Michel Defgnée sur sa poésie …
« Pourquoi la forme poétique du « Fragment » est-elle la seule que je pratique ? Parce que, je le crois fermement, c’est la seule susceptible de rendre compte en vérité d’une quête ontologique par la poésie dont le statut particulier en cette occurrence est tout à la fois celui de sujet et d’objet d’une démarche mystique et herméneutique : « De ces fragments, j’ai étayé mes ruines » (T.S. Eliot, The Waste Land)… A la fois sonde et prophétie, la parole aspire l’être qui l’inspire : elle creuse le vertige du vide qui l’attire à soi. Ce vide qui est un plein où le silence tonitrue, où la forme dicte le fond … On ne traque la vérité qu’avec l’instrument du mensonge … » (in « Fragments autour de Defgnée », L’arbre à paroles, 115) « Je pense que l’on ne choisit pas la poésie, c’est la poésie qui vous choisit. Pour moi, un poète, ce n’est pas quelqu’un qui écrit des poèmes … Etre poète, c’est une manière d’être ». « Comment définir ma poésie ? Il y a quelques années, dans une anthologie, on m’a classé parmi les inclassables, j’étais fort honoré ! Maintenant, … ma poésie est considérée comme « spéculative »… Il semblerait que j’écrive une poésie philosophique dans la mesure où ma préoccupation fondamentale, c’est l’être : l’identité, l’altérité de l’être par rapport au monde, de l’être jeté dans le monde … Dans les Fragments oubliés du visage, j’essaie de répondre à ces questions mais j’emploie l’artefact des miroirs … Y a-t-il dans l’expérience poétique une fome spécifique de phénoménalité qui puisse aider la phénoménologie elle-même dans son projet, sa visée, ses concepts fondamentaux, ses méthodes ?». « Un auteur qui m’a influencé ? Arthur Rimbaud des Illuminations, recueil qui a marqué le début de la poésie contemporaine … Il m’a montré que dans le monde où je vivais, je pouvais moi-même en créer un autre à moi seul ». (Michel Defgnée interviewé par des étudiants à l’occasion de la Soirée de Poésie Contemporaine à Louvain-la-Neuve, 18 mars 1999) Critiques littéraires sur la poésie de Michel Defgnée … Pierre Mertens « Il aura suffi à Michel Defgnée de trois recueils pour formuler les règles et définir les rites de cette ordalie ». « Une poésie qui culmine et dépasse toute forme possible de révolte, une poésie qui se soucie si peu de plaire ou de séduire. Une poésie « presque utilitaire » de la nécessité d’être dite. Délibérément aveugle et sourde à ce qui n’est pas l’essentiel. Une poésie sans mémoire et où le rêve tue davantage encore que la réalité ». Pierre Maury (sur Seule à seul) « La poésie de Michel Defgnée trace un de ces chemins (nouveaux) : abrupt … et en même temps exaltant. Tout y est vu dans la profondeur d’un regard qui ouvre les perspectives et attire l’attention sur quelques caractères matériels d’un absolu : une hauteur vertigineuse ou la dureté du granit ». Marie-Claire De Coninck (sur Seule à seul) « L’écriture est brève, tranchante presque, … d’un dépouillement ascétique qui refuse toute parole superflue, toute image qui ne paraîtrait pas capitale, toute fioriture ». Luc Norin (sur les Fragments oubliés du visage) « Michel Defgnée est le poète du face à face, mais dans un mouvement de passage incessant, de va-et-vient, de retour et d’aller d’un visage à l’autre … Histoire de mises en abîmes répétées, évolutives, de la rencontre essentielle dans le mystère ». Philosophes phénoménologues sur l’œuvre de Michel Defgnée … Marc Richir (ouverture)« Dans les Fragments oubliés du visage, Michel Defgnée se porte, mais est aussi porté au cœur d’une fascination, qui va jusqu’à une vision hallucinée : la fascination spéculaire dont il égrène l’histoire et la méditation en éclats finement ciselés …Eclats eux-mêmes fascinés et fascinants, échos d’une expérience qui se mesure à l’impossible : la rencontre de soi-même et la rencontre d’autrui ». « Toute poésie n’est véritable que si elle côtoie les abîmes » (finale) « Pointe ultime, sans doute, de l’expérience, où, présomptivement ou après coup, il se prépare à ce voyage qu’Ulysse fit une fois au bord du monde. Nous aurions tort cependant de sourire. Raison, peut-être, de rire. Mais rire bien imprudent parce que, les Anciens l’avaient compris, il n’y a que le rire des dieux qui soit à cette hauteur ». (in : « Les nouvelles aventures de Narcisse », préface des Fragments oubliés du visage) Jacques Garelli « Les Fragments oubliés du visage sont un poème de la déchirure, qui témoigne avec lucidité de l’impuissance de la parole, mais aussi du regard, à coïncider avec l’être aimé. Tous les pièges de l’illusion spéculaire, selon lesquels un regard cherche à saisir le regard de l’autre, sont prospectés dans ce texte, jusque dans la douleur. Sur ces tensions perpétuellement différées, qui déploient avec intransigeance leurs parcours, se greffe un second