l’argent
pour ne rien demander au feu
                                                    j’écris pour mourir justement
quelque part inconnu
quelque part inconnu
avec des ailes de champignon de prairie
au cas où les doigts abandonneraient le jeu
de tourner l’hélice
inconnu derrière mon masque
de bon automne
oui quelque part
où il y aura un peu de lumière
pour traire ce que broute l’amertume
je serai vieux
vieux
sage, solide et ridé comme la tortue
sur qui les balles rebondissent
et devant le public des feuilles gaspillées
au cours de trop d’années
à détester mûrir
je creuserai le doute
d’une vie de pensionnaire
qui vécut à la rigueur
par réflexe social
sans jamais permettre à la mécanique
de jubiler aux frissons de la rouille
voilà
et ce sera trop tard
pour faire la moisson des erreurs
qui nourrissaient en avalanches
il n’y aura plus qu’à couper la table des matières
et se rappeler le livre
dans le vocabulaire des poissons
sans se résoudre
ni se satisfaire
à savoir son nom
                                       connaître la saveur de la pierre
Textes inédits : extraits du recueil à paraître Abats

Commentaires

“On ne supplie pas un réveil-matin. / Question d’éthique.” Dans ces Exercices d’évasion, Hubert Antoine use à la fois de la réflexion, à travers des phrases dépouillées qui disent sans détour, avec une netteté non dénuée d’un humour ravageur, les conditions et le sens de ses évasions; et de la poésie, par la puissance d’évocation des mots qu’il sait si bien associer, confirmant ainsi tout le poids de la langue contre l’emprise unilatérale de la pensée. Une manière fulgurante d’insérer le poème dans la prose.

Extrait de : “Le Carnet et les Instants”, n°166, avr.-mai 2011.