LAMBIOTTE Michel

Biographie

Né à Jumet (Hainaut belge) le 7 juillet 1921. Il passe son enfance et son adolescence en milieu rural, en Hainaut, région à laquelle il reste attaché puisqu’il y a sa résidence, en Thiérache. Il commence à écrire dès la fin des années quarante, collabore au Journal des Poètes de 1947 à 1953 et publie un premier recueil en 1949 La lumière et les ténèbres. Deux recueils suivront en 1950 et 1952, puis ce sera un très long silence de vingt-neuf années. La traversée du désert. Michel Lambiotte est lauréat du Prix Bosquet de Thoran en 2010, décerné par l’Académie Royale de Langue et de Littérature françaises de Belgique, pour l’ensemble de son oeuvre. Michel Lambiotte est décédé le 6 mars 2013.

Source: Service du Livre Luxembourgeois

Bibliographie

  • La lumière et les ténèbres, Bruxelles, La Maison du Poète,  1949.
  • Épreuves, Paris, Pierre Seghers,  1950.
  • Usages, Les Cahiers du Hibou, 1952.
  • Sur l’aire du blessant suivi de Enfances, Soulenge, Les Feuillets du Terne,1981.
  • Mémoire des jours, Centre culturel local de Sivry-Rance, 1995.
  • Jeux de corde, Bruxelles, Le Cormier,  1996.
  • Itinéraires, Amay, L’Arbre à Paroles, 1998.
  • Espace du seul, Châtelineau, Le Taillis Pré, 1999.
  • Naissances d’Ève, Bruxelles, Le Cormier, 2000.
  • Involucres, Amay, L’Arbre à Paroles, 2000.
  • Équations de mars, Châtelineau, Le Taillis Pré, 2001.
  • Le temps dérobé, Châtelineau, Le Taillis Pré, 2001.
  • Miroirs ou le temps contigu, Châtelineau, Le Taillis Pré, 2002.
  • Quotidiennes, Poésie en voyage, Laon,  La Porte, 2002.
  • De plus loin encore, Châtelineau, Le Taillis Pré,  2003.
  • Rhizomes, Laon, La Porte,  2003.
  • Replis d’ombre, Châtelineau, Le Taillis Pré, 2003.
  • Partage de l’aveu, suivi d’une note d’accompagnement de Fernand Verhesen, Le Cormier, Bruxelles, 2004.
  • Elle vêtue d’ombre, Poésie en voyage, Laon, Ed. La Porte,  2004.
  • L’oeil de la rose, Laon, Ed. La Porte,  2005.
  • Témoignage du lieu, Châtelineau, Le Taillis Pré, 2005.
  • Nocturnales, Bruxelles, Le Cormier, 2006.
  • Exils, Laon, La Porte,  2009.
  • Mémoire double, Châtelineau, Le Taillis Pré,  2009.
  • L’autre côté du hasard, Bruxelles, Le Cormier, 2011.
  • Vacance et lumière, Le Taillis Pré, 2011.
  • 90 poèmes, Le Taillis Pré, 2011.

Textes

Extraits de De plus loin encore

impatiente

    comme d’un envol

si peu de temps  où se donne l’ombre un abandon quelquefois  au hasard dans le creux d’un chemin       bordé d’arbres   vent de sable  peut-être l’épaulement d’un visage         que rien ne désigne seul qui soit  vacant ou cet autre  perdu de silence   dans l’instant  la fugue de l’autre écho où la nuit éclate                               ****   là-devant  les premiers pas de l’absence  ou l’attente une accommodation des lointains   montagne noire  où la neige entre les éclats blancs du jour   de plus loin encore le retournement de la neige une brèche  l’œil de l’offrant aux patiences                               ***   qui encore  seul  se déplace d’un lieu dans l’autre où les têtes brûlent   le couchant flammé figure occulte des contradictions de l’absente   vers le haut du jour  rien qui bouge une maîtrise de l’air sans fêlure l’arroi des substances                               ***   corridors de l’ombre  sous la voûte où se retournent les masques   le détour de l’autre  que touche l’aurore  une seule fois agissant au terme du souffle la métamorphose des rythmes   et personne qui la retienne où naissent déjà les apparences         des nombres                               ***   toute la nuit les premiers signes du feu perçant l’orage s’offrant au creux du silence comme la part du visible au nœud de l’échange   le passage approché des lèvres long appel où se coule l’éveil         des mémoires   se rappelle-t-elle le lieu qui l’épouse où se répondent les guides la pénétration de l’ombre de l’autre l’accès de l’illimité                               ***   mains ailées  comme d’un envol les mains de l’enfance dans l’intervalle des limbes   quels éclats sous la gorge   dans l’angle des signes le dépassement des secondes toutes issues d’un même affleurement la part inchangée du corps étoilé                               ***   paroles jetées en amont le corps partagé   construites pour elles  tentées celle que le seuil aborde la double avancée  les mains tendues   lames tendues vers la double apparence                               ***   la capture du blanc dans le soleil des herbages   où court-elle ainsi enfant des lunes secrètes droit dans l’axe des joutes   ou restituée aux rondes d’épines les rais tendus buissons sauvages qu’agrippe la corde   le cours de l’absente                               ***

