DUMORTIER Jean

Biographie

Jean Dumortier est né à Bruxelles le 21 février 1926 et a vécu son enfance à Jodoigne en Brabant, province centrale de la Belgique, petite entité du monde qui se revendiqua avant tout d’être un pays libre et tolérant…
Il fut secrétaire des “Jeunesses Littéraires de Belgique”, du “Groupe d’action des écrivains”, du groupe de poètes du “Grenier Jane Tony. Il a été membre de “l’Association des écrivains belges de langue française”, de “l’Association royale des écrivains wallons, du groupe de réflexion littéraire “le Grill”, et des Scriptores Christiani. Il fut également collaborateur des “Jeunesses Poétiques” et du “Groupe des Années 80”.
Ce fut un globe-trotteur, qui, à 18 ans, refusait le service de travail obligatoire que la puissance occupante imposait à la Belgique (1944). Ceci arrangeait bien notre poète, car cela le dispensait de poursuivre des études ennuyeuses… après une enfance solitaire…
A découvert Éluard, Prévert et le surréalisme dans la clandestinité. Aussi l’expressionnisme… mais dans la vie.
A lu beaucoup, surtout des journaux rapportant l’instant et des revues de différentes tendances, ce qui lui a permis de découvrir que chacun défendait sa vérité, en vivait parfois, en mourait plus rarement…
Aime Rainer-Maria Rilke sans mesure et quelques autres… comme Beethoven.
Des gens comme Verhaeren, Bunuel, Bergman, Fassbinder, Béjart, Brel, Ferré, Brassens le marqueront. Aussi Léon Bloy, Mauriac, Hemingway, Dostoïevski, Robert Musil, les peintres Monet, Delvaux, Van Rysselberghe,…
Pour sa part, il remplit différentes tâches dans des mouvements littéraires à Bruxelles, parla de ses amis poètes, écrivit à leur propos.
Il a publié plus de 25 recueils de poèmes dont un critique du quotidien « La Libre Belgique » – Luc Norin – dit en une phrase : « Sa voix, très particulière, pourrait être apparentée à celle du poète belge Albert Ayguesparse pour qui la justice et la fraternité sont, depuis toujours, indissociables du goût du pain et de l’honneur de l’homme. »
Ceci explique peut-être qu’il fut délégué syndical bénévole de la base, dans la fonction publique pendant de nombreuses années…
Jean Dumortier est décédé le 8 juillet 2014.

Bibliographie

  • Les pains noirs . Dinant : Bourdeaux-Capelle, 1960.
  • Les tocsins du midi.  Dinant : Bourdeaux-Capelle, 1962.
  • La fille misère. Châtelet : Franz Jacob, 1963.
  • Les hautes pierres. Dinant : Bourdeaux-Capelle, 1964.
  • Les vigiles du soleil. Dinant : Bourdeaux-Capelle, 1966.
  • Corps d’algues. Bruxelles : Société des Ecrivains, 1968.
  • Cette ville interdite. Bruxelles : V.D.H., 1968.
  • Eprailles. Dinant : Bourdeaux-Capelle, 1975.
  • Quatrains pour une estampe. Dinant : Bourdeaux-Capelle, 1976.
  • Jaillies de nos eaux fortesDinant : Bourdeaux-Capelle, 1976.
  • Corsés de lagunes. Paris : Arcam, 1978.
  • Les fleurs de paille. Tournai : Unimuse, 1982.
  • Sais-tu Florence.Tournai : Unimuse, 1985.
  • Jeudis de juillet. Paris : Barre et Dayez, 1985 (en collaboration avec Nicolas Catanoy).
  • Lettres à la fiancée. Gilly : Jacques Bonivert, 1988  (en collaboration avec Françoise Houdart).
  • Fêtes d’ombres. Amay : L’Arbre à paroles, 1990.
  • Viviers. Amay : L’Arbre à paroles, 1993.
  • Feu de bel. Amay : L’Arbre à paroles, 1993.
  • L’âge fruitier. Amay : L’Arbre à paroles, 1995.
  • L’an prochain à Valparaiso. Bruxelles : Présence et Action culturelle, 1986. (collectif Années quatre-vingts).
  • Etat critique. Virton : éd. de la Dryade, 1987. (collectif Années quatre-vingts).
  • La porte du temporel. Bruxelles : Le Non-Dit, 1999.
  • Terre d’argence. Fernelmont : Textes et prétextes, 2002.
  • Puits de lumière. Fernelmont : Textes et prétextes, 2002.
  • Jardin de nuit. Fernelmont : Textes et prétextes, 2006.
  • Les oiseaux d’argent. Fernelmont : Textes et prétextes, 2006.
  • Claire ou le goût du bonheur. Le Non-Dit, 2009.
  • Baume des regards. Le Non-Dit, 2010. (Parole).
  • Falaise de l’éclair. Le Non-Dit, 2011. (Parole).
Collaborations régulières : Inédit, Le Non-dit, Les Elytres du Hanneton.
Textes parus dans: Froissart, Don Quichotte, La Cigogne, l’Arche, Climats sur l’Art, La Tour de Babel, Correspondances, La Sape, Le Spantole, Prométhée, Florilège Oasis, l’Arbre à plumes Le Chalut, Plume libre, La Maison de l’Amérique Latine, Des Mots pour le dire, Jalons, Asachi (Roumanie), Carte Blanche, L’Arche d’Ouvèze, etc.
Quelques poèmes traduits en allemand, en anglais, en grec, en hébreu, en italien, en russe, en néerlandais, en roumain.

