WOUTERS Liliane

Biographie

Née le 5 février 1930 à Ixelles (Bruxelles). Liliane Wouters rentre à l'école normale en 1944, après la Libération. Institutrice pendant plus de trente ans, de 1949 à 1980, elle fut membre de l’Académie royale de Langue et de Littérature françaises de Belgique, de la Koninkliyke Academie voor nederlandse taal-en letterkunde et de l’Académie européenne de Poésie. Elle a obtenu de nombreux prix littéraires parmi lesquels la Nuit de la Poésie, décerné par un jury qui comprenait Cocteau, Aragon, Reverdy, Seghers (Paris, 1955), le Prix triennal de Poésie (Bruxelles, 1962), le Grand Prix de la Poésie de la Maison de la Poésie (Paris, 1989), le Prix du Conseil de la Communauté française de Belgique pour le théâtre (Bruxelles, 1990), le Prix triennal de la Communauté flamande (Bruxelles, 1992) et, pour l’ensemble de son œuvre, le prix Montaigne, décerné par la Fondation Frédéric von Schiller (Hambourg, Allemagne, 1995). Elle a également reçu le Prix quinquennal de la Communauté française 2000, le Prix international de la Clé d’or (Smédérévo, Yougoslavie, 2000), la Bourse Goncourt de la Poésie (Paris, 2000), le Grand Prix international de poésie Guillevic/Ville de Saint Malo pour l'ensemble de son oeuvre (2009) et le Prix Alain Bosquet en 2010. Liliane Wouters est décédée le 28 février 2016.

Bibliographie

Poésie :

  • La marche forcée, Éd. des Artistes, Bruxelles, Georges Houyoux, 1954.
  • Le bois sec, Paris, Paris, 1960.
  • Le gel, Paris, Seghers, 1966.
  • L'aloès, Paris, Luneau-Ascot, 1983.
  • Parenthèse, Saint-Laurent-du-pont, le Verbe et l'Empreinte, 1984.
  • Journal du scribe, Bruxelles,Les Éperonniers, 1990.
  • Tous les chemins conduisent à la mer, Bruxelles,Les Eperonniers, 1997. (Passé Présent).
  • Le billet de Pascal, Luxembourg,Ed. Phi, 2000.
  • Les sept portiques du chemin de Pâques, Châtelineau, Le Taillis Pré, 2000.
  • Changer d'écorce, Tournai, La Renaissance du Livre, 2001.
  • Le livre du soufi, Châtelineau,Le Taillis Pré, 2009.
  • Derniers feux sur terre, Le Taillis Pré, 2014.

Théâtre :

  • Oscarine ou les tournesols, création Rideau de Bruxelles, 1964.
  • La porte, création Festival de Liège, 1967.
  • Vies et morts de Mademoiselle Shakespeare, création Théâtre de l'Esprit Frappeur, Bruxelles, 1979.
  • La Célestine (adaptation d'après Fernando de Rojas), Théâtre Royal du Parc, Bruxelles, 1981.
  • Le monument (1 acte du spectacle collectif Le 151ème), Maison de la Culture de Mons, 1981.
  • La mort de Cléopâtre (1 acte du spectacle collectif Cléopâtre), Théâtre de l'Esprit Frappeur, Bruxelles, 1982.
  • La salle des profs, création Maison de la Culture de Mons, Théâtre de l'Esprit Frappeur, Bruxelles, Jacques Antoine, 1983.
  • L'équateur, mise en voix Festival de Liège, octobre 1984. A paraître également chez Jacques Antoine, suivie de Vies et morts de  Mademoiselle Shakespeare.
  • Charlotte ou la nuit mexicaine, Bruxelles, Jacques Antoine, 1989.
  • Le jour du Narval, Bruxelles, Les Éperonniers, 1991.