tendre est-elle  à fleur de lumière
seule encore   si près des bords
qu’elle s’ouvre aux reflets de l’ombre

fleur d’ivoire      la rose des vents
figure que tourne l’aurore

alentour  un laissé de nuit

une méditation du silence

(Extrait de :  “Mémoire double”, 2009)

Commentaires

Michel Lambiotte   De plus loin encore, suivi de En compagnie d’un ami, postface de Fernand Verhesen, Le Taillis pré.   Auteur d’une œuvre qui compte à ce jour une quinzaine de volumes, Michel Lambiotte est assurément l’un des poètes les plus exigeants. Discret, il a même souhaité poser la plume, à l’exception d’un livre paru en 1981, pendant plus de quatre décennies. Or, force est de constater que, depuis une bonne demi-douzaine d’années, il est bien venu à son travail sur les mots avec de nouveaux recueils* dont il y a peut être lieu, au moment où Yves Namur fait paraître De plus loin encore, son dernier livre à ce jour, de considérer les enjeux esthétiques et ontologiques, sinon métaphysiques avec attention.

Dans le voisinage d’un André du Bouchet ou d’un Jacques Dupin, à l’évidence familière de l’ombre portée par les hautes figures déchiquetées de Giacometti, Lambiotte élabore un espace littéraire en permanente tension. Le poème ici est surtout poème du poème. Ainsi que l’écrit Verhesen, il est « expérience au sein même de l’écriture, et dans son cours comme dans son décours sans que l’un ou l’autre épuise jamais sa genèse. Pensante d’elle-même, cette écriture à la fois se reflète et se prononce. » Qu’est-ce à dire ? Eh bien, avant tout, qu’on a affaire à ce que l’on pourrait dire un méta-poème. Un texte ayant établi son aire, par delà les surgissements du contraire, dans les interstices ou les intervalles. Entre le silence et la parole. Entre le proche et le lointain. Entre absence et présence. Entre lumière et obscurité.

Entre le signe et ce qui l’efface aussitôt, entre le souffle et son étouffement, entre intériorité et désir de l’extériorité, il semble bien en effet pour Lambiotte que rien ne se laisse capturer que par un jeu perséen où l’on peut s’approcher et voir qu’en détournant le regard vers le miroir. D’où certainement aussi la scansion aérée si particulière de ses vers rares sur la page qui les scie de blanc comme pour indiquer que la vérité n’est peut être nulle part ailleurs que dans la vibration  qui en émane alors, ces incidences du souffle, comme il dit quelque part. De même, on pourrait dire de la figure qui se détache de son poème qu’elle s’apparente moins au dessin tracé au bâton ou au doigt par un moine zen, que le geste qui consiste à l’effacer bientôt.

Le poème ne comble donc pas. Il creuse toujours plus avant ce qu’il y a à dévoiler et ne dit qu’en faisant sans cesse reculer la possibilité même de dire ce qui est cependant le simple : la capture du blanc/dans le soleil des herbages. C’est que Lambiotte en est conscient de façon aiguë :la parole, fût-elle la plus spontanée, déconstruit derechef tout assentiment exprimé à la présence, à l’être du monde aussi bien qu’à notre corps lui-même. Crier, c’est fatalement toujours recomposer l’écart. Si pour autant sa poésie ne renonce nullement à assumer ses fonctions de leçon de vie loyale et de compagnonnage fraternel et lucide avec ce qui est, et si c’est bien mains offertes à la rencontre qu’elle présente, elle ne le fait pas moins avec le sentiment que c’est de façon traversière, biaisée qu’il faut procéder.

Sa syntaxe elliptique, abrupte parfois, en témoigne. Et c’est également ce que semble suggérer une poétique où le verbe, qui manifeste l’infini chatoiement des apparences, est toujours subordonné au nom, qui est la substance même. Ce faisant, en ontologiste prudent et volontiers interrogateur, conscient de la difficulté que suppose la tâche que représente le rapprochement réversibles des pôles, Lambiotte parvient à désigner les assises et les solives de l’être, cette énigme à distance soustraite.