Textes

La secrète

Cette femme ayant le souci discret de son parfum, dont la précision du langage s’alliait à l’ élan du corps… sans autre ornement qu’un chapelet de perles…

Fougère inclinée sous la brise, en la tiédeur du satin, tu t’étires à la racine.
Jonquille ourlée par des elfes à l’écoute de la vague, tu te révèles à la caresse.
Aimée au creux de l’aile, l’envol a pour antenne les voyages des jardins.
Va resplendir à nouveau le tournesol.

A l’arbre du silence
tu attachas ton nom.
tant pis pour qui prendrait
l’ondée pour de la neige.
Tant mieux pour qui reconnaîtrait
le chemin de tes abysses.

A l’arbre de la joie
tu ne prias guère,
passé l’enfance.
A mi-guets, à mi-jeux,
tu te fis toi-même, avec les étoffes de l’hiver,
avec les jupes du printemps.

Depuis la mort à tes pieds,
tu vis la minute qui passe
comme on fléchit le doigt
sur la peau du raisin.
Ainsi le lézard à l’orée,
avec ma satiété de l’été
tu discernes l’instant.

Tu tendis à l’arbre de la connaissance,
entre des pages de livre où tout se lie,
entre des pages de vie où tout se délie,
Tu vins vers moi avec tes grappes mauves.
Tu macéras tes mûres dans mon alcool.
J’ai toujours à la paume ouverte
l’âcre saveur des étamines.

Tu me voulus ton goéland,
ton oiseau des plaines et des rivières.
Je fondis sur toi pour ma longue blessure.
Du lien des corps tu bronzas mes troubadours
et nous unîmes le tien et le mien.

A notre insu,
les timbres de nos voix
ont échangé leurs douceurs,
leurs craintes, leurs terroirs.

A notre insu,
les ailes de nos gestes
ont pris les mêmes latitudes,
survolant les mêmes rizières.

Je t’ai cousue au centre de ma vie
lorsque je volais encore de l’allège au chenal,
cachant mes raclures et mes rugosités,
m’entourant de sable et de lagune.

Tant d’années ont passé.
Voilà que nos limites
longtemps connues
ont gémi entre les tuiles.
Nous les savons, là-bas,
Plantées près des bouleaux.

