GILMAN Pierre

Biographie

En 2006, Pierre Gilman a publié aux éditions de L’Âge d’Homme un premier recueil intitulé “Dans la serre poétique et autres poèmes”, qui a reçu le prix Nicole Houssa de l’Académie royale de Langue et de Littérature françaises. Ce prix est destiné à un poète originaire de Wallonie, pour un premier volume de vers publié ou non.

Extrait de l’argumentaire du jury :

“Né à Liège, l’auteur, qui pratique pourtant la poésie depuis une trentaine d’années n’en est, et la chose est étonnante, qu’à sa première publication. C’est une révélation pour tout amateur de poésie. Pierre Gilman s’est nourri de poètes tels que René Char, Yves Bonnefoy, Philippe Jacottet et parfois de René Guy Cadou. Il a aussi pratiqué des auteurs de notre pays: Jacques Izoard, Guy Goffette, Eugène Savitskaya. De telles références expliquent que Pierre Gilman s’intéresse aux choses les plus habituelles tout autant qu’à la transposition de celles-ci. Ce qui interfère sa manière de penser, d’être, de rêver. Son inspiration s’accroche en effet souvent à des décors familiers, comme le pont d’Amercoeur ou le bois de Long Zuoin, à Liège, voire à des horizons plus lointains (la Grèce, Sarajevo). Mais dès ces jalons posés, l’auteur extrapole aussitôt et s’aventure dans une recherche plus personnelle où les mots jouent toujours leur rôle de catalyseurs et de tremplins. Cette poésie lumineuse reste parfois d’un abord assez complexe, ce qui n’enlève certainement rien à son charme. C’est un premier recueil de haut vol que le jury a souhaité couronner.”

  Palmarès In : Le Bulletin de l’Académie royale de Langue et de Littérature françaises de Belgique, n°1-2, 2007. P. 146-147.

Bibliographie

  • Dans la serre poétique. L’Âge d’homme, 2006. Prix Nicole Houssa (de l’Académie Royale de Langue et de Littérature françaises ), en 2006.
  • Presque bleu. Le Fram, 2010.

Textes

De qui attend immobile… extrait de Dans la serre poétique   De qui attend immobile et sans voix le peu de mots pour lier ses phrases disjointes et c’est parfois l’effondrement dans l’alcool brûlant la blancheur sans rien déterrer égal en cela au livre de route qui demeure fermé   De quoi l’inextinguible sécheresse s’écoule loin de l’herbe jadis élevant tendrement ses tiges connaissant mille devises qui ne se démentaient pas incarnant la providence de celle qui perdait son chemin   Du poème éteint il ne reste que bleus à la gorge quand tout se passe ailleurs vers cet autre alphabet dont Dieu n’a jamais pu approcher le secret   Je l’aimais et voulais que les mots soient précis comme sa peau à l’heure où l’univers dit oui   à nos cinq sens partis conquérir les autres.       Ruine extrait de Dans la serre poétique   Épuisé déjà pourquoi délivrer encore des mots alors qu’on marche sans tenir une main qui nous éviterait le ravin main préférée à toutes inventive dessous les pierres fraîches loin des roseaux coupants dont la folie se coiffe? Peu de lumière est permis au ciel pour rapide sortir des quarante fatigues exhausser la falaise reverdir la vigne partir sur le chemin pour la seconde où les chevaux se rangent de profil entendre étonné la liberté d’un nom auquel croire silencieusement hésitant parfois entre la solitude privée de ses épices et une parole lézardée entre monts lisières fentes eaux Tout est ruine sur cette terre qui ne cesse de mourir vers l’amont où lier les deux draps entre lesquels l’empreinte demeurera d’un corps durant l’hiver faisant route vers la basse mer végétale le sang étant lent à sécher sous un astre de misère     Le fil bleu extrait de Dans la serre poétique   Il arrive qu’une femme lourde de linge touche le ciel quand ses mains vont viennent au long d’un fil bleu laissant les quatre vents n’en faire qu’à leur tête avec les petites chemises de l’enfant   qui beurre son pain avec trop de doigts avec le pantalon mangé de celui qui vérifie l’écoulement de l’eau dans la tuyaux piqués de rouille avec une robe au ruban mauve serrant encore une jeunesse ancienne   Elle est femme penchée sur les promesses de l’herbe dormant sous la lumière près du sentier inachevé un panier dans lequel par l’attraction de l’amour une à une tombent les formes et la chair   du bonheur simple aux plis toujours à refaire

Commentaires

Keguenne, Jack. Promenades poétiques. In : Le Carnet et les Instants, n° 144, octobre-novembre 2006.

« (…) Pierre Gilman publie un premier recueil, mais il écrit, nous dit-on, depuis plus de trente ans. De fait, au premier abord, Dans la serre poétique semble touffu et laisse craindre une accumulation de textes qui paraîtraient enfin. À la lecture, on est saisi par une densité qui demeure impénétrable, étrangère, d’autant plus que les textes sont rassemblés en sous-ensembles qui m’ont paru trop courts et que les poèmes se présentent comme une prose découpée quand ils ne sont pas syncopés d’une manière déroutante qui entrave la musicalité. Sur le fond, il y a ici une mélancolie, une sorte de douleur à vivre (“dans un présent ouvert comme un gouffre / puisque vivre est encore et encore mourir”) qui est aussi un consentement, accordé comme à regret, et qui se penche vers l’enfance pour retrouver une mobilité et un bonheur au passé (“ajuster ce peu de mots à la tendresse de toujours”). Le ton est assourdi, porté au silence, intime, on sent que l’auteur s’adresse à des proches, mais aussi que la mort et le deuil sont omniprésents – ce qui m’a mis mal à l’aise : il en a dit assez pour provoquer l’impression de dévoiler son intimité, mais trop peu pour nous permettre d’entrer en connivence. Gilman ne manque pas de souffle, mais plutôt d’une vision ou d’une intention plus claire. (…) »