MOERMAN Ernst

Biographie

Ernst Moerman est un écrivain et cinéaste belge né en 1897 et décédé en 1944.

 

Puisque le bonheur n'existe pas, tâchons d'être heureux sans lui. (Ernst Moerman)

 

Il est surtout connu pour avoir tourné en 1937 un des sommets du cinéma belge : le surréaliste « Monsieur Fantômas », dont l'interprête masculin principal est Jean-Michel Smet, père de Johnny Hallyday.

 

Un script intitulé « Fantômas 1937 » (film surréaliste), daté du mois d'avril 1937 est conservé par la Cinémathèque Royale de Belgique. Ce document comporte 9 feuillets et prévoit 98 plans et 35 intertitres. Le découpage prévu diffère légèrement du montage final.

 

Ernst Moerman écrivait dans le numéro spécial du 29 septembre 1937 de la revue « Le Rouge et le Noir » :

 

« Il y a de nombreuses années déjà que le poème et, en général, la chose écrite ont cessé d'être les messagers écoutés de ceux que la poésie peut atteindre, rafraîchir, libérer et qui, plus nombreux qu'on ne le croit, l'attendent. Les êtres ne sont pas las des prodiges et du merveilleux. Plus que jamais peut-être, à ces heures lourdes où l'ennui se fait plus pesant, ils aspirent à fuir une réalité faite de leur chambre et de leurs soucis quotidiens, des histoires taillées à la mesure commune, des tableaux qui imitent bien, des spectacles joués par leurs semblables dans un décor à peine plus luxueux. Trop de gens confondent encore la poésie et les vers, la poésie et un recueil de poèmes. Constater qu'il ne viendra plus à l'idée de personne d'entrer chez un libraire pour y acheter un volume de vers et en conclure que la poésie n'intéresse qu'une infime minorité, est une erreur. Il serait plus sage de se demander si, présentée sous une autre forme, elle ne réussirait pas mieux à reprendre dans le cœur de tout homme la place que, secrètement, il lui a toujours gardée. Dès lors, abandonnant la chose écrite, l'encre et les linotypes, j'ai conçu le dessein de servir la poésie en lui assurant une audience plus large que celle qu'atteint le livre, de la rendre visible et de l'imposer par l'image. Les yeux qui voient un film ne sont pas les mêmes que ceux qui parcourent distraitement un poème ; ils sont plus attentifs, plus éveillés, plus sensibles. Un abîme existe entre un poème de Salvator Dali et une peinture de Salvator Dali ; quand il peint, Dali a toujours raison. La vertu de l'image impose immédiatement la présence de la poésie ; elle convainc les tièdes, rallie les partisans, elle attire les curieux : tout le monde veut voir, et voilà souvent de nouveaux adeptes. Il y a, pour la poésie. des sujets prédestinés : elle pourra y poser tous ses pièges, y inscrire tous ses sortilèges, exercer toutes ses fascinations ; parmi les sujets auxquels participent les mythes de notre enfance, les Peaux-Rouges, les trappeurs, les corsaires. Fantômas est presque miraculeux. J'ai conservé de la lecture des 35 volumes de Fantômas, ce souvenir obsédant et diffus que l'on garde parfois d'un rêve, d'une épopée plus irréelle que réelle, d'un monde où rien n'est impossible, où le miracle est le plus court chemin de notre inquiétude au mystère, de ce monde où tout nie la réalité, la vraisemblance, la pesanteur, l'équilibre, et en lequel se réfugient ceux à qui tant de lois donnent la nausée. En composant le scénario de "Mr. Fantômas" c'est avec ce monde recréé que j'ai tenté d'établir une communication ; il y règne une réalité surnaturelle où chaque objet, devenu visible, a trouvé sa vraie lumière, son éclairage vital, pendant que chacun des objets qui l'entourent, confronté soudain avec lui, dépouillé de la housse que des siècles d'habitudes ont déposée sur lui, cesse d'être invisible pour nous révéler sa beauté méconnue. Il doit en être de même pour tout : les gestes humains cesseront d'obéir aux mobiles simplets qui partagent les êtres en bons et mauvais ; ainsi, j'ai fait bon marché de cette vraisemblance apparente dont le souci s'affiche en toute œuvre, et même aux pires expédients. Il ne faut pas confondre poésie et mensonge. Pour assurer aux personnages le même naturel que celui où excellent les objets qui les entourent et pour que jamais le film ne perde ce caractère onirique qui doit tout dépersonnaliser, nous nous sommes attachés à réprimer chez les acteurs la virtuosité individuelle, toute velléité de jeu. Dans le même ordre d'idées, nous avons banni de la prise de vues toute habileté photographique ou technique. Disposant de moyens pécuniaires plus que modestes, nous avons tourné le film en plein air, dans des décors réduits au strict minimum et en version muette. Tout ce travail a été effectué avec la collaboration et sous la direction artistique de E. Van Tonderen dont les ateliers ont confectionné les décors et les costumes. Les prises de vues ont été assurées par Roger Van Peperstraet, la régie par Jean Michel. L'œuvre sera enrichie d'une partition originale de Robert Ledent qui dirigera personnellement l'orchestre. A cette séance du 12 octobre nous convions tous ceux qui ont gardé en eux la nostalgie du film muet. Abondant en images et mis tout entier, sans restriction ni concession d'aucune sorte, au service de la poésie. »

 

Bibliographie

  • Fantômas 1933, Bruxelles, Cahiers du journal des Poètes, 1933
  • Vie imaginaire de Jésus-Christ,  Paris, Corrêa, 1935
  • 37°5, Bruxelles, Bruxelles, Cahiers du Journal des Poètes, 1937
  • Oeuvre poétique, Bruxelles, De Rache, 1970

Textes

La fin du monde

L'amour, ce noeud coulant autour du cou,
Pour les très jeunes, serré se porte,
Pour les très vieux, se porte flou.
Mais la jeunesse, pour s'acheter des cordes
N'a pas d'argent.
Et la vieillesse n'a plus de cou.

Commentaires

La vie désordonnée et trop intense d'Ernst Moerman s'est traduite en un petit nombre de poèmes haletants.  On peut le comparer à Robert Desnos: même goût pour Fantômas, images surréalistes tout aussi désopilantes, amour du cinéma onirique.  Les poèmes de la fin sont particulièrement parthétiques et rappellent un autre poète en marge du surréalisme, Antonin Artaud.  Tristesse et ferveur se partagent cette figure étrange et vibrante.

"La poésie francophone de Belgique", Bruxelles, Editions Traces, 1987.