FEVRIER Paul

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Biographie

Né et mort à Bruxelles (1915-2006), Paul Février fut instituteur, collègue et ami d’Albert Ayguesparse, à Forest (jusqu’en 1956), puis adjoint «free-lance» d’Arthur Haulot au Commissariat général au Tourisme. Ainsi mêlé à la vie littéraire, il n’occupa aucun poste de direction et sut y préserver son indépendance. Au point de n’accepter d’éditer sa poésie que devenu nonagénaire.

Bibliographie

  • Les yeux ouverts, Bruxelles : Editions de la Maison du Poète, 1941. (Messages).

  • Minotaure obscur, Amay : Editions L’Arbre à Paroles, 2005. Deux tomes. Avec une importante étude critique d’André Doms en liminaire au Tome I.

 Publications en revues :

  • Le courrier des poètes, Bruxelles, 1937.

  • Anthologie de poèmes inédits de Belgique, Bruxelles, Editions Pylône, 1940.

  • Anthologie du Journal des Poètes, I, Bruxelles.

  • Anthologie de la Décade 1930-1940, La Maison du Poète, Bruxelles, 1940.

  • Anthologie de la Décade 1940-1950, La Maison du Poète, Bruxelles, 1950.

  • Anthologie poétique de l’Expo 58, La Maison du Poète, Bruxelles, 1958.

  • Botteghe Oscure, tome XIII.

  • Botteghe Oscure, tome XXV, 1960.

  • Le Journal des Poètes, n°1, Bruxelles, 1967.

     

Textes

Orage

Monde,
L’allure s’incurve et se love
Aux boucles brûlantes du chemin.

Mon corps et moi,
Quel dialogue.
L’amer et l’amour
Crient au fond de la nuit.
Plus rien n’existe
Que les pistes qui vont,
Sous la pluie,
Les âges
Et les feuillages,

A la rencontre de l’été.

L’estrapade

Bien écartelé dans le mal,
Je touche la neige des épaules
Et me tords comme un rieur fou
Dans la grimace de mon amour.

J’étais allé si haut sur le roc,
Le monde était devenu ce peu de tuiles,
Ce peu d’argile dans la ride des saisons ;
J’ouvrais large la main sur le ciel,
Mon coeur battait sur la muraille nue
Et le chant de l’azur me fendait l’oreille.

Maintenant que la neige
Se fond à mon sang vaincu
Et que mes poings sont fermés
Au néant,

Il tombe sur mon front
Ce plomb sans merci
D’une éternelle nuit.

Minotaure I

C’est à toi que je parle
Fureur tapie dans le sang

Terreur
C’est à toi que je dicte
Le fulgurant dessein
D’une insigne violence

Et c’est une proie vivante
Prompte pure
Que ma voix condamne
Aux stridences

Il n’y aura plus de lieu
Plus de temps

Il n’y aura plus d’espoir
Plus d’innocence

Seulement
La mémoire d’une main crispée
Et la prémonition déchirante
D’un grand silence noir

Minotaure III

Obscur
Où fuse la foudre
Lieu
De cruel hymen
Effi gie sacrée de la démence
Où se démembre le soleil
La volupté te désarme
De la pesanteur et du temps
Le masque du désir se fend
D’une longue blessure
Chaque regard chaque cri
Est un tison de défi
À la face des dieux brandi
Il n’y a plus d’espoir
Plus d’innocence
Seulement sur la pierre du désert
La victoire d’une main crispée
Et la prémonition déchirante
D’un grand silence noir

Objet

Objet de silence
Objet de patience
De feu
De souffle
De sang

Il restera de toi
Sur le sable du temps
Cette lame de phosphore
Ardent

Que saisira
Le premier venant

Alouette (extrait)

Solitude immobile
Un cri d’oiseau
Pour ultime parole
Fermer les yeux
Sur le ciel qui bleuit

Extraits de Minotaure obscur, 2005.

Commentaires

Hormis Les yeux grands ouverts, une plaquette confi dentielle de 1941, Février n’a disséminé qu’une quarantaine de poèmes en revues et anthologies vite introuvables. Mais le «milieu» des lettres francophones le savait obscurément un poète de haut vol, dont la voix, narquoise ou tragique, abrupte ou lyrique, sereine ou déchirée, n’a jamais trahi sa vie authentique.

Ce choix large et représentatif, guidé par la seule exigence de qualité, peut être tenu pour l’édition originale de poèmes que René Char tenait pour des compagnons de longue vie, de secrets confi dents auxquels je m’adresse pour le meilleur et pour le pire.Jamais en vain.

Tout d’un coup confronté à plus de septante années de création poétique, le lecteur découvre une abondance insoupçonnée, la richesse et la qualité d’un jaillissement dont il n’avait pu apprécier que de rares émergences. Il pénètre un monde très individuel, sauvage, où interfèrent signaux de vie et de mort, où se brassent sables ardents et nuits glacées, un monde qui prend appui sur la nature mais pour renvoyer aux paysages intérieurs de l’auteur. Si l’on savoure différemment les tons et les modulations de cette longue partition, on n’en reste pas moins frappé par la tenue d’une voix spécifique tout au long de son évolution, par une continuité de parole et de sens absolue, presque obsessionnelle, par sa fidélité sans faille à une vision du monde particulière et discrètement radicale.

André Doms, Préface à l’édition de Minotaure obscur, L’Arbre à Paroles, 2005. Deux tomes.