Anthologies, essais, traductions :

  • Belles heures de Flandre (Poésie flamande du Moyen-Age), Seghers, 1961 ; Les Eperonniers, Bruxelles, 1997 (coll. Passé-Présent).
  • Guido Gezelle, Seghers, collection Poètes d'aujourd'hui, 1965.
  • Bréviaire des Pays-Bas (Littérature flamande du Moyen Age), Paris, Éd. Universitaires, 1973.
  • Reynart le Goupil, Bruxelles, Renaissance du Livre, 1974.
  • Panorama de la poésie française de Belgique, Bruxelles, Jacques Antoine, 1976.
  • Terre d'écarts (en collaboration avec André Miguel), Bruxelles, Editions Universitaires, 1980.
  • Ça rime et ça rame, Bruxelles, Labor, 1985.
  • Un siècle de poésie belge de langue française (4 tomes, avec Alain Bosquet), Bruxelles, Ed. de l'Académie royale de langue et de littérature françaises, 1992.
  • Un compagnon pour toutes les saisons, traduction Guido Gezelle,Marseille, Autres Temps, 1999.
  • Le siècle des femmes, anthologie, avec Yves Namur, Bruxelles, Les Eperonniers, 2000.
  • Poètes aujourd'hui - Un panorama de la poésie francophone de Belgique, avec Yves Namur, Le Taillis Pré/Le Noroît, 2007.

Textes

Extrait de L’Aloès (Editions Luneau-Ascot)

(Droits chez l’auteur- accordés gracieusement)

 
Pas rien, pas rien, le petit vent de l’aube,
le petit rose du petit matin,
changé en pourpre, en noir, en nuit de taupe.
Je suis la taupe et le ciel est lointain.
 
Pas rien, pas rien, les flaques sur la plage,
la dune blonde et la blonde clarté,
la mer sans fin et les vagues sans âge.
Nous n’y aurons dansé qu’un seul été.
 
Pas rien, pas rien, même si l’on décompte
les vaches maigres, les années de chien.
J’aurai vécu tel jour, telle seconde.
C’était trop peu, mais ce ne fut pas rien.
 
                             *
 
Au bout de l’amour il y a l’amour.
Au bout du désir il n’y a rien.
L’amour n’a ni commencement ni fin.
Il ne naît pas, il ressuscite.
Il ne rencontre pas, il reconnaît.
Il se réveille comme après un songe
dont la mémoire aurait perdu les clefs.
Il se réveille les yeux clairs
et prêts à vivre sa journée.
Mais le désir insomniaque meurt à l’aube
Après avoir lutté toute la nuit.
 
Parfois l’amour et le désir dorment ensemble.
En ces nuits-là on voit la lune et le soleil.
 
                             *
 
Qu’un palmier sorte de ta bouche :
j’y chercherai mon ombre.
 
Qu’une rivière coule entre tes seins :
j’y lirai mon visage.
 
Qu’une vallée apprenne à vivre dans ton ventre :
j’y creuserai mon lit.
 
                            *
 
J’étais plus pauvre que la nuit,
plus taciturne qu’un monarque à la fenêtre,
plus solitaire qu’un stylite.
 
Je n’avais plus au creux des mains
que la poussière de ma vie.
 
Tu es venue, les pierres ont crié,
les ruines ont levé la tête,
la braise dans mon sang s’est rallumée,
la vie a repris cours,
l’ombre a donné naissance.
 
Tous les chemins conduisent jusqu’à toi.
 
                            *
 
Fragments du Journal du scribe (Editions des Eperonniers)
 
(Droits chez l’auteur – accordés gracieusement)
 
Pour vivre, il faut planter un arbre, il faut
faire un enfant, bâtir une maison.
 
J’ai seulement regardé l’eau
qui passe en nous disant que tout s’écoule.
 
J’ai seulement cherché le feu
qui brûle en nous disant que tout s’éteint.
 
J’ai seulement suivi le vent
qui fuit en nous disant que tout se perd.
 
Je n’ai rien semé dans la terre
qui reste en nous disant : je vous attends.
 
                            *
 
Ma mère, dans ton ventre,
tu formais mon masque de mort.
 
Au centre de toi, jour par jour,
chaque battement de ton cœur,
chaque flux de ton sang
écoutait un silence
d’où je serai absent.
 
Chaque souffle de ton haleine
préparait mon dernier soupir.
 
Et, dans la chaleur de ton corps,
avant le froid,
tu polissais mes os.
 
                            *
 
Mémoire de silex, d’argile.
Je monte sur mon âne, je parcours
la plaine, au bord du Nil.
 
Lorsque la terre est aussi basse, c’est le ciel
qui prend toute la place.
 
Nous, gens du plat pays,
vers quelque point que nous tournions les yeux
apercevons la demeure de Dieux.
 
                            *
 
Il faut savoir
tout perdre, même soi,
même le souvenir de soi, il faut
quitter le lieu, sortir du temps,
jeter les vêtements précaire,
ôter les six membranes, accepter
que la septième avec le grain pourrisse,
que l’eau du fleuve tout recouvre,
que le soleil sèche cette eau,
que le vent du désert efface
sa trace sur le sable.
 
