L’herbe est blanche, l’herbe est bleue,
c’est la fin de l’été qui pleut,
il pleut toutes les fleurs des arbres:
le jacaranda, le frangipanier.
Que se taisent les musiques.
Le matin dit qu’il faut partir,
et les tourterelles s’étranglent
sous cette averse de pétales.
Des vases bleus, des vases verts
plein de roses qui suffoquent,
des vases merveilleux de verre,
des fleurs partout dans la maison.
Mais que se taisent les chansons
quand il pleut cette étrange pluie;
dans l’été tombé blanc et bleu,
les fleurs gardent les yeux ouverts.
Meadi
septembre 1967
Ces jours tristes et beaux
des derniers flamboyants
que baignait ton sourire…
voilà que tu t’éloignes.
À ma soif désormais
la fin du bel été,
toutes les fleurs qui tombent
des jours tristes et beaux,
chacun de son côté.
*
L’ombre porte un revers
de blancheur.
Assis dans dautres soirs,
nos silences iront cueillir
nos camélias
dans les taillis sombres
de la mémoire.
Meadi
février 1968
SHADI
Le parfum qui jamais ne dort
a dit ton nom tout bas.
Tu t’es arrêté à la grille.
Le jardin était sombre et frais,
la nuit était ouverte.
L’aïeul sous son figuier
rechargeait son fusil.
Je t’apporte un tambour de terre.
Des mains pauvres du potier
l’on tourné à Saïda*.
Doucement fais-le résonner;
la peau fine de l’agneau
dira l’exil et le filial espoir
de ces enfants chassés
qui font, près de la mer,
lever les blés futurs
sur les ruines d’un château croisé…
De Rachaya à Tripoli,
les orangers de la mémoire
parfument les feux des camps.
Et l’on se parle de la terre
où sont couchés les vieux parents
dans la mémoire millénaire,
comme les cèdres du Liban.
Prends le petit tambour,
délivre sa voix sur la ville
qui secoue sa poussière
dans l’absence des questions.
Retour du Liban
avril 1967
* Sidon
La ville tirait ses paupières de métal
sur le sommeil inquit des étrangers.
L’Amour arrivait sur la mer,
on l’attendait près des vieux murs.
Un troupeau de chèvres noires
descendit l’horizon,
les oeillets de ses parterres
tombèrent sur son front.
A toi la beauté de la lune!
A toi le salut du soleil!
Salut!
Maintenant, la ville dort.
Demain les silex et les pièges,
le sang sous les fusils.
Salut à l’eau pure des puits!
Salut à la graine qui germe!
Il faut faire confiance au matin
quand l’Amour arrive de loin.
Tel-Aviv
mars 1968
Á Sabra
Ils rêvent, ils sont là-bas
sous l’aile des cigognes
qui froissent en passant
le ciel de Galilée.
Ils rêvent, ils sont au champs,
la moisson sera belle;
ils danseront demain
à l’ombre du figuier;
les femmes chanteront
les princes de légende
dans la chaude moiteur
de la saison des fruits.
Mais le froid de la nuit
vient les mordre à l’épaule,
et les voilà debout,
saisissant le fusil,
le coeur plus délabré
que le baraquement
dont la tôle du toit
laisse percer la pluie.
Beyrouth 1973