Je n’ai cessé d’envelopper le regard
que ta peau a glissé sous la mienne
depuis l’aube rouge de l’été.
Mes bras se sont fondus en tes jambes.
Mes miroirs blessés reposent, lisses,
sur ton ventre où deux rides se sont posées.

tes sourires sont devenus plus graves ;
ils portent l’ouîe de l’âge et du siècle.
Tes bras ont agrandi leur cercle.
Le navire qui entre dans l’estuaire
défait le noeud qui t’habite encore,
où les oiseaux bas cachent leurs empreintes.

Au premier soir d’unité, tu m’offriras ta Vistule.
Tes jardins se fendent toujours sous la brise
pour mes mains qui se tendent et t’effeuillent.
Liane, ronde et belle pour mes freesias.

J’aime la maturité que j’ai donnée à ton corps.
Le parfum de pêche qui plane sur tes seins
jouxte le verger où tu récoltes les fruits
lorsqu’à l’automne s’emplissent les mannes.

Le parfum noir fume sur la colline
où grésille l’olivier de ma bergerie.
Tues l’élue de l’arum et de l’abîme,
mouvante à mes lèvres pour la lyre de Bilitis.

Mûre, mère, mante,
quand tu élèves les arcs au ciel de tes abondances,
je m’offre tes marais salants et, autour de tes reins,
plie mon plaisir pour t’en donner davantage.
Jument de ma joie que longe ton haleine,
je t’entends hennir au gré de tes délices
et le blé de notre couche jaillit de nos eaux fortes.

Lorsque je lâche ton nom et des mots d’homme,
le trait de l’éclair entaille l’oranger.
Tes accords de violoncelle bercent nos ondes
sous les âpres envies de nos bouches affranchies.

La résine découvre l’écorce, et nos corps chevauchants
s’annocent à la tendresse comme la pluie de midi.
Les songes jonchent nos artères bleues et s’apaisent
à la lumière éteinte comme la terre à l’étoile.
La chaleur se range et baisse les yeux,
nos mains s ‘adoucissent et reposent l’étoffe.
Les napées d’eau glissent le long de nos berges,
nos doigts coiffent le pain d’un arôme de miel.

S’abaisse le jour à la fente du soir.

Jetée comme une coupe
répandant ses jonquilles,
ta tête repose, absente,
au coeur de la chambre.
J’ai broché tes soucis
à l’épée de la nuit.

Douve, douce, Delft,
ma femme de juillet jusqu’à l’hiver,
ma femme séduite aux mains ouvertes….

Extrait de Claire ou le goût du bonheur

Commentaires

Jean-Louis Crousse, le préfacier de cet important ouvrage, invite tous lecteurs « à s’en imprégner, s’en éloigner un peu et prendre un instant distance, puis reprendre le livre et déposer en soi ses fulgurances et son parfum, et puis recommencer encore… ».
Cette gymnastique, bien sympathique au demeurant, concerne le récent livre de Jean Dumortier dans lequel celui-ci rassemble de brèves réflexions glanées tout au long d’une existence. Et d’une œuvre. C’est touchant, salubre et d’une belle authenticité.
« Cicatrices, cicatrices, ne nous fuyez pas… ».
Par le biais de ces « morceaux choisis », c’est la philosophie d’un poète et d’un homme dont la sagesse nous émeut que Jean Dumortier a décidé de nous convaincre. Et il y parvient !
« Tomber n’est rien. Ce qui importe, c’est de ne pas nier la chute ».
Tout au long de ce livre de plus de 100 pages, Jean Dumortier distribue les réflexions et les commentaires avec un bon sens admirable dont la conclusion pourrait être :
« Aucun dieu, aucun individu, aucune idée ne peut exiger mort d’homme ».
Sans déclaration sentencieuse, Jean Dumortier affirme dans ces pages une présence au monde que beaucoup pourraient lui envier. Il ne serait pas superflu de l’accompagner dans ses pérégrinations littéraires et poétiques :
« L’homme finit par avoir peur du chèque en blanc dont il dispose ».
Et de conclure judicieusement :
« Comprendre sans avoir ».
 