 
Fragments du recueil Le billet de Pascal (Editions PHI)
 
(Droits chez l’auteur et l’éditeur)
 
I
 
Cinquième jour de février mil neuf cent trente.
Ma mère, sur son lit de parturiente,
mon père, quelque part dans ses bas-fonds,
(il peint de vrais navets sous un faux nom),
mes proches au pas lent du noir cortège
qui de blanc se pointille sous la neige,
derrière les plumets du corbillard
menant au cimetière la tante Emilie.
(L’un s’en vient, l’autre part.
Il n’y a rien à faire. C’est la vie.
Dommage que l’enfant soit un bâtard)
Il neige, tout est blanc, il neige, un fossoyeur
va rechercher sa bêche au fond du trou béant.
Avec quelques flocons, un regard au néant,
chacun, sur le cercueil, vient jeter une fleur.
La tante, dans l’hiver, entame sa première
nuit de ténèbre, encore en pleur, et le funèbre
cortège prend la direction de l’hôpital.
 
Ce jour tout enneigé, des plus banals,
Hitler est à Berlin, Mussolini à Rome,
Gandhi a lancé un ultimatum,
Wall Street se guérit mal du krach, l’URSS
se couvre de kolkhozes, le Graf Zeppelin
fait en vint jours le tour de la planète,
Briand souhaite les Etats-Unis européens
et moi, moi j’hésite à venir. « On voit la tête.
Poussez, Madame. » Elle ne pousse pas.
 
« Chloroforme », dit l’accoucheur,
le même qui, sept mois plus tard,
délivra Astrid, Duchesse de Brabant.
(Bon chrétien, il donne ses soins
aux grands du monde comme aux assistés
de la publique bienfaisance).
On dit qu’il coupe les cordons à ras.
Mon nombril saigne encore, cicatrice
mal refermée. Celui du roi
Baudouin a-t-il porté la même marque ?
« Chloroforme ». Sous les vapeurs
la mère sombre dans l’oubli, l’enfant débarque,
non, il débarquera plus tard. Prends bien ton temps
pour arriver sur terre, il y fait froid.
 
La tombe de la tante refermée,
Les fleurs déjà poudrées de neige,
Dans le café de la Bécasse
la famille en est au genièvre,
 
entre les pleurs et les propos salaces,
entre l’air vif de la chaussée et la chaleur
de la taverne, entre chien et loup mais plus près
des moutons qui se laissent tondre.
A l’heure où l’allumeur de réverbères
Arrive, où Balthazar, le vieux malinois du laitier
 s’en va, tirant ses cruches vides,
dans ce bas monde je fais mon entrée.
 
Née pauvre, catholique, flamande et bâtarde.
En plus, c’est une fille. Tous les atouts !
 
Au pariétal droit, une faille
minime, la marque des fers,
comme un cachet indélébile,
mon passeport pour l’univers.
 
Furieusement je prends goût de vivre,
Celui de respirer et de me battre.
 
II
 
Elle respire à peine, elle réclame
Un prête, se confesse.
Il s’en va, les yeux pleins de larmes,
A croire que c’était lui le pécheur.
Et, quand il est parti,
bras ouverts, elle se redresse sur son lit.
 
Qui donc voit-elle en ce moment ?
Sa dure mère, son père dément,
sa sœur étreinte par la camisole
de force ? (La charrette aux chevaux blancs,
celle qui vient chercher les fous, les folles,
combien de fois m’en a-t-elle parlé ?
Et des petits bordés dans leur cercueil ?
Les petits que peut-être elle aperçoit
passé sur le seuil ? Clémence, ma grand-mère, illuminée,
regard fixe sur la porte fermée).
 
Deux guerres, sept enfants,
des kilomètres de tricot, des tonnes de lessive.
O fontem aquae vivae !
Le cœur usé jusqu’au trognon, dit le docteur.
Et le vicaire à la soutane vert-de-gris : c’est une sainte.
 
Une sainte ? je ne sais pas.
Toute sa vie elle a brûlé. Brûlures
des gifles maternelles, de la faim,
des mains couvertes d’engelures,
du mépris qui la fait rougir,
de l’homme accueilli sans plaisir,
de la morgue puérile des patrons,
du gel qui raidit les torchons,
de l’ignorance au dos courbé, de la
crainte des fautes attisée
par le curé qui tonne en chaire.
 
