STERK Yvonne

Biographie

Née à Wilrijk (Anvers) le 02/12/1920, Yvonne Sterk a vécu sa jeunesse dans la région des Charbonnages de Campine à Eisden (Limbourg), y côtoyant les famille des mineurs de diverses nationalités qui y travaillaient. On la retrouve à Bruxelles de 1945 à 1990. Formation autodidacte dans les domaines artistique et littéraire. Crée en 1954 un cours de culture générale et d’initiation à la poésie à l’Institut de secrétariat Pir, à Bruxelles. Journaliste free-lance au Moyen-Orient de 1967 à 1977. Médaille de la Résistance 1940-45. La notion de xénophobie ou de racisme est totalement étrangère à Yvonne Sterk, tandis que l’accueil au semblable et à sa culture marque son ouverture au monde. le droit des hommes à la vie, à la liberté et à la justice a fait d’elle une résistante contre l’ennemi nazi, et sera le moteur de son engagement pour la cause arabe et palestinienne. Lors de ses séjours au Moyen-Orient, durant les guerres, c’est en poète qu’elle transposera ses émotions et sa vision des choses dans la suite “Le rempart de sable”. Toute la poésie d’Yvonne Sterk est indissociable de son parcours humain.

Prix obtenus

  • Prix Max Rose par l’association des Jeunesses littéraires de Belgique, pour Les chemins de l’absence, en 1953
  • Troisième Prix Vaudois du roman, pour La brebis galeuse, en 1956
  • Prix de poésie de la Fondation Frans de Wever, pour Pour un même réveil, en 1959

Bibliographie

  • Les chemins de l’absence, poèmes, Éditions Debresse, Paris, 1954
  • Le bouleau noir, poèmes, Éditions Le Coup de Lune, Bruxelles, 1955
  • Choix de poèmes, Éditions L’anthologie de l’audiothèque, Bruxelles, 1961
  • Les désirs de fontaine, poèmes, Éditions Unimuse, Tournai, 1965
    Pour un même réveil, poèmes, Éditions André De Rache, Bruxelles, 1965
    Le rempart de sable, Amay : L’Arbre à Paroles, 2002. Préface de Jean Dumortier.

    Des poèmes figurent également dans de nombreuses anthologies en Belgique et à l’étranger. Certains d’entre eux ont été traduits en russe, en hongrois, en roumain, en bulgare, en néerlandais et en arabe.

Textes

L’herbe est blanche, l’herbe est bleue,
c’est la fin de l’été qui pleut,
il pleut toutes les fleurs des arbres:
le jacaranda, le frangipanier.

Que se taisent les musiques.
Le matin dit qu’il faut partir,
et les tourterelles s’étranglent
sous cette averse de pétales.

Des vases bleus, des vases verts
plein de roses qui suffoquent,
des vases merveilleux de verre,
des fleurs partout dans la maison.

Mais que se taisent les chansons
quand il pleut cette étrange pluie;
dans l’été tombé blanc et bleu,
les fleurs gardent les yeux ouverts.

Meadi
septembre 1967

Ces jours tristes et beaux
des derniers flamboyants
que baignait ton sourire…
voilà que tu t’éloignes.

À ma soif désormais
la fin du bel été,
toutes les fleurs qui tombent
des jours tristes et beaux,
chacun de son côté.

*

L’ombre porte un revers
de blancheur.
Assis dans dautres soirs,
nos silences iront cueillir
nos camélias
dans les taillis sombres
de la mémoire.

Meadi
février 1968

SHADI

Le parfum qui jamais ne dort
a dit ton nom tout bas.
Tu t’es arrêté à la grille.
Le jardin était sombre et frais,
la nuit était ouverte.
L’aïeul sous son figuier
rechargeait son fusil.

 

 

Je t’apporte un tambour de terre.
Des mains pauvres du potier
l’on tourné à Saïda*.
Doucement fais-le résonner;
la peau fine de l’agneau
dira l’exil et le filial espoir
de ces enfants chassés
qui font, près de la mer,
lever les blés futurs
sur les ruines d’un château croisé…

De Rachaya à Tripoli,
les orangers de la mémoire
parfument les feux des camps.
Et l’on se parle de la terre
où sont couchés les vieux parents
dans la mémoire millénaire,
comme les cèdres du Liban.