“Jean Dumortier, Baume des regards”. In : Friches : cahiers de poésie verte, n°108, 2011.
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” vieillir comme une herbe sèche qui a tant reçu le soleil avant la faucille…”
Traduit en prose : comme un poète de quatre-vingts printemps qui a tant vécu l’amour avant  le dernier rayon du jour qui tremble au bout du jardin.
On aura reconnu sans peine le style personnel de Dumortier : une écriture nourrie du surréalisme, quêtant toutes les audaces nécessaires à son envol, jonglant avec les métaphores, les analogies, les rapprochements les plus inattendus, tout en demeurant à fleur de terre, toujours prête à cueillir les mots les plus nus, ceux qui disent le mieux les émotions les plus profondes…
 
Michel Ducobu à propos de : Claire ou le goût du bonheur, publié dans la collection « Parole » au Non-Dit de Michel Joiret.
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La fécondité poétique ne s’interrompt jamais. Elle prend sa source partout, dans tous lieux et circonstances où se fomente la vie, même âpre et imprenable, ou rêvée, caressée, inaccessible, interrogée.
Depuis Les pains noirs, en 1960, jusqu’au Jardin de nuit, aux Oiseaux d’argent, en 2006, la poésie de Jean Dumortier s’est promenée dans les Hautes pierres, et Les vigiles du soleil. Elle s’est beaucoup arrêtée à l’été et à la lumière, aux saisons, à la présence charnelle de la terre où elle a tracé des Chemins parallèles, creusé des Puits de lumière. Titres révélateurs d’une démarche.
Car les saisons de la vie du poète passent toutes par l’amour.

Claire ou le goût du bonheurrassemble aujourd’hui des poèmes dédiés à la femme aimée ou inspirés par elle en des circonstances éparses de la vie.
Simple et incantatoire. On ne sait ce qui vibre le plus, en ce recueil de poésie fervente et comme griffonnée, de la femme ou de la nature qui l’enserre, la libère, la révèle.
 
Luc Norin (La Libre Belgique, 23 janvier 2009).
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À propos de Puits de lumière et Terre d’argence :
Jean Dumortier baptise une nouvelle maison d’édition, “Textes et Prétextes”. Il vient de lui confier ses deux derniers recueils, Puits de lumièreet Terre d’argence.
Nous écrivions un jour que l’écriture de Jean Dumortier était indissociable du goût du pain et de l’honneur de l’homme. Il rompt le pain du quotidien pour le rendre, chaud, à ses frères humains.
L’auteur de “La Porte du temporel” ne s’évade jamais du quotidien. Il y trouve, dans l’écoute de l’autre, sa propre voix. Et dans le temporel, la pérennité de la vie.
Ses deux derniers livres témoignent plus que jamais de cette fraternité qui passe clivages et frontières. Des amis de partout, et non les moindres, se sont nourris de sa poésie, ils l’ont traduite spontanément, un poème par ci, un par-là, en allemand, croate, hébreu, hongrois, néerlandais, polonais, roumain… Regroupés en deux recueils, (dont Terre d’argence est uniquement consacré à l’adaptation roumaine par Nicole Ciobanu, avec des encres du poète Marie-Paule Thierry) toutes ces pages bilingues ramènent l’universel dans le particulier.
Luc Norin (La Libre Belgique, 27 septembre 2002).
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Oui, pour reprendre cette heureuse expression, il y a des “livres-maisons” où “l’alliance” n’est plus une chimère. Grand merci pour ce Puits de lumière où les langues ne rivalisent pas, mais échangent leurs ressources.
Il est vrai que la parole, avec vous, est vive, elle appelle comme elle accueille, généreusement.
Vous êtes un poète solitaire.”
Pierre Dhainaut
 
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À propos de Viviers (1995)
Voici un livre d’humanité…Un livre de réflexion, de narration, de vers et de prose, d’anecdotes arrachées au vécu avant de se nimber des secrets du non-dit à percevoir sous les mots. Un livre à déguster page par page au gré des moments où l’on veut glaner quelque antidote à l’amertume, à la déception, aux blessures, à la mort en point de mire.
Michel Voiturier (Le Courrier de l’Escaut)