Mémoire présente de l’être éternel davantage que souvenirs d’un homme, pure brûlure du temps sans retour, la poésie de Lambiotte opère comme un relais entre conscience et réel. Implantée dans une zone franche où elle peut à loisir méditer et diffracter selon la lumière, elle produit une véritable rupture des sens qui, loin d’être stérile, s’avère à terme ouverture à un autre regard et un autre souffle.

Christophe Van Rossom (Le Mensuel littéraire et poétique n° 312)   * Citons notamment, tous deux publiés également au Taillis pré, Le temps dérobé (2001) et Miroirs ou le Temps contigu (2002)

Michel Lambiotte

Miroirs ou le temps contigu et De plus loin encore, postface de Fernand Verhesen, Le Taillis Pré.

L’écriture de Michel Lambiotte grandit d’une façon certaine le poétique dont nous sonmmes proches, qui subit en ce temps des coups, dont il se relèvera. Si Michel Lambiotte a fait retour au poétique après une longue absence, c’est sans aucun doute, aussi, qu’il désire engager pleinement sa responsabilité devant cet effritement et effondrement que révèle notre époque.

Le poème d’aujourd’hui se dilue de plus en plus dans la proximité et la banalité. Comme le note Fernand Verhesen dans la postface de De plus loin encore, le poème est ce lointain toujours plus lointain, ce présent toujours plus présent. Verhesen rejoint Lambiotte et ceux qui l’accompagnent ni en riverains, ni en souverains, à l’intérieur d’une vaste région où les sentiers sont aussi précis que lointains de leurs horizons.

Faisant référence à ” l ‘objet invisible ”  de Giacometti, Fernand  Verhesen m’oriente  vers une autre proximité, celle de  Giacometti et de l’art étrusque.  La déclinaison de la lumière, du poétique, d’elle par Michel  Lambiotte, s’inscrit  parfaitement entre (ou dans, ou par superposition) cette haute statuette,  étrusque, étirée  comme une épingle à cheveux, ” l’ Ombra della sera” et le bronze de Giacometti, ” Femme nue debout ” (1954-1957). L’une et l’autre sont étrangement proches; entre les deux il y a: ” la pénétration de l’ombre de l’autre / l’accès de l’illimité “, et entre-elles s’ écorche l’ombre. Les deux, chargées de ” lointain toujours plus lointain ” portent quelque chose, mais quoi ? Le poème ou le texte de Michel Lambiotte est ainsi, il a en soi, mais ne sait quoi. Il est proche du noble vase de nectar de Silesius. Pour le mystique, c’est la vacuité. Pour notre poète, la lumière évoquée, pourrait-elle se confondre avec la vacuité du mystique: ” cette tache sur l’herbe qui échappe aux signes / celle qui / n’a pas de nom / absorbée dans son propre éclat “.

Michel Lambiotte cherche-t-il à donner un sens manifeste, oriente-t-il le contenu de ses livres vers une finalité pragmatique, évidente?
Joue-t-il avec cette dialectique, thèse, antithèse, synthèse, construit-il un monde parallèle au nôtre, au sien, théorise-t-il, donne-t-il des recettes ou formules pour bien vivre, pour accéder au bonheur? Il n’a, et nul ne l’ignore, ni message à transmettre, ni leçon de morale à graver au fronton du temple de l’humanité. Pas de transcendance !

Fernand Verhesen le dit mieux qui quiconque: Michel Lambiotte fait une expérience. Pesante d’elle-même, cette écriture à la fois se reflète et se prononce. Son écriture est un moteur premier. Lambiotte va, sans plus. Pour se rejoindre. Ou bien son texte le rejoint-il?
Il y a cette présence absorbante, cette appelante qui sans cesse fait signe, il y a l’errante (…) qui dans la nuit découvre la rose. La rose de qui ? De Silesius, de Juarroz, de Personne ?

Dans une suite intitulée Au nord de la nuit, le poète n’est plus certain de sa marche, il semble se perdre dans quelque commentaire de l’être, sans doute pour mieux en percevoir la transparence. Nous suivons notre ami poète même, et surtout, lorsqu’il traverse des contrées quelque peu abruptes. Nous le suivons aussi par fidélité à une écriture qui ne dit pas pour dire, sans plus. Nous sommes pris par le magnétisme qui sourd de son oeuvre. Et de son personnage…

” contre l’aurore / chercher les fruits de l’étoile / est- / elle cette appelante / sur le seuil du vide à rallumer / l’ampoule du sacre / la transparence du lieu / un retrait / de l’ombre / au-deçà ”

Gaspard Hons (Le Mensuel littéraire et poétique n° 328)
Plusieurs articles de Christophe Van Rossom parus sur son blog :   – L’autre côté de la lumièreÉloge du seulLe cri d’où se recompose l’écart