SEVERIN Fernand

Biographie

Fernand Severin naît le 4 février 1867 à Grand-Manil (Gembloux) et plus précisément en la ferme de Penteville, détail qui ne manque pas d’importance : le cadre dans lequel se déroule sa jeunesse devait, en effet, le marquer profondément et inspirer certaines pages de son œuvre Il nous a dit qu’il s’était penché plus d’une fois, retenu par un charme singulier sur la source. Son dernier recueil ne s’intitule-t-il pas La Source au fond des bois ?

La maison étant assez éloignée de la localité, le futur poète est confié aux soins de l’instituteur ; il ne rentre au foyer que le samedi. Les études primaires terminées, on envoie l’adolescent, selon une tradition familiale, à la Domschule d’Aix-la-Chapelle : il y séjourne deux ans (1878-1880). Il s’y initie à la langue de Gœthe et reçoit une solide base classique. En 1880, on le retrouve au Collège Notre-Dame de la Paix à Namur ; durant les quatre années qu’il y passe, il y obtient de bons résultats qui le situent dans la moyenne supérieure des élèves. Il termine ses études secondaires à l’Athénée royal de Bruxelles (aujourd’hui Jules Bordet). Il y fait une bonne rhétorique ; parmi les langues modernes, il a choisi l’allemand où il obtient le premier prix. Déjà il compose des vers par milliers. Un fragment, Vision de Radulphe (416 alexandrins), révèle qu’à l’époque, il a déjà une bonne connaissance de La Divine Comédie, qui sera plus tard, pour lui, un sujet d’attention toute particulière.

Severin fait alors des études de philologie classique ; en 1891, il est proclamé docteur avec grande distinction. Dans l’entretemps, il continue d’écrire, il collabore à La Jeune Belgique, à La Wallonie, à d’autres périodiques.

Après un bref passage à l’Institut Rachez, il part en exil, dispensant pendant quatre ans un enseignement de français-latin-grec au Collège communal de Virton (1892-1896) ; il a tout loisir de faire de longues promenades dans une nature encore intacte. N’écrivant pratiquement que peu de vers, il accepte, en 1893, d’assumer la critique littéraire à L’Indépendance belge : il y déploie la rigueur que, petit professeur il apportait à ses fonctions. Il évite soigneusement de pratiquer l’admiration mutuelle entre compatriotes. Si Maeterlinck manifeste quelque humeur — au point de provoquer la brouille — à la suite de la recension plutôt sévère du Trésor des humbles (22 avril 1896), Verhaeren accepte de bonne grâce les réserves avancées à l’endroit des Villes tentaculaires. Severin demeurera objectif dans toute son activité de commentateur.

Celle-ci n’a pas entravé sa démarche poétique. En 1888, il publie une mince plaquette, Le Lys, de tonalité symboliste, qu’il répudiera par la suite car, malgré sa collaboration à La Wallonie, il rejettera toujours avec fermeté l’étiquette de symboliste. En 1890, paraît Le Don d’enfancece n’est pas par le décor qu’on va à l’âme mais par l’âme que l’on va au décor. En 1895, Lacomblez édite un troisième recueil, Le Chant dans l’ombre, où se confirme son souci de pureté morale : la mélancolie domine les poèmes dans lesquels s’imposent les soucis chromatiques.

En 1896, il est nommé, avec les mêmes attributions qu’à Virton, à l’Athénée royal de Louvain. Les charges de son enseignement n’empêchent pas Severin d’écrire : en 1899, Les Matins angéliques paraissent dans le volume collectif Poèmes ingénus. C’est qu’il a réalisé un vieux rêve il a visité le nord de l’Italie, la Toscane, l’Ombrie où il rencontre le souvenir de François d’Assise. N’était-ce pas ce qu’il avait espéré quand il écrivait, l’année d’avant, que la maison élue, ce serait vers Assise ? Il aura toujours le souci de la perfection artistique ; ne souhaitait-il pas être l’auteur d’un seul livre mais qui soit parfait ? En 1906, il retourne en Italie où il rejoint Van Lerberghe à Venise. Puis sa profession le comble ; le 14 février 1905, il est transféré à l’Athénée royal de Bruxelles où il rencontre Georges Rency, qui le fera collaborer à La Vie intellectuelle, où il publie certaines de ses proses, toujours plus nombreuses. Il n’a pas pour autant renoncé à la poésie ; en 1904, il donne La Solitude heureuse qui contient des pages plus sereines que les précédentes. On peut y voir une conséquence de son mariage avec Édith Lutens (9 mai 1904), qui sera pour lui la plus prévenante, la plus compréhensive des compagnes.

Le 14 novembre 1907, il est nommé chargé de cours à l’Université de Gand, au grand dam de Maurice Wilmotte, qui aurait voulu qu’on choisît un philologue et se montrait déçu de ce qu’on n’eût pas fait appel à un de ses élèves ; la gent littéraire, au contraire, jubile. Son enseignement comporte les divers aspects de la littérature française. Il va désormais consacrer une partie de son activité à l’histoire des lettres et plus particulièrement à Théodore Weustenraad. Les étudiants apprécient le professeur ; son enseignement est interrompu par la guerre. Severin part, avec sa famille, pour la Hollande, où il séjourne d’abord à Utrecht puis à Ermelo. Il rejoint ensuite son frère François à Letchworth (Hertfordshire) en Angleterre ; tout en apprenant l’anglais, il se perfectionne dans l’exégèse de Dante, fait des conférences sur les lettres belges. Il s’est établi à Oxford quand l’armistice le ramène à Gand où il reprend son enseignement auquel il imposait la correction au sens le plus large du terme. En 1924, La Source au fond des bois engrange la moisson des années précédentes. Mais sa santé s’altère progressivement et s’il continue d’écrire, ses cours surtout le fatiguent : il doit s’aliter, puis renoncer totalement à ses fonctions. Un autre poète lui succède : Robert Guiette.

Il s’éteint à Gand le 4 septembre 1931.

Bibliographie

  • La source au fond des bois, Bruxelles, La Renaissance du Livre, 1924.
  • Poèmes, Paris, Bricage, 1951.

Textes

Art poétique

Tu ne te trouveras nulle part, sauf en toi…
Pour avoir méconnu l’unique et simple loi,
Que maints autres, plus grands, ont humblement suivie,
Et cherché ton poème ailleurs que dans ta vie,
Voici que, dès le seuil, tu te prends à douter…

Ton âme parle: il te suffit de l’écouter.
Sa voix est douce; elle est insinuante et tendre;
Parfois le bruit du monde empêche de l’entendre
Parce qu’étant une âme elle parle tout bas:
Si tu l’écoutes bien, pourtant, tu l’entendras…

Commentaires

Ce poète élégiaque, qui se laisse aller à sa sentimantalité, sait parfaitement ce qu’il lui faut éviter: les relents du symbolisme évanescent.  Il leur préfère la simple traduction de ses émois et une sorte de solidarité, un peu superficielle, avec la nature.  Il faut lire l’ensemble de son oeuvre, qui ne dépasse pas deux cents pages, pour trouver, ci et là, un ton vrai ou une inflexion que le temps n’ait pas ternie.  Ce professeur d’université, dans la seconde moitié de son oeuvre, se fait soudain plus ambitieux.  La découverte de l’Italie lui inspire des tirades pathétiques, et un moralisme certain.  Il partage le sort des poètes qui ne peuvent se défendre que par un choix sévère.

Editions Traces, Bruxelles (1985), “La poésie francophone de Belgique”