mouvement tout aussi douloureux, qui prend acte de l’irréductible fissure, qui déporte le regard du moi dans la distance, sitôt qu’il cherche à se réfléchir lui-même, dans l’identité de son être. Aussi, est-ce selon l’enchevêtrement dramatique d’un double regard, qui s’attire sans jamais s’atteindre en une coïncidence, qui se voudrait apaisante et heureuse, que s’ordonnent ces Fragments, dont tout lecteur peut reconnaître dans l’écho répercuté du silence, une expérience insondable à laquelle il a été sans doute confronté ». (in : « L’exercice du regard et l’épreuve du néant », Fragments autour de Defgnée, l’arbre à paroles, 115) Christian Destain « On ne peut pas dire que cette poésie prenne beaucoup de timides précautions. Elle ne ménage pas le lecteur. C’est que la lucidité est exigeante (…) L’homme est homme du fait de se connaître mélange d’être et de non-être, l’homme est homme parce qu’il réfléchit ce savoir tragique. Et Michel Defgnée montre bien en quoi le poète est homme par excellence (…) Si l’homme est être de devenir, (…) c’est qu’il est un être temporel (…) C’est la force de Michel Defgnée de nous montrer les implications de cette temporalité, et d’y insister, au risque de secouer nos petites tranquillités (…) et sans doute nos petites lâchetés (…) Voilà ce que nous dit Michel Defgnée : l’homme est homme parce qu’il n’est pas Dieu. En Dieu, s’il existe, la fixité, l’intemporalité (…) En l’homme, cette sorte d’être qui n’est là que pour la réalité de sa disparition (…) L’homme est moment et fuite, Il est aussi espace et distance (…) Dans la multitude des horizons, l’homme se perd, comme dans l’infini du temps il s’anéantit (…) Mais du sein du désespoir le plus profond se prépare l’assomption d’un espoir, d’une sorte de rédemption (…) Il y a, dans la poésie des Fragments oubliés du visage, comme un appel au grand large, au grand et immémorial ailleurs (…) L’au-delà du regard, c’est la parole. Et on le comprendra à lire à haute voix ces Fragments (…), si justement sous-titrés Cantique (…) (La parole) est en quelque sorte tabernacle, (…) elle est comme l’oasis au milieu de nulle part (…) C’est par la parole que l’homme est homme : la parole « hominise » (…) Toute la poésie de Michel Defgnée s’inscrit dans la pensée de cette mise à l’écart qui offre à l’homme non pas la solution dernière à son mal-être d’être un être entre-deux, un être entre l’être et le non-être, mais une voie, un chemin, de nouveau la possibilité d’un voyage, un voyage à la rencontre de ce qui est à l’écart. L’infini des horizons jamais atteint est le lieu du sacré, du toujours d’emblée mis à l’écart (…) Paradoxe heureux que celui que montre cette poésie « fatalement sacrée» : plus l’homme se perd et plus il se trouve (…) Là est l’essence de cette poésie, véritable rituel de la parole. » (in : « L’errance et le sacré », Fragments autour de Defgnée, l’arbre à paroles, 115) Jean-Pierre Carron « Aux yeux de Michel Defgnée, être poète c’est (…) avant tout « vivre en poète », (…) c’est adopter à l’égard du monde une position spécifique, c’est entretenir cet étonnement, cet émerveillement qui (…) furent à la source de la pensée occidentale. (…) C’est encore habiter un monde qui, bien que donné, reste à créer. L’écriture devient alors (…) l’acte même de cette création. (..) La Parole se fait poétique, prophétique, poiétique, (…) véritable pouvoir créateur et ontologique. Les rythmes de la langue, les ruptures, les silences, deviennent (…) autant d’expressions d’une quête presque mystique, qui nous reconduit aux origines du sens, au lieu même de son émergence, en ces horizons diffus de pré-individualité que la phénoménologie qualifie du terme énigmatique de Monde. Se créer, tout en créant l’autre, à travers un amour plus fort que tous les mots, telle était bien la tâche qui incombait à l’écriture. (sera publié prochainement) Poètes amis qui ont composé un texte en mémoire de Michel Defgnée … Jacques Demaude ( …) Un archange a frôlé chastement le visage sonore de l’amour certifiant ton passage. D’un signe il prouvera qu’avant nous – souvenance de la résurrection – tu composes la joie et Dieu parmi les morts, l’attente, l’espérance. (Le Spantole, 1er trimestre 2007) Otto Ganz (…) Car en chaque homme se traduit un secret par l’issue féconde de ce qui ensemencé résiste à la dévastation des crues Rita Fenendael a lu ce texte de sa main lors de la cérémonie pour Michel Defgnée au monastère de Clerlande. (…) Michel ne nous a jamais appartenu Il n’appartient à personne, même pas, surtout pas, à Dieu Nous sommes dans l’errance Mais aujourd’hui, nous dit l’Ecriture, est le jour du salut, aujourd’hui le jour de la délivrance. Hâtons-nous donc de lâcher prise. Alors seulement, en vérité, nous trouverons et Michel et nous-même dans l’inconnaissance où Dieu perd son propre Nom.