A genoux sur le carrelage plus souvent
que sur les chaises de l’église,
pour eau bénite le gras des vaisselles,
pour goupillon, une brosse à chiendent,
pour corporal, sa serpillière,
frottant le sale, effaçant la misère
et le péché-absolves me-
que je te lave avec l’hysope, te
fasse plus blanche que la neige.
 
Les bras ouverts, Clémence, elle s’en va.
A l’instant où se fige son haleine,
ô fontem, fontem,
je vois, sur son visage,
ce que j’ai su, plus tard, être l’extase.
O fontem aquae vivae.
 
« Hors du monde sensible et de soi-même »
comme chez la Thérèse du Bernin,
dans le regard de quelques suppliciés
ou dans les yeux de ceux qui s’aiment quand
le plaisir prend la forme du tourment.
L’extase donc , L’extase pure et nue.
 
Les bras retombent, les lèvres ne happent
plus que le vide, le souffle se meurt.
 
Si l’âme existe, c’est alors qu’elle s’échappe
du corps sans gloire de Clémence, la servante du Seigneur.

Commentaires

Poésie
 
« L’œuvre tranche, à mon avis, sur la production de la jeune génération par la maîtrise qu’elle possède du vers français et de sa technique. » (Aragon, Les Lettres françaises, Paris, 1956)
 
« Ses vers, généralement brefs, sont lourds de pensée, riches d’images et de musiques. L’angoisse y bat sourdement sous des bonheurs d’expression exceptionnels. Il y a du Valéry, mais aussi du Louise Labé dans son lyrisme sans éloquence. Elle ferait la preuve, s’il en était besoin, que la prosadie régulière n’est pas une entrave à la liberté du poète. » (Jean Rousselot, Dictionnaire de la poésie française contemporaine, Larousse, Paris, 1996)
 
« Si cette œuvre est remarquable, c’est aussi par son étonnante maîtrise formelle. Liliane Wouters réalise ce tour de force d’écrire en vers libres en utilisant des vers classiques. » (Edith Mora, Les Nouvelles Littéraires, Paris, 1967)
 
« Liliane Wouters a notre audience grâce à son baroque dominé, grâce à sa fureur de vivre et de mourir subtilement traduite. » (Marie-Claire Bancquart, Le Figaro, Paris, 1983)
 
« Tout ensemble pudique et déchiré d’aveux, à la fois retenu et chaleureux. Le très humain se donne à voir, mais avec d’étranges frémissements. » (Hubert Juin, Le Monde, Paris, 1983)
 
« Liliane Wouters est sans aucun doute, la femme poète la plus puissante et la plus riche en sonorités claires de la francophonie. » (Alain Bosquet, Revue des deux mondes, Paris, 1991)
 
« Mais, surtout, elle a, pour dire cela, remis à flot le vers français. Avec une préférence pour l’heptamètre, celui qui marche sur sept pieds et qu’elle manie avec une dextérité confondante. » (Jacques De Decker, Le Soir, Bruxelles, 2001)
 
« La force du vers, la tendresse ironique des sentiments, la réalité sordide des situations touchent d’emblée le lecteur. La réussite est là, à chaque avancée du souffle. » (Jacques Darras, Aujourd’hui poème, Paris, 2002)
 
La salle des profs
 
« Un jalon important de notre dramaturgie : la réconciliation d'une écriture exigeante avec une problématique et une réalité qui concernent tout un chacun. » (Le Soir)
 
« Pièce solide, sans aucun manichéisme. Pose de très pertinentes questions. Pièce drôle d'un auteur f1amboyant d'ironie caustique. Pièce actuelle enfin en une période de changements répétés où l'école, souvent ébranlée sur ses bases et dans ses équilibres, se cherche un souffle revivifié et des certitudes stables. » (La Libre Belgique)
 
Charlotte ou La nuit mexicaine
 
« Wouters est, comme Genêt, un poète de la scène, et aime aussi, comme lui, jouer des jeux de miroirs du théâtre dans le théâtre. » (Le Soir)
 
« Il faut dire l'absolue beauté de ce texte, sa justesse, la simplicité diamantine de son écriture, la profondeur  de  sa  portée symbolique et des relations qu’il établit entre les personnages. » (Le Vif, 1993)