Prends le petit tambour,
délivre sa voix sur la ville
qui secoue sa poussière
dans l’absence des questions.

Retour du Liban
avril 1967

* Sidon

 

 

La ville tirait ses paupières de métal
sur le sommeil inquit des étrangers.
L’Amour arrivait sur la mer,
on l’attendait près des vieux murs.
Un troupeau de chèvres noires
descendit l’horizon,
les oeillets de ses parterres
tombèrent sur son front.

A toi la beauté de la lune!
A toi le salut du soleil!
Salut!

Maintenant, la ville dort.
Demain les silex et les pièges,
le sang sous les fusils.

Salut à l’eau pure des puits!
Salut à la graine qui germe!

Il faut faire confiance au matin
quand l’Amour arrive de loin.

Tel-Aviv
mars 1968

Á Sabra

Ils rêvent, ils sont là-bas
sous l’aile des cigognes
qui froissent en passant
le ciel de Galilée.
Ils rêvent, ils sont au champs,
la moisson sera belle;
ils danseront demain
à l’ombre du figuier;
les femmes chanteront
les princes de légende
dans la chaude moiteur
de la saison des fruits.

Mais le froid de la nuit
vient les mordre à l’épaule,
et les voilà debout,
saisissant le fusil,
le coeur plus délabré
que le baraquement
dont la tôle du toit
laisse percer la pluie.

Beyrouth 1973

Commentaires

Le premier contact d’Yvonne Sterk avec le monde arabe remonte à 1963, quand elle s’aperçut que l’un des monarques des Emirats du Golfe persique se déclarait “poète”…*
Elle lui écrivit et lui recommanda de participer à l’une des rencontres internationales de poètes qui se tenaient à l’époque en bordure de mer, en Belgique.
L’Emir ne vint pas en Europe, mais invita sa correspondante à découvrir les différentes tendances culturelles du monde arabe et l’extraordinaire diversité de paysages que toute la région offre au visiteur.
De son côté, invitée tant à Bagdad qu’à Beyrouth, Yvonne Sterk y parlera entre autres de la poésie belge, écrira dans des journaux libanais.
Les tensions multiples dans tout le Moyen-Orient où cinq guerres successives eurent lieu entre Israël et ses voisins, depuis 1948, – sans compter les luttes d’influence au sein même des parties en cause – ne semèrent que la méfiance et la haine, l’envie, la misère et la mort…
Tous les poèmes que l’on trouvera ici ont été écrits sous l’emprise d’un vécu impitoyable où, néanmoins, la poésie se distingue tout à fait du reportage, grâce à la lumière que la poétesse irradie et aussi l’émotion transcendée par le Verbe. Le cri porte loin dans le parcours d’humanité, et toute l’écriture s’en fait l’écho.
Un voyage dans le temps et l’espace où le désespoir fait entrer la mort dans la vie.[…]

Propulsées à l’actualité d’aujourd’hui, ces pages de soufre et de colère, de peine et de tendresse, d’amour et d’émeutes, sont à la fois celles d’un témoin, d’un acteur engagé dans les évènements et d’un poète qui rend, au fil de la plume, non seulement ce que sa sensibilité a pénétré, mais aussi ce qu’il a tenté de comprendre du conflit, du déluge qui se produit sous ses yeux, en se déplaçant du Caire à Tel Aviv, de Damas à Naplouse, de Ramallah à Jérusalem, et jusque dans les plus petits villages.[…]

“Je n’ai rien compris au racisme”, dit cette ancienne résistante au nazisme qui, enfant, n’a cessé de croiser des ouvriers mineurs de toutes nationalités dans son Limbourg natal.

Jean DUMORTIER

* L’Emir Saqr Eddine Sultan Al Qasimi, à qui Yvonne Sterk dédia son recueil, “Les Désirs de fontaine”, paru aux éditions Unimuse, en 1965.