Souffrir seul est divin
Souffrir seul est divin; souffir à deux, plus sombre!
Un pénible miroir ne reflète qu'une ombre
Quand ma douleur se voit dans la douleur d'autrui.
Ce visage embué qui ressemble à l'ennui,
Ce n'est plus toi, ma fille en larmes, ni moi-même:
Laisse-moi souffrir seul encore; et si je t'aime
Plus qu'il n'est défendu sans mystère d'aimer,
Laisse-moi de ma seule image me blâmer,
Défaire,déjouer cet Homme sans mystère
Qui de sa créature épris, de se chimère
Se sachant à la fois la perdre et l'obtenir,
Se plaît (se mirant dans tes pleurs) à te punir.
Robert Mélot du Dy est le parfait artisan d'un genre mineur et agréable, en vogue dans les années 20 et 30, où pour s'opposer au surréalisme, les poètes se rangeaient soit derrière Paul Valéry, soit derrière Jean Cocteau. Mélot du Dy préfère le voisinage de l'école fantaisiste, aujourd'hui négligée. S'il n'a pas la densité de Paul-Jean Toulet ni la verve goguenarde _ un peu trop _ de Tristan Derême, il se compare favorablement au gentil Jean-Marc Bernard et au doux Jean Pellerin. On le relit avec plaisir et on trouve que ses poèmes ont l'élégance des objets art-déco. A bien chercher, on peut aussi voir sous la virtuosité de cet esthère une émotion toute tremblante.
"La poésie francophone de Belgique". Bruxelles : Traces, 1987.